Paloma Martínez, Ricochet, 21 septembre 2020
Pour la première fois, le Canada a été publiquement désigné comme l’un des pays contribuant à alimenter la guerre au Yémen.
C’est le constat qu’a fait le Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen qui étudie le conflit dans ce pays et enquête sur d’éventuels crimes de guerre pour le compte des Nations unies.
Selon ces experts, les armes fournies par les puissances occidentales et l’Iran aux parties belligérantes au Yémen alimentent le conflit qui dure depuis six ans.
« Nous avons ajouté le Canada cette année parce qu’il y a eu une augmentation des ventes d’armes en 2019 », a dit Ardi Imseis, membre du panel, en expliquant que d’autres pays avaient également participé ainsi au conflit marqué par des frappes aériennes meurtrières de la Coalition dirigée par l’Arabie saoudite.
« La Grande-Bretagne, le Canada, la France, l’Iran et les États-Unis ont continué à soutenir les parties au conflit y compris par des transferts d’armes, contribuant ainsi à perpétuer le conflit » Extrait du rapport
Le district Aslam, Hajjah au Yémen, où cette photo a été prise, a souvent été victime des lacunes du système d’aide internationale. Sur cette photo du 25 août 2018, un homme nourrit des enfants avec du halas, une vigne grimpante aux feuilles vertes. Dans cette poche isolée du nord, les Yéménites en sont souvent réduits à manger des feuilles bouillies de cette vigne endémique pour éviter la famine, sans que l’aide n’atteigne les nombreuses familles qui en ont le plus besoin. (AP Photo/Hammadi Issa)
Pas de respect pour le peuple yéménite
Après six années de conflit armé acharné, toutes les parties continuent à ne montrer aucun respect pour le droit international ou pour la vie, la dignité et les droits des personnes au Yémen, selon le groupe d’experts.
Les enquêteurs ont constaté une série de violations répétées du droit international, des droits de la personne et du droit humanitaire dans ce pays.
Le groupe d’experts a également déclaré que toutes les parties au conflit ont continué à diriger « des attaques systématiques contre les civils », non seulement dans le contexte des hostilités mais aussi loin des lignes de front.
Le panel a souligné qu’il n’y a pas de mains propres dans ce conflit.
Le jour de la publication, Melissa Parke, membre du panel, a indiqué aux journalistes que la responsabilité de ces actes « incombe à toutes les parties concernées ».
« Des violations ont été et continuent d’être commises par le gouvernement du Yémen, les autorités de facto (Houthis), le Conseil de transition du Sud et les membres de la Coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. »
Une explosion soulève un nuage alors que les combattants soutenus par la coalition avancent sur la ville portuaire de Mocha, en mer Rouge, au Yémen, sur cette photo du 11 janvier 2017, dans le cadre d’une campagne qui a finalement permis de reprendre la ville aux rebelles chiites Houthi. (AP Photo)
Parmi les violations des droits de la personne constatées, on peut citer :
- la privation arbitraire de la vie,
- les disparitions forcées,
- la détention arbitraire,
- la violence fondée sur le sexe, y compris la violence sexuelle,
- la torture et les autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant,
- le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les hostilités,
- le déni du droit à un procès équitable,
- les violations des libertés fondamentales et des droits économiques, sociaux et culturels.
En outre, le groupe d’experts a conclu que certaines des attaques perpétrées par la Coalition et les Houthis semblent avoir été menées sans tenir compte des « principes de distinction, de proportionnalité et de précaution » pour protéger les civils et les biens de caractère civil.
Il rappelle aussi que les attaques disproportionnées et sans discrimination constituent des crimes de guerre en vertu du droit international coutumier.
Sur cette photo d’archive du 25 août 2017, des personnes inspectent les décombres de maisons détruites par les frappes aériennes dirigées par les Saoudiens à Sanaa, au Yémen. Les groupes d’aide affirment que les frappes aériennes de la coalition détruisent des infrastructures essentielles et que la coalition doit faire plus pour faciliter la livraison de carburant, de nourriture et de médicaments dans les ports yéménites. (AP Photo/Hani Mohammed, archive)
Terre torturée
« Le Yémen reste une terre torturée, avec une population tellement ravagée que cela devrait choquer la conscience de l’humanité », a déclaré Kamel Jendoubi, président du groupe d’experts.
Le panel a réitéré l’urgence de parvenir à un cessez-le-feu général et à une paix durable et inclusive, et a exhorté les parties à prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux violations en cours et en prévenir d’autres.
Le Groupe a également souligné que les parties et la communauté internationale devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour que les auteurs des violations commises au Yémen répondent de leurs actes et que les victimes puissent exercer leur droit à réparation.
Sur cette photo du 1er août 2019, un combattant Houthi tire en l’air lors d’un rassemblement visant à mobiliser davantage de combattants pour le mouvement Houthi, à Sanaa, au Yémen. Les rebelles houthis ont bloqué la moitié des programmes d’aide des Nations Unies dans ce pays déchiré par la guerre – une tactique musclée pour forcer l’agence à leur donner un plus grand contrôle sur la campagne humanitaire massive, ainsi qu’une réduction de milliards de dollars de l’aide étrangère, selon les responsables de l’aide et des documents internes obtenus par The Associated Press. (AP Photo/Hani Mohammed, Archive)
Kamel Jendoubi a aussi indiqué que « la communauté internationale a la responsabilité de mettre fin à cette pandémie d’impunité, et ne doit pas fermer les yeux sur les graves violations qui ont été commises au Yémen ».
Après des années à documenter le terrible coût de cette guerre, personne ne peut dire « nous ne savions pas ce qui se passait au Yémen », croit l’expert. La responsabilité est essentielle afin de garantir la justice pour le peuple yéménite et pour l’humanité.
La version officielle de ce rapport, intitulé « Yémen : une pandémie d’impunité dans un pays torturé », sera soumise au Conseil des droits de l’homme lors de sa quarante-cinquième session le 29 septembre 2020.
Avec des informations du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations Unies, Reuters, CBC News.