
En temps de guerre, la protection de l’environnement est souvent oubliée par les partis qui se livrent au conflit armé. Nombreux sont les pays qui ont vu cette richesse précieuse et indispensable à la survie populaire devenir la cible d’attaques destructives.
La conférence « Polycrise et droit international humanitaire : l’environnement en période conflit armé » était organisée par la Croix-Rouge canadienne et l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM). Cette 5e édition des rendez-vous Gérin-Lajoie à l’initiative de l’IEIM a permis à une série d’expert.es de se prononcer sur la façon dont le droit international humanitaire (DIH) peut servir à protéger l’environnement lors en temps de guerre.
Le DIH, un cadre juridique international
Le DIH est un cadre juridique qui vise à limiter les effets des conflits armés en temps de guerre et celui-ci évolue progressivement pour mieux servir les causes environnementales. Les crises actuelles, qui ont souvent une nature multidimensionnelle, forcent le cadre juridique existant à s’élargir et reconnaître l’intersection des causes humanitaires et environnementales.
En effet, le DIH protège d’abord les populations civiles et les personnes qui ne participent plus au conflit. Sophie Rondeau, directrice et conseillère juridique à la Croix-Rouge canadienne, explique que le DIH « vient limiter le type d’armes et la façon dont on fait la guerre ».
« La façon dont les hostilités sont conduites peuvent avoir et ont souvent un effet sur l’environnement », ajoute-t-elle. L’intersection du DIH et de la cause environnementale survient lorsque les attaques lancées lors de la guerre visent à détruire l’environnement ennemi de façon délibérée.
Le largage « d’agent orange », un herbicide de défoliation, sur les terres agricoles du Mékong pendant la guerre du Vietnam ou les incendies de pétrole au Koweït déclenchés par les États-Unis en 1991 sont des exemples sans équivoque de ce genre d’attaques.
C’est d’ailleurs à la suite des événements au Vietnam que la Convention de l’ONU sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles a été adoptée en 1976. Malheureusement, même les pays ayant ratifié cette convention continuent de l’enfreindre à ce jour.
L’environnement comme facteur aggravant les conflits
« L’environnement naturel est généralement reconnu comme un bien civil, qui bénéficie donc des protections correspondant au DIH », explique Marcel Goyoneche, conseiller technique spécialisé sur les liens entre climat et conflits au Climate centre de la Fédération internationale de Croix-Rouge (CICR). Les ressources qui sont indispensables à la survie de la population, telles que l’eau potable et les terres agricoles, sont ainsi protégées par les normes juridiques du DIH.
Cependant, les changements climatiques et la façon dont les méthodes de guerres contribuent à ce phénomène viennent complexifier cet enjeu. L’augmentation de l’insécurité alimentaire et le manque d’eau potable grandissant sont des conséquences du réchauffement climatique qui peuvent exacerber les tensions existantes dans certaines régions et mener à des conflits armés.
Hengameh Irandoust, représentante du Centre d’excellence de l’OTAN sur le changement climatique et la sécurité, souligne la façon dont les changements climatiques agissent en tant que multiplicateur de menace en aggravant les insécurités préexistantes liées à d’autres causes.
En fait, non seulement est-ce que les conflits armés ont un impact sur l’environnement, mais les changements climatiques peuvent également exacerber les enjeux qui causent ces conflits.
Hengameh Irandoust pointe vers l’exemple du Sahel, où la pauvreté et le manque de développement s’additionnent à la dégradation et la désertification de l’environnement pour entraîner la précarité alimentaire et hydrique. Cette crise humanitaire et les déplacements massifs de la population qu’elle engendre sont propices à l’émergence de groupes rebelles. « Les gens, par manque de gouvernance, vont se tourner vers ces groupes-là pour leur protection », explique-t-elle.
L’experte souligne toutefois que les changements climatiques ont également un impact sur l’état de préparation, les opérations et les stratégies des forces militaires. « Cela peut ainsi augmenter le niveau de reconnaissance et d’actions concrètes de la part de groupes militarisés, qui subissent les conséquences de leur propre destruction environnementale », développe-t-elle.
Ainsi, il existe une certaine intersection entre le DIH et la protection environnementale, mais elle repose souvent dans la complémentarité des deux enjeux.
À ce sujet, Marcel Goyoneche explique que « les traits du DIH n’abordent pas explicitement la notion de changements climatiques, mais il contient des règles et des principes qui sont applicables à l’environnement naturel [et] dont le respect peut mener à l’atténuation des changements climatiques et de la dégradation environnementale ».
Roland Touwendé Ouédraogo, chargé de cours à l’UQAM et à l’Université de Montréal ainsi que membre de l’Observatoire sur l’Agenda 2030 des Nations Unies, explique qu’au-delà du régime du DIH, le droit international environnemental protège également l’environnement en période de conflit armé grâce à l’existence de conventions. Par exemple, la Convention de Paris pour la protection du patrimoine mondial culturel naturel et certains autres textes confèrent un statut spécial à certains espaces naturels.
Un cadre juridique difficile à déployer
Roland Touwendé Ouédraogo considère toutefois qu’il faudrait une meilleure coordination et applicabilité des règles qui sont en place pour protéger l’environnement en période de conflit armé. Selon lui, « le Droit international repose essentiellement sur la bonne foi et la volonté des États ». « Ce ne sont pas tant les règles qui manquent, mais [plutôt] leur application effective concrète tous les jours », soutient-il.
Les États responsables des dommages causés à l’environnement s’exposent à des sanctions et des pressions internationales à la suite d’un passage devant les tribunaux. Malheureusement, force est de constater que la mise en marche de tous les mécanismes qui mènent à ces conséquences reste assez difficile.
« Si on met tous ces mécanismes ensemble qui répondent aux différentes réalités, on a un système qui est complexe et qui est complet, [mais] qui est difficile à mobiliser », admet Sophie Rondeau.
Marcel Goyoneche est néanmoins venu nuancer ces constats. « La situation est encourageante à partir de la perspective que ces espaces de discussion existent et la recherche et la volonté de comprendre comment ces éléments interagissent sont présentes », estime-t-il.
D’après ce dernier, il est également essentiel de prendre en compte le fait que le DIH, par sa nature, sera toujours réactif aux situations qui interpellent son intervention plutôt que d’être proactif. Ainsi, il a fallu que des événements de destruction environnementale aient lieu pour poser les bases de ce cadre juridique et d’autres événements surviendront qui permettront de l’élargir.
Panélistes de l’événement « Polycrise et droit international humanitaire : l’environnement en période conflit armé » du 10 avril 2025
- François Audet, directeur de l’IEIM
- Roland Touwendé Ouédraogo, chargé de cours à l’UQAM et à l’Université de Montréal, membre de l’Observatoire sur l’Agenda 2030 des Nations Unies ;
- Marcel Goyoneche, Climate Centre de la Fédération internationale de Croix-Rouge (CICR) ;
- Ann Ellefsen, avocate, Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), chercheure à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH) ;
- Hengameh Irandoust, scientifique de la défense, Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC), représentante du Centre d’excellence de l’OTAN sur le changement climatique et la sécurité ;
- Sophie Rondeau, directrice et conseillère juridique, éducation humanitaire, Croix-Rouge canadienne.
Modératrice :
- Fanny Dagenais-Dion, candidate à la maîtrise en droit UQAM, coordonnatrice DIH, Croix-Rouge canadienne.
Pour visionner la conférence: