Pendant quatre mois, le régime politique néolibéral du Chili a été secoué par des révoltes. Les mêmes organisations de jeunes et de travailleurs qui luttaient hier pour des conditions de vie dignes, s’organisent aujourd’hui pour faire face à la crise sanitaire que le gouvernement compte bien faire tomber sur le dos des classes populaires.
Pepe Balanyà, Le vent se lève, 7 avril 2020
Bien que les chiffres de l’Amérique latine ne soient pas encore comparables à ceux des États-Unis, de l’Italie, de l’Espagne, de la Chine, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, qui enregistrent individuellement plus d’infections que les 24 544 cas enregistrés dans tous les pays de la région au 2 avril 2020, le virus va frapper beaucoup plus durement dans cette région.
Aucun des pays d’Amérique latine ne dispose des ressources matérielles et des infrastructures des premières puissances mondiales. Les systèmes de santé publique des pays de la région ont été pratiquement démantelés au profit des grands groupes privés nationaux et multinationaux. Pour avoir une idée, le Brésil consacre 3,8 % de son PIB à la santé publique, contre 7,9 % au Royaume-Uni, 8 % en Espagne et près de 10 % en France et en Allemagne. Dans le même temps, le Brésil a une population trois fois plus importante que celle de ces pays. Le cas récent le plus impactant venant illustrer cette vulnérabilité face au virus, c’est l’Equateur où plus de 450 corps ont été comptés dans les rues et les maisons en raison du collapse des morgues.
La réponse des travailleurs organisés pour faire face à la crise sanitaire
La réponse devant la crise sanitaire qui commence à toucher la région, ne vient évidemment pas des gouvernements et des capitalistes qui ont démantelé le système de santé publique ces dernières années et qui poussent au maintien de la production non essentielle, mais bien des travailleurs et des classes populaires organisés. C’est le cas des jeunes et des travailleurs de différents secteurs intégrant le Comité de Emergencia y Resguardo à Antofagasta, une ville ouvrière au nord du Chili.
Ce comité, qui rassemble des jeunes lycéens et étudiants, des travailleurs du secteur privé (comme les mineurs et les travailleurs portuaires) et du secteur public (comme les médecins et les enseignants), est né début décembre lors de la révolte qui a secoué le régime politique néolibéral de Sébastian Piñera. Si hier ce Comité dénonçait les mensonges des médias officiels, organisait la grève et les premiers secours pour les manifestants blessés pour la répression, aujourd’hui il s’organise pour faire face à l’urgence sanitaire.
Ce 6 avril, en lien avec des chimistes volontaires, les travailleurs des mines, de l’industrie, de la santé et de l’éducation ont entamé la production de gel hydro alcoolique et des masques pour les distribuer parmi le personnel sanitaire et les familles les plus exposées à la pandémie à cause des politiques du gouvernement et du patronat. En effet le gouvernement de Piñera a décidé de laisser aux mains de la spéculation commerciale des produits sanitaires fondamentaux comme les masques ou les gels.
Le Comité a également dénoncé les patrons des entreprises non-essentielles qui obligent leurs travailleurs à fournir leurs services au risque d’être infectés, comme c’est le cas de l’industrie minière de la région.
L’exemple des travailleurs d’Antofagasta et leur lutte s’est rapidement répandu et divers syndicats se sont unis à l’initiative. C’est le cas du Syndicat des travailleurs du nettoyage XXI siècle, le Syndicat de Minera Guanaco, le Syndicat Inter entreprise Métallurgistes Unis, le Syndicat Clinique La Covertura, ou encore les peuples originaires de Miramar.
Alors que la gestion de la crise sanitaire met en lumière les conséquences catastrophiques du capitalisme et les énormes inégalités qui traversent le système, il est de plus en plus clair que la seule réponse face à la misère qui veulent nous imposer le patronat et leurs gouvernements, viendra des travailleurs organisés. Si au Chili ce sont seulement les travailleurs qui se battent pour fournir du matériel médical aux soignants et les plus vulnérables, en France ce sont aussi les travailleurs, comme dans l’aéronautique ou l’automobile, qui se battent pour la fermeture des secteurs non-essentiels ou encore pour la reconversion de la production afin de soutenir les besoins des hôpitaux publics.