Isabel Charron et Roxane Léouzon, Clinique internationale de défense des droits humains de l’UQAM, 10 décembre 2018
Le secteur minier est d’une grande importance pour l’économie canadienne. Plus de 50% des compagnies minières au monde sont enregistrées au Canada. Parmi ces compagnies, on retrouve les plus importantes à l’échelle internationale. Celles-ci investissent dans des activités d’exploration à l’étranger environ 2,2 milliards de dollars américains chaque année et exploitent près de 4000 installations réparties dans plus de 100 pays, principalement en Amérique latine et en Afrique.
Allégations de complicité
Considérant l’instabilité politique et parfois même l’existence de conflits armés dans ces régions, certaines compagnies extractives canadiennes font appel à des groupes armés ou agences de sécurité pour assurer leur protection.
Ce fut le cas d’Anvil Mining et Talisman Energy, qui ont fait l’objet de poursuites parce qu’entre autres choses leurs biens matériels avaient été utilisés par des groupes armés qui avaient commis des violations de droits de la personne. Des organisations telles que l’ONU, Amnistie Internationale Canada, Mining Watch, Global Witness ou Rights and Accountability in Development ont dénoncé la complicité de compagnies minières canadiennes dans la perpétration de violations des droits aussi fondamentaux que le droit à la vie et à l’intégrité physique. Que ces allégations soient fondées ou non, il n’en reste pas moins qu’elles sont de plus en plus nombreuses à faire les manchettes.
Position du Canada
En juin 2005, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international du Canada présentait un rapport énonçant plusieurs recommandations, entre autres l’établissement de mécanismes et de normes juridiques pour encadrer les activités à l’étranger de ces compagnies. Malgré ces recommandations, la position du Canada demeure immuable : c’est aux pays hôtes, c’est-à-dire celui où les activités minières ont lieu, que revient la responsabilité première d’assurer le respect des droits de la personne. Cette situation pose problème puisque, dans plusieurs pays où des violations sont susceptibles de se produire, l’état de la justice est discutable.
Le cas de la Colombie est particulièrement intéressant puisqu’il s’agit d’un pays où il y a d’importants investissements canadiens et une forte présence de compagnies minières canadiennes. Il y a quelques jours, un accord de libre-échange a été signé entre les deux pays malgré le fait que 90% des crimes demeuraient impunis en Colombie. Est-il possible d’envisager que ce pays puisse poursuivre adéquatement les compagnies minières qui se trouvent sur son territoire, alors que ce même État est souvent montré du doigt pour de semblables violations. De plus, même s’il était en mesure de mener de telles poursuites, serait-ce dans son intérêt de le faire? La Colombie a un avantage certain à garder les investisseurs étrangers qu’elle a mis tant d’efforts à attirer.
Responsabilité du Canada
Du point de vue juridique, il y a, d’une part, la Loi canadienne sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui permet de poursuivre une compagnie ou ses dirigeants pour de tels crimes commis à l’extérieur du pays. Cependant, aucune poursuite n’a été autorisée par le Procureur général du Canada depuis l’adoption de cette loi en l’an 2000.
D’autre part, une poursuite en dommages et intérêts pour des violations des droits de la personne commis à l’extérieur du Canada peut être déposée devant les tribunaux québécois à condition, entre autres conditions, que le défendeur soit domicilié au Québec. Le juge québécois peut cependant refuser d’entendre de telles poursuites en invoquant que la justice serait mieux servie dans le pays de la survenance du méfait. Or, renvoyer une cause en Colombie signifierait probablement nier à la victime toute possibilité de compensation, étant donné les lacunes du système judiciaire de ce pays.
Cette question est d’actualité. En effet, une poursuite est présentement pendante devant la Cour supérieure du Québec contre Green Park International et Green Mount International, deux compagnies québécoises accusées de crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés. La décision prochaine du juge québécois d’entendre le litige ou de le renvoyer en Israël constituera un précédent important.
Le gouvernement canadien n’a toujours pas répondu à un rapport déposé en mars 2007 par un groupe consultatif tripartite, composé de représentants du secteur minier, d’organisations non gouvernementales et du gouvernement, et qui proposait des mécanismes afin d’assurer plus de transparence dans le traitement de ce type d’allégations.