Canada : l’« aide » renforce l’occupation de la Palestine

 

Pierre Beaudet

Depuis une bonne dizaine d’années, le programme d’aide géré par Affaires mondiale Canada (AMC) (et auparavant par l’Agence canadienne de développement international en Palestine a été conçu dans le cadre des stratégies états-uniennes et israéliennes mises en place pour consolider l’occupation. La priorité accordée au renforcement des entreprises privées a échoué à confronter de manière substantielle les problèmes structurels de pauvreté et de chômage. Parallèlement, l’implication du Canada dans le secteur de la « sécurité » a permis de renforcer les dispositifs répressifs visant le contrôle et la répression de la population.

Contexte

En 1948, la mise en place de l’États israélien a conduit à l’exil forcé de près de 800 000 Palestiniens, et au pillage organisé de leurs terres, entreprises et domiciles. Les Palestiniens qui sont demeurés dans les territoires conquis (leurs descendants sont près de deux millions aujourd’hui) ont été relégués à la discrimination et de mauvaises conditions sociales et économiques. Des résolutions de l’ONU à répétition dénonçaient cette « purification ethnique », mais elles sont restées lettre morte devant le blocage imposé par les États-Unis au Conseil de sécurité.

En 1967, Israël a conquis le reste de la Palestine historique qui restaient en Cisjordanie et à Gaza. Des colonies israéliennes illégales selon les conventions internationales ont été érigées, de même qu’un système de routes qui segmente les territoires Palestiniens en micro-entités séparées les uns des autres. Une grande partie de la population des nouveaux territoires occupés a été clochardisée et transformée à main d’œuvre à bon marché pour l’économie israélienne. En 1993 après la signature des accords dits d’Oslo, le pouvoir israélien se retirait d’une partie des territoires qui devaient être gérés par une nouvelle « Autorité palestinienne ». Les zones urbaines denses faisaient partie de la « Zone A » techniquement sous juridiction palestinienne, alors que la majorité des territoires (les zone B et C, qui constituent plus de 60 % de ces territoires) restaient sous le contrôle israélien. Parallèlement, les États-Unis et leurs alliés subalternes dont le Canada s’engageaient à « développer » l’économie palestinienne. En dépit de ces accords, l’État israélien a continué et même accéléré sa politique de confiscations des terres palestiniennes pour augmenter considérablement le nombre des colonies de peuplement (de 1972 à 2018, le nombre de colons dans les territoires occupés depuis 1967 est passé de 1 500 à 427, 800).

L’occupation s’étend

Encore récemment en 2020, Israël confisquait plus de 2500 acres de terres agricoles dans la région de Naplouse au bénéfice des colonies de Shevout Rachile, Shilo, Aadi Aad, Kodish, Keda et Ahya. Avec la construction du Mur de séparation, c’est plus de 10 % des terres palestiniennes qui ont été confisquées.

Parallèlement aux confiscations, Israël a accéléré la politique de confinement des territoires où il est souvent impossible de se déplacer d’une ville à l’autre. Le commerce inter-palestinien a été gravement affecté et plus encore, les exportations palestiniennes ont été pratiquement réduites à néant, ce qui a précipité la chute d’un grand nombre des 80 000 micro-entreprises qui occupent ce domaine. Malgré les accords qui avaient été signés à Paris en 1994, Israël continue de retenir les taxes payées par les importateurs palestiniens. En 2015, ces restrictions ont fait en sorte que l’Autorité palestinienne a perdu plus de 75 % de ses revenus. Aujourd’hui avec la pandémie comme facteur aggravant, les territoires palestiniens sont dans une crise aigüe, menacés par l’annexion purement et simplement des zones B et C et l’étranglement de ce qui reste de l’Autorité palestinienne, pendant que Gaza affamé et ravagé sombre dans le chaos.

L’action du Canada

Jusqu’aux accords d’Oslo, l’aide canadienne pour la Palestine se limitait essentiellement aux contributions à l’Agence des Nations Unies pour les Palestiniens (UNWRA). Des micro-budgets permettaient à quelques ONG d’appuyer de petits projets communautaires en Cisjordanie et à Gaza. Cela a changé après Oslo avec l’expansion des programmes de l’ACDI et de quelques ONG. Une clause informelle restrictive cependant interdisait à toutes fins pratiques l’aide à des projets dans Jérusalem-Est, capitale symbolique de la Palestine, mais officiellement et illégalement annexée par l’État israélien.

Après une embellie relative de l’aide, tout a basculé à nouveau en 2000 avec la deuxième intifada et surtout, en 2006 avec l’élection démocratique de Hamas. Comme les États-Unis, le Canada alors sous l’égide de Stephen Harper a décrété que toute aide, et même tout contact avec Hamas, défini comme entité terroriste, était interdit. Des projets importants pour aider des programmes de formation pour les femmes ont été stoppés puisqu’ils étaient dans le cadre d’un accord bilatéral de gouvernement à gouvernement. La guerre inter palestinienne qui a suivi a permis le rétablissement de l’autorité palestinienne en Cisjordanie pendant que Hamas se repliait vers Gaza.

Par la suite, la Banque mondiale s’est activée à penser à un programme d’aide uniquement destiné à la Cisjordanie, essentiellement dans le sens d’appuyer le gouvernement de Mahmoud Abbas. Parallèlement, le général Keith Dayton mandaté par les États-Unis devaient renforcer militairement les forces policières de manière à préserver l’« ordre », ce qui voulait dire la chasse aux partisans de Hamas et la répression des autres forces de résistance.

Le Canada s’est aligné sur ces priorités. L’appui au secteur privé palestinien est devenu la priorité de l’ACDI, au détriment des programmes dans la santé, l’éducation et le renforcement de la société civile. Par ailleurs, une aide importante a été consacrée au secteur dit de la justice, soit vers les appareils judiciaires et carcéraux. Ces programmes malgré leurs prétentions n’avaient pas pour but de rétablir l’ordre, mais de renforcer les dispositifs visant la protection d’Israël contre la résistance palestinienne.

Jusqu’à 2010, le programme d’aide administré par une antenne de l’ACDI à Ramallah a piétiné. L’aide au secteur privé s’est heurtée au système israélien de blocage et de confinement, au point où même la Banque mondiale a admis qu’il était impossible de redémarrer l’économie palestinienne dans un pareil contexte. Les agences internationales déclaraient presque toutes qu’il fallait faire pression sur l’État israélien pour alléger ce dispositif répressif pour que les programmes d’aide soient effectifs.

Mais le Canada et les États-Unis ont bloqué les tentatives de soulever ce débat politique. Harper notamment ne voulait rien savoir de critiquer Israël, ce qui a pratiquement paralysé le programme d’aide canadien. Une partie importantes des fonds qui devaient servir au développement ont été détournés vers l’aide humanitaire d’urgence dans le contexte de l’effondrement des territoires palestiniens (plus de 60 % des déboursements canadiens ont été pour vers cette aide d’urgence). Avant leur défaite en 2015, les Conservateurs dans le sillon de la politique américaine parlaient même de couper leur aide à l’UWRA, qui fournit d’importants services de santé et d’éducation aux réfugiés à Gaza (80% de la population dans cette partie des territoires occupés).

Paralysie du système d’aide et complicité politique

Lors de son élection en 2015, Justin Trudeau avait promis que le Canada serait de « retour » sur la scène internationale. Il espérait notamment que le Canada revienne au Conseil de sécurité de l’ONU après avoir été éjecté pendant la période de Harper. Cette ambition a été anéantie lors de la dernière assemblée générale de l’ONU où le Canada encore une fois a été piteusement battu. Une des raisons évoqués par Ottawa a été l’influence d’un lobby « arabe » anti-Canadien, entre autres lié à la politique pro israélienne presque obsessionnelle adoptée par le gouvernement canadien, ce qui n’a pas vraiment changé depuis 2015. Le traité dit de « libre échange » Canada-Israël a permis la croissance des liens commerciaux. Des entreprises canadiennes comme CAE sont impliquées dans le complexe militaire israélien. Le Canada a essayé de sauver la face en votant quelques résolutions de l’assemblée générale de l’ON réclamant l’arrêt de la construction de nouvelles colonies israéliennes dans les territoires occupés. Entretemps, l’aide pour les Palestiniens est restée au point mort.

Aujourd’hui sous le gouvernement de Justin Trudeau continue de s’inscrire dans l’approche régionale des États-Unis pour enfermer l’Irak, l’Afghanistan te la Syrie dans la « guerre sans fin », pour miner le Liban et l’Iran et continuer les liens privilégiés avec Israël et l’Arabie saoudite. Il condamne la campagne de BDS en la qualifiant honteusement d’antisémite. Récemment, le Canada a applaudi au rétablissement des liens officiels entre Israël et quelques-unes des pétromonarchies du golfe qui œuvrent avec les États-Unis de Trump à relancer la guerre et l’occupation.