Hélène Pellerin, extraits d’un texte paru dans les Nouveaux Cahiers du socialisme, numéro 5, printemps 2011
La réputation du Canada comme pays plus ouvert aux immigrants a pris du plomb dans l’aile. Mais depuis quelques années, un écart important existe entre l’expérience des migrants installés définitivement ou temporairement dans le pays et l’accueil qui leur était promis. Les immigrants permanents sont souvent sans emploi durant une période pouvant atteindre cinq ans. Le chômage chez les immigrants arrivés dans les cinq dernières années est en effet plus élevé que dans les groupes d’âge correspondant chez les résidents et les citoyens canadiens. Pour ceux qui ont eu plus de chance et qui travaillent, ils obtiennent des emplois en dessous de leurs compétences. Les immigrants sont payés à des salaires inférieurs à la moyenne de l’ensemble des travailleurs dans les secteurs moins bien réglementés.
La situation des travailleurs étrangers temporaires
Depuis 2006, l’entrée de travailleurs temporaires dépasse celle des immigrants économiques. Cette migration temporaire liée au travail se retrouve dans de nombreux programmes distincts. Pour simplifier, on peut les diviser en deux catégories : les programmes pour les travailleurs peu qualifiés et ceux pour les travailleurs hautement qualifiés. Dans la catégorie des travailleurs hautement qualifiés, deux modalités existent : le programme pour les travailleurs en technologie de l’information et les emplois n’exigeant pas de permis de travail, notamment les emplois pour étudiants étrangers ou des visiteurs d’affaires.
Les catégories de travailleurs temporaires · Les travailleurs agricoles saisonniers faisant partie de l’entente entre le Canada et le Mexique ou la Jamaïque ; · Les travailleurs agricoles saisonniers en provenance du Guatemala ; · Les étudiants étrangers ayant droit de travailler pour un nombre d’heures limitées ; · Les travailleurs peu qualifiés venus dans le cadre de projets pilote ; · Les aides familiales résidantes ; · Les bénéficiaires d’un visa ALÉNA ; · Les prestataires de services dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). |
Dans le cas de la migration des travailleurs non spécialisés, trois programmes existent : le programme des aides familiaux résidants, les programmes des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) et un programme de travailleurs temporaires peu spécialisés. Il convient de souligner l’ascension fulgurante des PTAS, issue d’ententes entre le Canada, quelques pays des Caraïbes, le Mexique et le Guatemala. Les travailleurs temporaires sont vulnérables face à leurs employeurs, en dépit de l’existence de contrats d’embauche formels assujettis aux normes du travail et couvrant le régime de santé, car le renouvellement de leur permis de travail et de séjour dépend lui de l’avis des employeurs. Ceux-ci détiennent donc un pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation qu’ils font du travail des ouvriers, pouvoir que certains ont utilisé pour exiger des frais divers ou imposer des conditions de travail hors normes.
La situation des travailleurs saisonniers guatémaltèques Ces travailleurs sont gérés selon des règles administrées par les associations d’employeurs, tel FERME (Fondation des Entreprises pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère) au Québec, FARMS (Foreign Agricultural Resource Management Services) en Ontario et WALI (Western Agricultural Labour Initiative) pour les provinces de l’Ouest, sans avoir les mêmes conditions que les travailleurs mexicains ou jamaïcains venus dans le cadre d’une entente internationale. Les questions de logement, de couverture des services de santé et de transport diffèrent d’une catégorie à l’autre et elles permettent toutes des situations d’abus. On se souvient des conditions insalubres de logement des travailleurs agricoles mexicains, dénoncées au cours des dernières années. |
La proéminence du secteur privé dans la gestion migratoire
La précarisation des migrants est en partie liée à une autre tendance du système de gestion actuelle, à savoir la place croissante occupée par le secteur privé. Le système d’immigration canadien a toujours accordé la part belle aux intérêts économiques, que ce soit dans la définition des cibles de l’immigration à atteindre, que ce soit encore dans le virage vers une approche du capital humain au début des années 2000. Cette approche a d’ailleurs permis au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration de prioriser certains dossiers pour mieux répondre, non pas aux besoins du marché du travail, mais aux compétences identifiées par le secteur privé comme étant centrales pour une économie concurrentielle et mondialisée. La présence du secteur privé est aussi plus grande dans la gestion même des divers programmes. Le secteur privé intervient autant en amont qu’en aval de la gestion migratoire. On voit d’abord la place du secteur privé augmenter, en amont, dans le traitement des modalités de recrutement des migrants temporaires. C’est le cas notamment dans les secteurs liés à l’économie du savoir. Pour une grande partie des travailleurs hautement qualifiés, ce sont les employeurs et les agences privées de reconnaissance des compétences qui sont au premier rang dans la gestion de la migration. Enfin, on ne saurait omettre la privatisation accrue des efforts d’intégration des immigrants. Dans la perspective de favoriser la présence de migrants pouvant s’insérer facilement dans l’économie, certains critères d’intégration ont été remplacés par des exigences plus élevées concernant les compétences linguistiques ou l’âge. À défaut de pouvoir intégrer, mieux vaut, dans cette logique, recruter les personnes les plus susceptibles de s’intégrer par elles-mêmes. De plus, les gouvernements fédéral et provinciaux sont plus enclins à laisser aux fondations caritatives et aux familles le poids financier de l’insertion.
Résistances
Pour les organismes luttant pour la reconnaissance des droits de certaines catégories de migrants, cette privatisation a des conséquences positives et des conséquences négatives. Du côté positif, la privatisation facilite l’implication des groupes de défense dans la gestion et la mise en application des programmes. Une plus grande voix leur est accordée, pour définir les besoins et les services nécessaires, et une plus grande responsabilité leur incombe. Certains de ces organismes ont d’ailleurs bien su mobiliser leurs efforts, que l’on pense au travail des syndicats des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et à l’Alliance des travailleurs agricoles (ATA) pour la défense des travailleurs agricoles saisonniers. Du côté négatif, la privatisation rend les autorités moins imputables des problèmes existants, alors que les acteurs privés refusent de porter la responsabilité de programmes qu’ils n’ont pas mis en place eux-mêmes. La privatisation a également pour effet de fragmenter encore davantage la gestion du système migratoire au Canada entre des secteurs et des institutions qui sont de plus en plus spécialisés et qui cherchent souvent à s’autoréguler plutôt que d’accepter la contrainte des régimes nationaux et provinciaux sur le droit du travail, la liberté d’association, etc.
Devant ce constat et ces tendances, comment réagir ? Le travail de certaines associations et organisations syndicales, cherchant à protéger ou à faire reconnaître les droits du travail à des populations vulnérables en raison de leur statut, est sans conteste un bel exemple d’action mobilisatrice. Le défi cependant reste grand, tant sont nombreuses les situations d’abus et de précarité, et tant sont différenciées les expériences des migrants au Canada. Non seulement parce qu’il est difficile de pouvoir identifier toutes les situations et de se mobiliser en conséquence, mais aussi parce que cette complexité entraîne une certaine dépolitisation du sujet.