Extrait d’un rapport produit par le Congrès du travail du Canada, mars 2019
Au cours des décennies récentes, les personnes ordinaires s’identifiant en tant que musulmanes se sont fait caricaturer, craindre, attaquer, diffamer et diaboliser dans la culture et les médias populaires, le discours politique et la vie de tous les jours. Ce traitement inéquitable est fondé sur le racisme et la discrimination structurels et institutionnels et a commencé longtemps avant les attentats survenus aux États-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001, mais il s’est intensifié au resserrement des lois sur la sécurité nationale et des mesures de lutte contre le terrorisme par suite de ces événements. Depuis une décennie, les mouvements et les partis politiques portant la bannière de la haine envers les musulmans ont proliféré, apparaissant dans de nouvelles régions, sous de nouvelles formes et avec une détermination nouvelle et faisant peser une menace nouvelle sur les musulmans.
L’islamophobie se manifeste avec différents degrés d’intensité dans différents pays, et le discours politique tenu au Canada n’est pas une copie carbone de celui des États-Unis ou de tout autre pays.Cependant, ce serait une grave erreur et une sous-estimation dangereuse de croire que les forces en question ne sont pas répandues et croissantes au Canada.
Le racisme envers les musulmans compte parmi les expressions les plus virulentes, les plus courantes et les plus violentes de haine dirigée contre un groupe qu’on puisse trouver actuellement au Canada. Le 27 janvier 2017, cette haine a explosé dans la tuerie de six fidèles à la grande mosquée de Québec, brisant des vies, des familles et une communauté entière. Pourtant, cet acte de terrorisme n’a été que l’éruption la plus destructrice de l’antagonisme répandu qui se poursuit à l’égard des personnes qui s’identifient en tant que musulmanes et de celles qui sont jugées être musulmanes.
Un sondage d’opinion publique mené en décembre 2018 a révélé qu’au moins le quart des répondants trouvaient que le Canada irait mieux en l’absence de musulmans et que plus d’un cinquième d’entre eux trouvaient que le pays se porterait mieux s’il comprenait plus de Blancs.
La lutte contre l’islamophobie doit avoir une large assise et englober la sensibilisation du public, la présentation de preuves et l’établissement de coalitions et de politiques.
Ces actions passent par une reconnaissance de la participation active du Canada au colonialisme et à son prolongement actuel qu’est l’impérialisme dans le Sud. Le mouvement syndical doit jouer un rôle clé dans ces efforts. Le mouvement syndical du Canada a défendu et continuera de défendre les personnes qui font l’objet de racisme, de discrimination, d’oppression et de haine. Bien que les syndicats du Canada aient réalisé de grands progrès dans la contestation du racisme et d’autres formes d’oppression, il reste beaucoup à dévoiler, à désapprendre, à contester, à freiner et à changer. C’est pour cela que le Congrès du travail du Canada (CTC) incite les syndicats et les travailleuses et travailleurs à bien comprendre l’islamophobie et à s’efforcer de l’éliminer
Selon la définition de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), qui est peut-être la plus large, l’islamophobie englobe non seulement la peur ou la haine irrationnelle des musulmans mais aussi « les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d’hostilité dirigés contre des personnes musulmanes précises ou les adhérents à l’islam en général. En plus de motiver des actes individuels d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie peut amener les gens à penser que les musulmans constituent de plus grandes menaces à la sécurité sur le plan institutionnel, systémique et sociétal, et à les traiter ainsi ».11 Le resserrement des lois sur la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme qui a commencé en 2001 a alimenté la surveillance et l’intimidation des musulmans au Canada et l’instauration d’un climat de surveillance, de peur et de suspicion.
Bien que les estimations de la taille de la population musulmane du Canada varient, les personnes qui s’identifient en tant que musulmanes constituent une population diverse, dynamique et petite mais croissante, particulièrement dans les grandes villes. Statistique Canada estime qu’il y avait en 2011 1,1 million de musulmans au Canada, soit 3,2 % de la population totale canadienne.22 En 2016, il y avait 760 000 personnes de plus de 15 ans qui s’identifiaient en tant que musulmanes au Canada.23 Par comparaison, les chrétiens constituaient le groupe religieux le plus grand du Canada, comptant 22,1 millions de personnes qui représentaient 63,7 % de la population totale
Bien que nous ne disposions que de données restreintes sur les revenus et l’emploi des personnes qui s’identifient en tant que musulmanes, quelques généralisations sont possibles. En moyenne, les nouveaux venus au Canada qui s’identifient en tant que musulmans sont plus susceptibles que les autres d’avoir un faible revenu. Les immigrants qui s’identifient en tant que musulmans sont beaucoup plus susceptibles d’avoir un revenu annuel inférieur à 20 000 $ (46 %) que les personnes d’autres confessions qui ont immigré au Canada (29 %), et les immigrants musulmans sont moins susceptibles d’avoir des revenus de catégories plus élevées.
Le courant politique le plus important et le plus menaçant à l’heure actuelle au Canada et dans le monde entier est la résurgence des mouvements politiques revivalistes et de nationalisme ethnique qui ciblent, blâment et excluent les groupes marginalisés en raison de leur race, de leur origine ethnique, de leur culture et/ou de leur religion. Un des thèmes rassembleurs de l’identité et de la politique de ce courant est son hostilité envers les musulmans et l’Islam.
Loin d’être insensées ou le fruit d’une pure ignorance, ces dangereuses manifestations politiques découlent de pressions très réelles sur les revenus, les perspectives économiques et le statut social. Les bouleversements économiques et sociaux qui ébranlent les fondations des démocraties libérales occidentales menacent de plus en plus le vaste consensus établi au fil de décennies au sujet des valeurs partagées relatives à l’équité, aux droits de la personne et à l’inclusion sociale, politique et économique. Bien des membres de la population canadienne, et particulièrement les travailleurs et les travailleuses, éprouvent de la colère, de l’anxiété et de la frustration à l’égard d’un système économique et politique qui semble refuser ou être incapable d’être réceptif à leurs préoccupations ou de satisfaire à leurs besoins.
Ce climat confirme le besoin et le potentiel des syndicats et de leur programme d’inclusion, de justice sociale, de redistribution équitable de la richesse et de partage de la prospérité. Cependant, il est périlleux pour les syndicats. Jusqu’à présent, l’extrême-droite a répondu beaucoup plus rapidement et plus efficacement que la gauche au profond sentiment d’injustice des travailleuses et travailleurs. Dans l’Union européenne, aux États-Unis et en Amérique latine, c’est la droite plutôt que la gauche qui a canalisé jusqu’à présent le mécontentement très marqué à l’égard de la politique conventionnelle.
La dissension et la bouc-émissairisation font peser une grave menace sur les travailleuses et les travailleurs et sur leurs organisations, qui dépendent de l’inclusivité, de l’équité et de la solidarité pour acquérir du pouvoir économique et social. Les boucs émissaires sont les travailleurs et les travailleuses et leurs organisations. Si nous permettons au processus de se poursuivre, nous risquons de voir naître une minorité de citoyens de second ordre marginalisés, isolés et diffamés composée principalement de travailleurs musulmans racialisés. Les travailleurs et travailleuses et leurs syndicats ne peuvent pas se croiser les bras ou garder le silence devant la menace que représente l’extrême-droite. Ils doivent y riposter en incitant leurs membres à s’impliquer, en sensibilisant les gens et en s’attaquant sans détour à la discrimination au travail. Cela permettra non seulement d’assurer un avenir stable, inclusif et équitable à la société et à la démocratie canadiennes mais aussi de renouveler nos organisations et de confirmer que les syndicats demeurent des agents de changement social inclusif et progressiste.