KLARE Michael T. TomDispatch le 24 août 2021 (traduction par la rédaction de A l’Encontre)
Ces derniers mois, Washington a eu beaucoup à dire sur la puissance aérienne, navale et de missiles en constante expansion de la Chine. Mais lorsque les responsables du Pentagone abordent le sujet, ils parlent généralement moins des capacités actuelles de ce pays, qui restent largement inférieures à celles des Etats-Unis, que du monde qu’ils prévoient au cours des années 2030 et 2040, lorsque Pékin devrait avoir acquis un armement bien plus sophistiqué.
« La Chine a investi massivement dans les nouvelles technologies, avec l’intention déclarée d’achever la modernisation de ses forces d’ici 2035 et de disposer d’une “armée de classe mondiale” d’ici 2049 », a déclaré le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, en juin 2021. Les Etats-Unis, a-t-il assuré à la Commission des forces armées du Sénat, continuent de posséder « la meilleure force de combat interarmées de la planète ». Mais ce n’est qu’en dépensant d’innombrables milliards de dollars supplémentaires chaque année, a-t-il ajouté, que notre pays peut espérer « dépasser » les progrès prévus par la Chine dans les décennies à venir.
Il se trouve cependant qu’un tel raisonnement comporte une faille importante. En effet, voici une donnée garantie : d’ici 2049, l’armée chinoise (ou ce qu’il en restera) sera tellement occupée à faire face à des méga-incendies, des inondations et des bouleversements provoqués par le changement climatique – menaçant la survie même du pays – qu’elle n’aura pas la capacité, et encore moins la volonté, de lancer une guerre contre les Etats-Unis ou l’un de ses alliés.
Il est normal, bien sûr, que les responsables militaires des Etats-Unis se concentrent sur les mesures standard de la puissance militaire lorsqu’ils discutent de la supposée menace chinoise, notamment les budgets militaires en hausse, les forces navales plus importantes, entre autres. Ces chiffres sont ensuite extrapolés sur des années jusqu’à un moment envisagé où, selon ces mesures type, Pékin pourrait dépasser Washington. Aucune de ces évaluations ne tient toutefois compte de l’impact du changement climatique sur la sécurité de la Chine. En réalité, à mesure que les températures à l’échelle mondiales augmentent, ce pays sera ravagé par les graves effets de l’interminable urgence climatique et sera contraint de déployer tous les instruments du gouvernement, y compris l’Armée populaire de libération (APL), pour défendre le pays contre des inondations, des famines, des sécheresses, des incendies de forêt, des tempêtes de sable et les empiétements toujours plus désastreux des océans.
La Chine ne sera pas seule dans ce cas. Déjà, les effets de plus en plus graves de la crise climatique obligent les gouvernements à engager des forces militaires et paramilitaires dans la lutte contre les incendies, la prévention des inondations, les secours en cas de catastrophe, la réinstallation des populations et parfois le simple maintien des fonctions gouvernementales de base. En fait, au cours de cet été marqué par des événements climatiques extrêmes, les forces militaires de nombreux pays, dont l’Algérie, l’Allemagne, la Grèce, la Russie, la Turquie et – oui ! – les Etats-Unis, se sont retrouvées engagées dans de telles activités, tout comme l’APL.
Et comptez sur une chose : ce n’est que le début. Selon le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, les événements climatiques extrêmes, qui se produisent avec une fréquence de plus en plus effrayante, seront de plus en plus destructeurs et dévastateurs pour les sociétés du monde entier, ce qui, à son tour, impliquera que les forces militaires, un peu partout, se verront confier un rôle croissant dans la gestion des catastrophes liées au climat. « Si le réchauffement de la planète s’accentue », note le rapport, « il y aura une plus grande probabilité que des événements [climatiques extrêmes] d’une intensité, d’une durée et/ou d’une étendue spatiale sans précédent dans les comptes rendus d’observations se produisent. » En d’autres termes, ce dont nous avons été témoins au cours de l’été 2021, aussi dévastateur que cela puisse aujourd’hui paraître, sera amplifié par un multiple dans les décennies à venir. Et la Chine, un grand pays aux multiples vulnérabilités climatiques, aura clairement besoin de plus d’aide que la plupart des autres pays.
Le précédent de Zhengzhou
Pour saisir la gravité de la crise climatique à laquelle la Chine sera confrontée, il suffit de se rappeler la récente inondation de Zhengzhou, ville de 6,7 millions d’habitants et capitale de la province du Henan. En l’espace de 72 heures, entre le 20 et le 22 juillet, Zhengzhou a été submergée par ce qui, autrefois, aurait été un volume de précipitations équivalant à une année normale. Il en a résulté – et c’est comme si vous aviez vu l’avenir de la Chine en action – des inondations d’une ampleur sans précédent et, sous la force de l’eau, l’effondrement des infrastructures locales. Au moins 100 personnes sont mortes à Zhengzhou même – dont 14 qui étaient coincées dans un tunnel de métro inondé jusqu’au plafond – et 200 autres dans les villes environnantes. Outre les dégâts considérables causés aux ponts, aux routes et aux tunnels, les inondations ont submergé plus d’un million d’hectares de terres agricoles et endommagé d’importantes cultures vivrières.
En réponse, le président Xi Jinping a appelé à une mobilisation de tout le gouvernement pour aider les victimes des inondations et protéger les infrastructures vitales. « Xi a appelé les fonctionnaires et les membres du Parti à tous les niveaux à assumer leurs responsabilités et à se rendre sur le terrain pour guider les travaux de contrôle des inondations », selon CGTN, un réseau de télévision appartenant au gouvernement. « Les troupes de l’Armée populaire de libération et des forces de police armées chinoises devraient coordonner activement les travaux de sauvetage et de secours locaux », a exigé Xi des hauts fonctionnaires.
L’APL a répondu avec empressement. Dès le 21 juillet, selon le quotidien gouvernemental China Daily, plus de 3000 officiers, soldats et miliciens du Commandement central de l’APL ont été déployés à Zhengzhou et dans ses environs pour participer aux secours. Parmi les militaires ainsi dépêchés, une brigade de parachutistes de l’armée de l’air de l’APL a été chargée de renforcer deux brèches de barrage dangereuses le long de la rivière Jialu, dans la région de Kaifeng. Selon le China Daily, la brigade a construit un mur de sacs de sable de 1,6 kilomètre de long et de 90 centimètres de haut pour consolider le barrage.
Ces unités ont rapidement été complétées par d’autres. Finalement, quelque 46 000 soldats de l’APL et de la police armée populaire ont été déployés dans le Henan pour participer aux opérations de secours, ainsi que 61 000 membres de la milice. Il est important de noter que parmi eux se trouvaient au moins plusieurs centaines de membres des forces de l’APL chargées des missiles, la branche militaire responsable de l’entretien et du tir des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) à charge nucléaire de la Chine.
La catastrophe de Zhengzhou est importante à bien des égards. Elle a démontré la faculté du réchauffement climatique à infliger de graves dommages à une ville moderne pratiquement du jour au lendemain et sans avertissement. A l’instar des pluies torrentielles dévastatrices qui ont saturé les rivières d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas, deux semaines plus tôt, l’averse dans le Henan a été causée en partie par la capacité accrue de l’atmosphère réchauffée à absorber l’humidité et à s’attarder à un endroit, puis à déverser toute l’eau stockée sous forme d’une cascade gigantesque. De tels événements sont désormais considérés comme un résultat distinctif du changement climatique, mais leur date et leur lieu sont rarement prévisibles. Par conséquent, si les responsables météorologiques chinois ont mis en garde contre un épisode de fortes précipitations dans le Henan, personne n’a imaginé son intensité et aucune précaution n’a été prise pour éviter ses conséquences extrêmes.
De manière inquiétante, cet événement a également mis en évidence des défauts importants dans la conception et la construction des nombreuses « villes nouvelles » de Chine, qui ont vu le jour ces dernières années lorsque le Parti communiste chinois (PCC) s’est efforcé de relocaliser les travailleurs ruraux appauvris dans des métropoles modernes et hautement industrialisées. Généralement, ces centres urbains – le pays compte aujourd’hui 91 villes de plus d’un million d’habitants chacune – se révèlent être de vastes conglomérats d’autoroutes, d’usines, de centres commerciaux, de tours de bureaux et d’immeubles d’habitation. Pendant leur construction, une grande partie de la terre d’origine est recouverte d’asphalte et de béton. Par conséquent, lorsque de fortes pluies se produisent, il reste peu de ruisseaux dans lesquels les eaux de ruissellement peuvent s’écouler. Par conséquent, les tunnels, les métros ou les autoroutes situés à proximité sont souvent inondés, menaçant ainsi la vie humaine de manière désastreuse.
Les inondations du Henan ont également mis en évidence une autre menace pour la sécurité future de la Chine liée au climat : la vulnérabilité aux fortes pluies et aux débordements des rivières de nombreux barrages et réservoirs du pays. Les zones de basse altitude de l’est de la Chine, où se concentre la majeure partie de la population, ont toujours souffert d’inondations et, historiquement, les dynasties successives – la dernière en date étant le PCC – ont dû construire des barrages et des digues pour contrôler les réseaux fluviaux. Nombre d’entre eux n’ont pas été entretenus correctement et n’ont jamais été conçus pour le type d’événements extrêmes que nous connaissons actuellement. Pendant les inondations du Henan en juillet, par exemple, le réservoir de Changzhuang, vieux de 61 ans, près de Zhengzhou, s’est rempli jusqu’à atteindre des niveaux dangereux. Il a failli s’effondrer, ce qui aurait infligé une deuxième catastrophe à cette ville. En fait, d’autres barrages dans la région environnante se sont effondrés, provoquant des dégâts considérables aux cultures. Au moins une partie des forces de l’APL envoyées en urgence au Henan ont été mises à contribution pour construire des murs de sacs de sable afin de réparer les brèches des barrages sur la rivière Jialu.
L’avenir climatique périlleux de la Chine
L’inondation de Zhengzhou n’a été qu’un incident isolé, qui a mobilisé l’attention des dirigeants chinois pendant un moment relativement bref. Mais c’était aussi un signe avant-coureur indéniable de ce que la Chine – qui est aujourd’hui le plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde – va subir de plus en plus fréquemment à mesure que les températures à l’échelle mondiale augmentent. Elle sera particulièrement vulnérable aux graves conséquences du changement climatique. Cela signifie que le gouvernement central devra consacrer des ressources publiques à une échelle encore inimaginable, encore et encore, à des mesures d’urgence comme celles observées à Zhengzhou, jusqu’à ce qu’elles deviennent des événements continus, sans temps mort.
Dans les décennies à venir, chaque pays sera, bien sûr, ravagé par les effets extrêmes du réchauffement climatique. Mais en raison de sa géographie et de sa topographie, la Chine est particulièrement exposée. Nombre de ses plus grandes villes et de ses zones industrielles les plus productives, dont, par exemple, Guangzhou, Shanghai, Shenzhen et Tianjin, sont situées dans des zones côtières de faible altitude, le long de l’océan Pacifique. Elles seront donc exposées à des typhons de plus en plus violents, à des inondations côtières et à une élévation du niveau de la mer. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2013, de toutes les villes de la planète, c’est Guangzhou, dans le delta de la rivière des Perles, près de Hong Kong, qui est confrontée au risque le plus élevé de dommages, financièrement parlant, dus à l’élévation du niveau de la mer et aux inondations qui y sont associées. Sa voisine Shenzhen a été qualifiée comme étant confrontée au 10e risque le plus élevé.
D’autres régions de Chine sont confrontées à des menaces tout aussi redoutables liées au changement climatique. Les régions centrales densément peuplées du pays, y compris les grandes villes comme Wuhan et Zhengzhou ainsi que les zones agricoles vitales, sont traversées par un réseau massif de rivières et de canaux qui sont souvent inondés après de fortes pluies. Une grande partie de l’ouest et du nord-ouest de la Chine est couverte par le désert. La combinaison de la déforestation et de la baisse des précipitations y a entraîné la poursuite de l’extension de cette désertification. De même, une étude réalisée en 2018 a suggéré que la plaine de Chine du Nord, très peuplée, pourrait devenir l’endroit le plus meurtrier de la planète suite aux vagues de chaleur dévastatrices d’ici la fin du siècle et pourrait, d’ici là, s’avérer inhabitable. Il s’agit de catastrophes futures qui étaient presque inimaginables.
Les risques climatiques propres à la Chine ont été mis en évidence dans le nouveau rapport du GIEC, intitulé « Changements climatiques 2021 ». Parmi ses conclusions les plus inquiétantes :
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L’élévation du niveau de la mer le long des côtes chinoises se produit à un rythme plus rapide que la moyenne mondiale, avec pour conséquence la perte de zones côtières et le recul du littoral.
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Le nombre de typhons de plus en plus puissants et destructeurs qui frappent la Chine est appelé à augmenter.
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Les fortes précipitations et les inondations qui en découlent vont devenir plus fréquentes et plus étendues.
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Les sécheresses prolongées deviendront plus fréquentes, en particulier dans le nord et l’ouest de la Chine.
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Les vagues de chaleur extrêmes seront plus fréquentes et dureront plus longtemps.