Déclaration de parlementaires, d’universitaires et d’organisations de la société civile du Québec et du Canada en lien avec les récentes initiatives politiques et judiciaires en faveur de l’impunité pour les crimes contre l’humanité au Chili
Nous, parlementaires de divers partis politiques, universitaires et représentants de grandes centrales syndicales et d’organisations sociales du Québec et du Canada, souhaitons exprimer notre vive inquiétude devant les récentes décisions de la Cour d’appel de Santiago qui absolvent huit responsables de crimes contre l’humanité et réduisent les peines de neuf autres. Bien que ces jugements soient actuellement étudiés par la Cour suprême du Chili, le Regroupement des proches de détenus disparus (Agrupación de Familiares de Detenidos Desaparecidos) a fait valoir que cette décision de la Cour d’appel constitue un grave précédent qui semble démontrer la loyauté du système judiciaire envers l’héritage de la dictature militaire d’Augusto Pinochet et annule tous les progrès en matière de droits humains, si durement acquis au Chili. Avec cette décision, le Chili se dérobe de toutes ses obligations à l’égard du droit pénal et humanitaire international et de la garantie de non-répétition pour les crimes contre l’humanité, qui sont pourtant aux fondements du système international.
Par contraste, le fait que la même Cour d’appel ait refusé tout récemment à des milliers de détenus arrêtés dans le contexte des manifestations organisées depuis octobre 2019 la possibilité de purger leur peine à domicile semble démontrer un biais et une partialité inquiétants. Les organisations internationales les plus influentes en matière de droits humains, comme le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et la Commission interaméricaine des droits de l’homme, ont pourtant demandé sans relâche au Chili de respecter les conventions internationales en matière de liberté d’expression et de manifestation. Nous nous rallions à ces importantes requêtes qui n’ont reçu jusqu’à maintenant ni l’attention du pouvoir judiciaire ni celle du pouvoir politique chilien.
Nous voulons aussi exprimer notre profonde préoccupation face à l’éventualité que le pouvoir politique chilien tente de profiter du contexte de pandémie afin de présenter différents projets de loi qui favorisent l’impunité des responsables de crimes contre l’humanité. En ce sens, bien que nous reconnaissions l’importance du rejet, par le Tribunal constitutionnel du Chili, de l’inclusion des militaires condamnés pour crimes contre l’humanité dans la proposition de l’exécutif de libération de détenus de droit commun ayant purgé les deux tiers de leur peine afin de réduire les risques associés à la COVID-19 en milieu carcéral, de vives inquiétudes subsistent quant à un autre projet de loi, actuellement en discussion.
Ainsi, nous souhaitons exprimer notre inquiétude la plus vive devant le projet de « loi humanitaire » no 12. 345-07 du gouvernement chilien, qui vise la libération de tous les condamnés de crimes contre l’humanité âgés de plus de 75 ans. Ce dernier a récemment été soumis au débat avec une motion spéciale de caractère urgent, afin que le Sénat de la République doive s’y pencher sans délai. La relance avec motion d’urgence de ce projet de loi, originellement déposé en décembre 2018, envoie un message très clair à la communauté internationale : les secteurs progouvernementaux du Chili ne s’arrêteront pas tant qu’ils n’auront pas réussi à faire libérer les coupables de crimes contre l’humanité. Selon la déclaration du 14 avril dernier du ministre Hernán Larraín, si le projet de loi est adopté par la commission constitutionnelle du Sénat, pas moins de 83 des 122 bénéficiaires de cette loi au niveau national seraient des personnes ayant été condamnées pour crimes contre l’humanité. En d’autres mots, cette loi semble faite pour octroyer l’impunité aux coupables de crimes contre l’humanité.
Alors que la communauté internationale célèbre la capture de responsables de crimes contre l’humanité au Rwanda, nous sommes très inquiets devant les efforts incessants du Chili pour tenter de libérer des personnes responsables de crimes de même nature et gravité par voie législative. Bien que ce projet de loi doive suivre des procédures législatives dont les résultats demeurent incertains, en tant que Québécois et Canadiens, l’existence même d’une telle proposition nous préoccupe au plus haut point. Cela signifierait que le pouvoir politique au Chili interviendrait en faveur de l’impunité pour crimes contre l’humanité, ce qui entrainerait de très graves conséquences et violerait toutes les obligations internationales du Chili sur le plan de la garantie de non-répétition. Si ce projet de loi venait à être adopté, il engendrerait des problèmes insolubles en matière de standards de droit international, ce qui ternirait à jamais l’image et la réputation du Chili sur la scène internationale et au Canada. Nous sommes certains que les audiences publiques convoquées par la commission constitutionnelle du Sénat de la République du Chili pourront mener les parlementaires chiliens à prendre l’unique décision possible pour respecter le droit international et rejetteront le projet de loi 12 345, comme l’ont décidé en majorité les membres de la commission des droits humains du Sénat de la République.
Il est de notre devoir d’informer les grands médias du Québec et du Canada ainsi que nos représentants politiques de la gravité de la situation. Les députés membres de la mission québécoise et canadienne d’observation des droits humains au Chili, Sol Zanetti et Simon-Pierre Tremblay-Savard, ont aussi dénoncé cette situation devant le parlement québécois et canadien. À leur tour, de nombreux parlementaires de différents partis au niveau fédéral et provincial prennent aujourd’hui la parole en adhérant à la présente déclaration, afin de dénoncer toute initiative de loi qui favoriserait l’impunité en matière de crimes contre l’humanité. En plus de la présente déclaration, nous travaillons en collaboration avec d’autres grandes organisations nationales afin d’informer la population québécoise et canadienne et d’obtenir leur appui lors de prochaines campagnes internationales de dénonciation de l’impunité des crimes contre l’humanité au Chili. Nous adhérons aux déclarations récentes des organisations membres du Réseau de lieux de mémoire, de la Corporation de promotion de défense des droits du peuple (CODEPU) et du Regroupement de proches de détenus disparus pour demander au gouvernement chilien et à toutes ses institutions, incluant la Cour d’appel, de respecter intégralement les conventions internationales concernant les droits humains que le Chili a signées et de respecter les standards internationaux les plus élevés.
Nous réitérons notre appui aux organisations chiliennes et internationales qui veillent sur le respect des droits humains et le respect des obligations internationales du Chili. En ce sens, nous nous réjouissons de la mise en marche prochaine du Mécanisme national de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’Institut national de droits humains à l’Institut national de droits humains.