Entrevue avec Haydee Obereuter, sous-secrétaire des Droits humains de mars 2022 à mars 2023, par notre correspondante Celia Sales.

Après 27 ans de dictature, le général Pinochet sera destitué par référendum au Chili. Il mourra quelques années après sans être jugé de toutes les violences exercées par son régime. Aujourd’hui, l’État chilien n’arrive pas à payer sa dette historique à sa population, malgré l’établissement de différents projets de loi et de commission d’enquête.

Haydee_Oberreuter lors de sa nomination en 2022 comme sous-secrétaire des Droits humains au Chili – @crédit photo De Luxio72 – Trabajo propio, CC BY-SA 4-0 via wikicommons

De passage au Québec, nous avons rencontré Haydee Obereuter, ancienne professeure, militante et femme politique chilienne. Ancienne prisonnière politique durant la dictature du général Pinochet au Chili, elle est nommée sous-secrétaire des Droits Humains pendant un an sous le gouvernement du président en fonction Gabriel Boric. Elle lutte en faveur de la justice sociale et de la réparation de la dette historique de l’État chilien envers les victimes de la dictature des années Pinochet.

La violence quotidienne : un traumatisme ambiant

Après des années de silence, les victimes témoignent peu à peu à travers le pays. Tous et toutes se souviennent de la disparition d’un proche, de la peur de voir débarquer des militaires au pied de sa porte, de la surveillance constante. Toutes et tous pouvaient être des ennemis de la dictature : opposants, activistes, famille d’activistes, femmes, indigènes, homosexuel·les.

Bon nombre ont été transportés dans des camps de détention où la torture et l’humiliation décrivaient le quotidien des incarcérations. Haydee sera prisonnière dans un de ces camps. Les militaires lui ont retiré son bébé, procédant à un avortement forcé : « Ils m’ont dit que mon fils était un terroriste. Avant même qu’il naisse, il était déjà un ennemi à la patrie ». D’autres enfants ont été retirés de leur famille pour être adoptés à l’étranger ou par des membres de l’oligarchie. Il fallait à tout prix que les « rouges » n’éduquent pas la nouvelle génération. Il ne faut pas que ces enfants sachent.

Vaincre l’impunité : une course contre le temps

Pour payer la dette historique, l’État doit reconnaître l’entièreté des responsabilités de la dictature. Aujourd’hui, beaucoup de disparitions forcées, de tortures sexuelles, n’ont pas été reconnues par l’État malgré tous les témoignages. Les commissions de réconciliation et de vérité n’ont effectué qu’un travail de surface. Les réparations accordées ont toujours été des dédommagements économiques. Mais l’argent ne rachète pas les familles divisées et les mémoires traumatisées. La Ley Valech n’a reconnu que 2% des victimes.

Pour Haydee, le peuple chilien s’est tu trop longtemps. Le silence et la honte des humiliations subies empêchent de se souvenir. Partager des expériences c’est favoriser l’union sociale. C’est dire aux victimes de ne pas avoir honte et de s’apercevoir qu’elles ne sont pas seules. En continuant d’attendre, l’État impose un passé qui ne pourra jamais être réparé. Les dirigeant·es et les militaires meurent sans avoir rendu compte de leurs actes.

Mais qui est coupable ? Qui doit payer ? Parce que tout le monde dit être victime et donc personne ne prend la responsabilité des horreurs. Selon Haydee, c’est l’ensemble des agents étatiques de l’époque de la dictature qui sont les responsables des violences en premier : « C’est l’État qui doit prendre la responsabilité des atrocités mises en place durant la dictature. Le respect des Droits humains est une compétence réservée à l’État, sinon il s’agit de cas de violence entre personnes. À partir du moment où un policier met l’uniforme, il représente l’État. Quand il agit avec l’uniforme, il décide d’appliquer les directives ».

Chili – affiches sur les assassinats par l’État – novembre 2019 @John Englart (Takver) CC BY-SA 2-0 via wikicommons

La mémoire des corps et des esprits

Malgré une volonté de faire oublier, la terreur et l’impunité régissent les comportements sociaux. Selon Haydee, « La société chilienne est une société qui ne sait pas débattre. Il est difficile de discuter avec une personne qui ne partage pas les mêmes opinions, parce qu’elle ne va pas t’écouter ». Elle raconte : « Parfois, on me dit, mais pourquoi tu n’oublies pas ? Il faut passer à autre chose ». Mais se taire c’est laisser la méfiance et le secret guider la société.

Bien que les souvenirs et les preuves s’effacent, les corps n’oublient pas. L’attitude de la société chilienne démontre que les traumatismes de ce passé ne sont pas oubliés. Il est essentiel que les nouvelles générations sachent. Il faut éviter que l’histoire se répète. L’impunité banalise cette violence. Si rien de grave n’est arrivé, tout peut se répéter.

Haydee a l’habitude de se rendre dans les universités pour diffuser cette mémoire et sensibiliser les jeunes aux erreurs d’un passé encore proche. « À la fin de chaque rencontre, on demande de venir nous voir s’ils ont des témoignages à nous rapporter. Je suis toujours surprise de voir qu’à la fin il y a beaucoup d’étudiants qui viennent et qui sont prêts à nous aider ». Les nouvelles générations savent que sans soigner les blessures du passé il sera difficile d’avancer ensemble. Comment s’identifier à un État qui est responsable du propre mal de sa population et qui n’assume pas ?

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Célia Sales
Celia Sales est diplômée en Études internationales de l'Université de Montréal et poursuit une maîtrise en sciences politiques à l'UQAM. Correspondante au journal, elle a participé au Forum social mondial de Katmandou en février 2024 et elle est tout juste de retour du Pérou.