Théa Lombard, correspondante au Journal
Ces derniers mois, la crise sociale, politique et économique en Haïti n’a cessé de se renforcer, alimentée par une forte instabilité politique, la violence de gangs armés ainsi que les intérêts de se puissances étrangères mettant à mal la souveraineté du peuple.
Le Conseil présidentiel de Transition, chargé d’organiser la vie politique, a nommé Gary Conille en tant que premier ministre. La nomination de l’ancien directeur régional de l’UNICEF chargé de l’Amérique latine et des Caraïbes, au profil international et aux études américaines, interroge sur le futur d’Haïti, notamment en lien avec l’intervention des États-Unis au sein du pays.
La conférence No War But Class War qui s’est tenue à New York, se concentra également sur Haïti à travers un atelier intitulé Haïti: intervention vs revolution sur lequel s’appuie cet article. Ill mit ainsi l’accent sur la situation politique et sociale et le rôle des puissances étrangères dans la crise traversant le pays.
Actuellement, la capitale est contrôlée par les gangs, le pays connaissant pillages, pauvreté et insécurité. La population subit une importante crise humanitaire par la pénurie de nourriture, de médicaments et de produits de base. 60% de la population haïtienne vit sous le seuil de pauvreté et les accès à l’éducation, au logement et au travail se font de plus en plus précaires.
L’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse en juillet 2021 acheva de plonger le pays dans une profonde instabilité marquée par différentes rivalités et intérêts. Ariel Henry assura le pouvoir par intérim, jusqu’sa démission le 11 mars 2024, confronté à la pression de gangs armés notamment, réclamant sa démission.
Le déploiement de l’armée kenyane
Deux gangs armés, le G9 et G-Pep, se sont en effet unifiés afin de contrer les forces étrangères promouvant l’impérialisme et leurs implications dans les affaires du pays. En effet, le Canada, les États-Unis et la France ne cessent de démontrer leur intérêt au sein du pays et leur volonté d’intervention.
Le déploiement d’une force multinationale, demandée notamment de l’ancien président Ariel Henry,menée par le Kenya sous l’égide de l’ONU est soutenue et encadrée par les États-Unis. Retardée depuis plusieurs semaines, l’arrivée des soldats kényans est prévue dans les semaines à venir.
Cette coalition militaire inquiète la population, déjà mise à mal par la situation politique et encore traumatisée de la venue de soldats népalais, à la suite du tremblement de terre en 2010. Les soldats avaient en effet créée une épidémie de choléra et commis de nombreux crimes sexuels. De plus, les forces armées kényanes, ne parlent ni créole ni français, un obstacle conséquent à la communication avec la population.
Contestée par plusieurs réseaux de la société civile et politique, notamment au Kenya, l’arrivée des troupes kényanes vise à contrer la violence des gangs armés. Elle est pour certains figure de paix et de justice internationale, pour d’autres, une nouvelle intervention étrangère qui bafoue la souveraineté du pays et du peuple.
L’ONG Humans Rights Watch dénonce cette intervention étrangère, « la mission faisant face à des questionnements s’agissant du « respect des droits humains », mais aussi du financement. La police kényane est souvent accusée d’utilisation excessive de la force et d’exécutions extrajudiciaires ».
L’intervention des troupes kényanes n’apparaît ainsi pas être une solution durable et efficace pour régler les problèmes du pays.
L’intérêt de l’Oncle Sam
Les États-Unis n’ont en effet de cesse d’appliquer une politique impérialiste à travers les décennies.
Donald Trump signa notamment en 2019 le Global Fragility Act, justifiant une intervention américaine militaire par des accords bilatéraux afin « d’aider » les pays en fragilité. Cette intervention en Haïti
n’est pas que militaire et leur imposition dans le marché économique du pays notamment concernant l’agriculture et la nourriture s’est renforcée.
Le Global Fragility Act semble être davantage une réponse économique et idéologique à la
puissance de la Chine et au développement de nouvelles routes de la Soie. L’intérêt des États-Unis porte davantage sur des opportunités politiques, économiques, géostratégiques, notamment en raison de la proximité géographique du pays avec Cuba, que sur la consolidation de la paix d’Haïti.
L’intervention de forces armées étrangères apparaît à nouveau comme un moyen de consolider le pouvoir des élites politiques à la tête du pays, protéger les intérêts divers des États-Unis. Elle renforce ainsi davantage la position et la politique impérialiste américain au sein d’Haïti. La violence des gangs armés est alors utilisée afin de promouvoir la nécessité d’une intervention, sans concertation du peuple.
Il faut également rappeler le rôle des politiques et oligarques nationaux, mais également des États-Unis dans l’armement des gangs haïtiens, permettant ainsi une autre lecture des événements politiques actuels.
Une aide et solidarité internationale peuvent être mises en place, mais seulement si elles respectent et renforcent la souveraineté du peuple haïtien dans les politiques et le futur du pays, sans le partage et renforcement d’une idéologie impérialiste.
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Atelier Haiti : Intervention vs Revolution à la conférence No War, But Class War, tenu le dimanche 2 juin dernier à l’Université Long Island de Brooklyn.
Panélistes : Kim Ives, Berthony Dupont, Jocelyne Gay, Mary Paule Floristal et Pierre Gedeon.