Caravane au Catatumbo : la culture autochtone en danger

Photo © Periferia Prensa Alternativa

Dans la région du Catatumbo se trouvent de nombreuses communautés autochtones qui sont fortement affectées par le conflit armé, et ce de manière différenciée. La Caravane humanitaire a visité pendant deux jours la communauté Bridikayra, où vit le peuple Barí.

Introduction par Sabine Bahi


Desanestesico et Juan Alejandro Echeverri – Periferia Prensa Alternativa

BRIDIKAYRA/Catatumbo. Leurs liens avec la forêt vierge sont plus nombreux qu’avec la société occidentalisée, leur culture est peu symbolique, leur langue est parlée mais non écrite, ils et elles sont chasseur.ses et cueilleur.ses, timides et de petite taille, et sont en danger d’extermination culturelle.

Ce sont les Autochtones Barí, les premier.ères habitant.es du Catatumbo. Ce peuple binational survit aujourd’hui malgré la chasse impitoyable à laquelle s’est livrée l’Espagne lors de son invasion coloniale. Malgré toutes les vies détruites par la South American Gulf Oil Company (SAGOC) pour exploiter les gisements de pétrole concédés par le gouvernement national dans les premières décennies du siècle dernier.

Bien que le peuple habite toujours la région aujourd’hui, la colonisation et l’exploitation des combustibles fossiles lui ont fait perdre des territoires. Peu à peu, les Barí ont été acculé.es dans la partie moyenne supérieure de la montagne. Les dépouiller de ce qui leur appartenait autrefois, c’est aussi mettre en péril leurs pratiques culturelles, qui dépendent intrinsèquement de leur environnement.

Devant la Caravane internationale pour le Catatumbo, qui a entamé hier sa dernière ligne droite en visitant la communauté autochtone de Bridikayra, son représentant s’est inquiété des nouvelles menaces qui pèsent sur le territoire : l’extraction du charbon, l’ouverture de nouvelles mines – légales et illégales – et l’exploitation de gisements de pétrole inactifs.

Bridikayra, l’une des 23 communautés qui peuplent la réserve Motilón Barí, est l’un des rares endroits où le Bohío existe encore. Une structure faite de feuilles de palmier et de poutres en bois. C’est l’épicentre de l’énergie et de la coexistence, car c’est là que les familles dorment, chantent des chansons rituelles, cuisinent et transmettent leur façon de voir et d’être au monde à leurs plus jeunes enfants. La culture Barí est basée sur la simplicité. Perdre quelque chose d’aussi fondamental que le lieu de socialisation et de coexistence les rend beaucoup plus perméables aux habitudes consuméristes promues par les dynamiques extractives.

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Ángel Ojebra, habitant de la communauté de Bridikayra, remue le cacao qu’il a cultivé au soleil avec la patience et la sagesse qu’il a acquises au cours de ses 60 ans, bien qu’il semble en avoir vécu un peu plus. Il vit avec sa femme ; ses 6 enfants et 4 petits-enfants vivent dans les maisons voisines. Il fait vivre sa famille avec le cacao qu’il cultive. Chaque fois qu’il y a une récolte, il apporte son chargement au chef de la municipalité de Convención. Avec l’argent récolté après la vente, il achète de la farine, des légumes, du riz, de l’huile et des pommes de terre qu’il apporte à la réserve.

Frayner Abakdara Ashurida Dochimanu se tient à la porte de sa maison en bois. Il tend la main un peu timidement. Son fils cadet dort dans un hamac, une pile de couches usagées sur le sol, et au-dessus de lui un régime de bananes. La lumière du soleil pénètre dans la cuisine pendant que nous parlons et que sa femme Leidy prépare des bananes plantains pour le repas du soir.

Comme Angel, Frayner travaille dans les champs à planter du cacao. Lorsque nous lui demandons son âge, il répond qu’il ne le sait pas et vient chercher sa carte d’identité. Il vient d’avoir 29 ans, le 16 juillet. Le temps passe différemment ici, c’est pourquoi même l’âge n’est pas présent.

Pendant que nous parlons, l’une de ses filles est occupée à manger de la sapote. Nous lui demandons s’il y a un arbre à proximité, il nous demande en souriant si nous en voulons un et va mettre ses chaussures. Nous disons au revoir à sa femme et à sa fille, le bébé dort encore. Frayner nous emmène près de la rivière où se trouve l’arbre à sapote. Nous en attrapons et descendons vers l’affluent. Il nous explique qu’il n’y a presque plus de poissons, à cause des résidus chimiques des cultures de coca qui sont déversés dans la rivière. Ils doivent maintenant se rendre plus en aval, là où la rivière est plus profonde, pour pêcher au harpon et au masque.

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Le poisson est la principale source de protéines du régime alimentaire des Barí. Les dégâts causés à la rivière, l’un de leurs principaux garde-manger, ont entraîné des changements dans les habitudes alimentaires. Des produits ultra-transformés et trop sucrés ont remplacé les aliments qu’ils avaient l’habitude d’acheter dans leur environnement.

Aujourd’hui, la communauté de Bridikayra souffre d’un problème notoire de malnutrition, ainsi que d’épidémies sporadiques de paludisme, de tuberculose et de malaria. Le représentant de la communauté a expliqué hier à la Caravane qu’il n’y avait pas de poste de santé, et encore moins de personnel qualifié pour fournir des soins de santé primaires lorsque ces problèmes de santé surviennent. C’est pourquoi il a demandé aux membres de la Caravane, dans la mesure du possible, de rendre le problème visible et de plaider pour la garantie de ce droit fondamental dans leur communauté.

Aux problèmes culturels et sanitaires s’ajoute aujourd’hui un conflit territorial causé par l’inefficacité et le non-respect de l’État. Dans la zone où se trouvent la communauté Bridikayra et la réserve Motilón Barí, il existe une mosaïque de lois sur la conservation de l’environnement, notamment la Ley Segunda sur les zones de réserve forestière et le parc naturel national. En réponse à la demande d’extension de la réserve formulée par le peuple Barí, la Cour constitutionnelle a ordonné à l’État de délimiter précisément les nouvelles dimensions de la réserve dans l’arrêt T052 de 2017.

Des paysan.nes veulent aussi développer leur propre territorialité dans la zone revendiquée par le peuple Barí. Dans certaines régions, l’apathie de l’État, qui est le principal responsable du règlement du conflit, a entraîné des tensions entre les parties. Tant les Autochtones que les paysan.nes ont tenté de parvenir à des accords et cohabiter sur le territoire, mais, selon un dirigeant paysan, les fonctionnaires actuel.les du gouvernement nommé.es pour résoudre le problème disent aux communautés autochtones que c’est la faute des paysan.nes, et disent aux paysan.nes que c’est la faute des Autochtones.

À ce jour, une solution satisfaisante pour les deux secteurs concernés est loin d’être trouvée.

De leur côté, comme l’a dit le dirigeant de Bridikayra, les Barí sont clair.es sur deux points : ils et elles ne veulent aucun type d’économie extractive sur leur territoire ; et quand les fonctionnaires disent que les paysan.nes et les Autochtones devraient trouver un accord pour débloquer la situation, ils et elles répondent vertement que «nous [les Barí] n’avons aucune raison de nous battre avec eux et elles [les paysan.nes], nous ne nous battons pas non plus, le problème doit être résolu avec le gouvernement».

Cet article a été traduit de l’espagnol par Sabine Bahi avec l’aide de la version gratuite de DeepL.