FRANÇOIS BOUGON, médiapart, 5 février 2020
Mais où est donc passé Wang Yupu ? Le ministre de la gestion des situations d’urgence a disparu de la scène publique depuis des mois et des mois. Alors que la lutte contre le nouveau coronavirus bat son plein en Chine, cette absence – maladie ou possible enquête pour corruption en raison de ses liens avec la « faction du pétrole » menée par l’ancien grand responsable de la sécurité du régime Zhou Yongkang, lui-même en prison après avoir été condamné ? – est l’une des nombreuses zones d’ombre entourant la crise actuelle. C’est le secrétaire général du Parti communiste du ministère, Huang Ming, qui a pris la situation en main.
Le ministère avait pourtant été créé début 2018 pour éviter notamment que ne se renouvelle l’échec de la précédente épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2002-2003. Trop de responsabilités étaient partagées entre différents ministères et organismes de l’État.
En 2016, Xi Jinping s’était engagé à tout rationaliser dans le cadre d’une réforme de l’État-parti, en accord avec la loi sur la réponse aux situations d’urgence adoptée en 2007 qui prévoyait la mise en place d’un « système de gestion des interventions d’urgence comprenant principalement une direction uniforme, une coordination complète, une gestion par classification, des responsabilités hiérarchiques et une gestion territoriale » (article 4). Et ce nouveau ministère, créé officiellement en avril 2018, était censé diriger les opérations en cas de catastrophes naturelles mais aussi de crises sanitaires. Et surtout de mettre l’accent sur la prévention.
C’est aussi l’une des grandes interrogations de cette crise du nouveau coronavirus : pourquoi ce nouveau système de prévention n’a pas fonctionné ? Certains jugent que le tout jeune ministère, qui en était à ses débuts, ne dispose pas encore de la force nécessaire pour s’imposer. On peut se dire aussi que la volonté de Xi Jinping, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, de tout contrôler et la peur qu’il a instillée au sein du parti ne permettent pas de créer les conditions de transparence nécessaires à ce type de crise sanitaire.
Lundi, Huang Ming a présidé une réunion du ministère, au cours de laquelle, selon les médias chinois, il a été évoqué la nécessité de remédier aux « lacunes du système et de sa capacité » et de tirer les leçons de l’épidémie actuelle.
Les questions des responsabilités politiques au plus haut niveau ne semblent cependant pas encore à l’ordre du jour. Le 27 janvier, le maire de Wuhan avait reconnu des erreurs dans la prise en compte de l’épidémie, tout en se dédouanant : l’information était sensible et il ne lui revenait pas de la rendre publique, selon les textes en vigueur…
La légitimité de l’État-parti est en jeu, d’où le soin de mettre de côté les sujets gênants tout en déroulant un scénario classique : mobilisation générale contre le virus, création d’un groupe spécial pour la coordonner – dont le premier ministre Li Keqiang est responsable – et appel à toutes les ressources disponibles, celles du parti et de l’armée populaire de libération.
Wuhan mayor says city’s governance ‘not good enough’ as coronavirus spreads. © Guardian News
Lundi 3 février, le comité permanent du bureau politique, présidé par le secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) Xi Jinping, s’est réuni une nouvelle fois pour traiter de la lutte contre le coronavirus, qui touche tout le pays et dont l’épicentre est la ville de Wuhan dans la province centrale du Hubei.
Aucune image n’a été diffusée de cette réunion d’importance – certains décèlent dans cette disparition de l’image de Xi Jinping une preuve de sa mise en difficulté – et le journal du soir de CCTV à 19 heures, heure locale – la grand-messe pour connaître en détail les activités des maîtres du pays – en a rendu compte de manière sobre en récitant et publiant des extraits sur fond bleu.
Son compte-rendu occupait également une grande partie de la une du Quotidien du peuple, l’organe du PCC de mardi. Il est difficile d’en rendre compte en détail, mais à sa lecture, et en allant au-delà du jargon typique de ce genre de texte, on se rend compte à quel point cela chauffe à Zhongnanhai, le siège des dirigeants chinois, non loin de la Cité interdite à Pékin.
Xi Jinping, cité dans la dépêche de l’agence officielle Chine nouvelle (Xinhua), a averti : « Le problème le plus critique est de mettre en œuvre le travail avec soin. » Traduction : certains n’en font qu’à leur guise, mais qu’ils fassent attention à leur carte du Parti, à leur poste et aux avantages qui en découlent…
Tout le texte est cependant un équilibre entre la nécessité de mobiliser les troupes – des cadres du parti et de l’armée –, tout en menaçant ces satanés récalcitrants auxquels il faut rappeler la nécessaire discipline. Le PCC joue toujours gros lorsque sa légitimité est en jeu. Et les retards à l’allumage de la part des cadres locaux constituent un bon handicap. Pour tenter de contrer cet effet négatif, Xi Jinping promet au peuple des sanctions exemplaires à ceux qui se laisseraient tenter par ce qu’il appelle « le formalisme [faire semblant de remplir sa mission – ndlr] et la bureaucratie ».
Les ordres ne sont bien entendu pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Dès le lendemain, la Commission de discipline de la province du Hubei avait trouvé un coupable idéal : l’un des pontes de la Croix-Rouge locale accusé d’avoir mal organisé la collecte et la distribution des dons. Limogeage et blâme, rien ne lui a été épargné.
Pour mettre en musique cette exaltation des héros et la mise au ban des « méchants », l’appareil de propagande est essentiel, a souligné Xi Jinping. C’est ce qu’on appelle en Chine le travail « d’orientation de l’opinion publique ».
« Nous devons faire connaître en détail les principaux mécanismes de prise de décision du Comité central du parti, rendre pleinement compte de l’efficacité des mesures conjointes de prévention et de contrôle dans diverses régions et départements, évoquer de façon vivante les histoires touchantes en provenance de la ligne de front de la prévention des épidémies, raconter l’histoire de la lutte de la Chine contre l’épidémie et montrer l’esprit d’unité et de cohésion du peuple chinois. […] Il est nécessaire de faire face aux problèmes existants, de publier des informations faisant autorité en temps opportun, de répondre aux préoccupations des masses, d’améliorer la rapidité, la pertinence et le professionnalisme, et de guider les masses pour renforcer leur confiance. »
Au journal du soir de CCTV mardi, l’un des responsables du ministère de la propagande, Zhang Xiaoguo, a précisé que « dans la nuit même le ministère de la propagande a transmis et étudié les mesures à appliquer ». Plus de 300 journalistes ont été dépêchés dans le Hubei et à Wuhan pour cette tâche d’importance.
Et sur son compte Weibo, l’équivalent de Twitter, le Quotidien du peuple a publié mardi un post, accompagné d’un dessin que le réalisme socialiste des années 1950 et 1960 – on y voit notamment deux médecins héroïques Zhong Nanshan et Zhang Dingyu – n’aurait pas renié, avec ce commentaire : « Dans de nombreux endroits, des cadres dirigeants ont été tenus pour responsables, la prévention et le contrôle de l’épidémie est un test important, certains obtiennent des scores importants, d’autres échouent. Bien faire ou mal faire ce n’est pas pareil, les récompenses et les punitions sont sans ambiguïté. »
Pendant ce temps, de nombreux pays étrangers, parmi lesquels la France, continuent à évacuer leurs ressortissants. Certains ferment leurs frontières aux personnes en provenance de Chine. Mercredi, la porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois Hua Chunyin a émis une critique de tous ceux qui nourrissent la panique. « La panique est une maladie encore plus terrifiante », a-t-elle dit aux journalistes, soulignant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait recommandé de ne pas prendre des mesures de restriction des déplacements.
Elle a également cité les médias américains, selon lesquels « la grippe saisonnière aux États-Unis a infecté 19 millions de personnes et tué plus de 10 000 personnes », ajoutant : « À l’heure de la mondialisation, les intérêts et les destins de chaque pays sont liés. Pour faire face à une crise de santé publique, ce n’est qu’en s’unissant et en coopérant pour surmonter ensemble les difficultés que nous pourrons véritablement sauvegarder nos intérêts communs. »