Claude Calme publié dans les blogues de Médiapart*
Claude Calme est directeur d’études à l’Écoles des hautes études en sciences sociales à Paris, membre du Conseil scientifique d’ATTAC, de la LDH, d’Ensemble.
L’été 2021 aura été marqu é par des événements météorologiques aussi exceptionnels que destructeurs autant pour le milieu que pour les hommes et les femmes qui l’habitent. La récente COP26 sur le climat n’a rempli aucun de ses objectifs. Seule la rupture éco-socialiste avec le système économique et financier qui domine le monde est capable d’assurer la survie de l’humanité et de son environnement.
« Dôme de chaleur » avec des températures record dans le Nord-Ouest du Canada, pluies diluviennes et inondations en Allemagne et en Belgique, températures caniculaires et vastes incendies non seulement en Grèce et en Sicile, mais aussi en Californie, ouragan Ida qui a inondé la côte est des États-Unis et en particulier New York avec comme conséquence, dans chaque cas, des dizaines de morts et disparus. L’été 2021 aura été marqué par des événements météorologiques exceptionnels. Et cela pour ne mentionner que les pays du Nord, riche et économiquement prospère.
Crise environnementale : encore un rapport alarmiste
Publié en août dernier sous l’égide de l’Organisation Météorologique Mondiale le tout récent rapport sur le climat en Amérique latine et dans les Caraïbes, relève les sécheresses, les cyclones tropicaux, les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les ouragans dévastateurs et les incendies catastrophiques qui ont dévasté en particulier l’Amazonie [1]. L’impact environnemental de ces phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents est connu ; il s’étend de la contribution à la déforestation d’un continent qui offre 57% des forêts primaires du globe, signifiant la destruction de l’un des plus grands puits de carbone du monde, à l’acidification, au réchauffement et à l’élévation du niveau des océans. Quant aux conséquences humaines et sociales, elles vont des atteintes à l’agriculture vivrière aux déplacements contraints et à l’émigration forcée en passant par les problèmes sanitaires et énergétiques posés autant par le manque d’eau que par sa surabondance, auprès de populations par ailleurs fragilisées par l’épidémie de covid 19.
À ce propos le rapport remarque qu’en 2020, en dépit des restrictions imposées par l’épidémie, les concentrations de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote) sont en constante augmentation et il conclut, prudemment, que la limitation du réchauffement global à deux degrés depuis l’ère préindustrielle est essentielle pour réduire les risques dans des pays confrontés à de considérables inégalités économiques et sociales. C’est dire que dans les pays du Sud autant que dans les pays du Nord qui sont, Chine incluse, les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, le changement climatique a aussi bien des causes que des conséquences humaines et sociales devenues désormais inacceptables. La « crise » climatique, et plus généralement écologique, est désormais globale.
L’échec attendu de la COP 26 à Glasgow
C’est dans ce contexte que s’inscrivait la COP26. Son objectif était d’obtenir de tous les pays signataires des contributions pour atteindre le zéro carbone en 2050 [2]. Ce serait là la seule manière de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5°. Un tel objectif impliquerait, selon le document d’annonce de la grand messe climatique, le renoncement au charbon, l’investissement dans les énergies renouvelables, l’arrêt de la déforestation et le recours à des véhicules électriques ; mais cela exigerait aussi de rétablir les écosystèmes et en particulier de rendre l’agriculture plus « résiliente », sinon toute une série de mesures d’adaptation… Cela demanderait enfin : « le financement public pour le développement des infrastructures nécessaires pour la transition vers une économie plus verte et plus résiliente quant au climat », ainsi que les investissements privés dans des technologies innovantes favorables au rétablissement climatique.
On connait désormais d’issue la rencontre de Galsgow : les deux semaines de négociations viennent de s’achever sur un résultat désastreux, bien en-deçà des objectifs annoncés. Même dans l’optique du « green washing » qui a marqué toute la conférence, les engagements pris aboutissent à une limitation de l’augmentation globale des températures à 2, 4 degrés depuis le début de l’ère industrielle. On se souvient que la COP21 à Paris six ans plus tôt avait décidé in extremis d’une limitation à 1, 5 degrés. Par exemple l’objectif concret de « l’élimination progressive de la production d’électricité grâce au charbon et des subventions inefficaces aux combustibles fossiles a été réduit à une simple « diminution ». Aucune mesure concrète n’a été décidée quant à l’engagement pris à la COP15 à Copenhague en 2009 (!) de consacrer chaque année 100 milliards de dollars à un « fonds vert pour le climat » notamment en soutien aux pays pauvres pour faire face aux conséquences destructrices du changement climatique. Rappelons à ce propos que résidant dans les pays au PIB le plus élevé, le 10 % des personnes les plus riches est responsable de 50 % des émissions carbone sur la planète ; cela pour ne mentionner que cette pollution. Enfin la COP26 reste attachée au concept flou de la « neutralité carbone » qui inclut le marché des crédits carbone qui ne sont autres que des permis de polluer, mis à la disposition des pays les plus riches [3].
Or quant à l’accélération de la dégradation climatique le dernier rapport du GIEC, publié en août 2021, tire une fois de plus la sonnette d’alarme [4]. Il anticipe le fait que, même si le scénario de stabilisation proposé pour la COP26 était accepté, le plafond fixé à la COP21 à Paris en 2015 serait dépassé. En plus de l’élévation de la température et du niveau des océans le texte du GIEC rappelle que ce réchauffement additionnel continuera à amplifier la fonte du permafrost, et par conséquent le dégagement de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Et le rapport de conclure, une fois encore, que l’incidence des activités humaines sur le système climatique est incontestable.
Les conséquences destructrices d’un système capitaliste mondialisé
Ces constats conduisent donc non seulement à s’interroger sur le système économique, social et idéologique qui est à l’origine de pollutions environnementales dont le changement climatique n’est que l’une des manifestations. Mais ils nous imposent de repenser les rapports que les hommes et les femmes entretiennent avec un environnement que nous avons objectivé en « nature ».
D’un côté des communautés humaines pratiquement et culturellement soumises aux exigences matérielles de la mondialisation économique et financière par une marchandisation forcenée, fondée sur la sacro-sainte croissance ; de l’autre un environnement réduit à une nature dont on pourrait exploiter les ressources à notre usage, pour un profit qui s’avère essentiellement économico-financier sous l’égide de l’idéologie néolibérale.
D’un côté des rapports de domination d’ordre néocolonial permettant aux pays du Nord d’exploiter aussi bien les ressources considérées comme naturelle » que la force de travail des populations des Suds, cela dans la perspective d’une croissance animée par des critères uniquement économiques et financiers ; de l’autre des milieux et une biosphère fortement affectés par un système économique fondé sur le profit immédiat, impliquant extractivisme, productivisme et consommation de plus en plus effrénée.
Pour la justice politique, sociale et environnementale
Relisons une fois encore le chant choral qui marque le début de l’Antigone de Sophocle. Formé de vieillards de Thèbes, le chœur évoque les arts techniques qui permettent à l’homme de survivre en dépit de sa fragile condition de mortel ; tels sont la navigation, l’agriculture, la construction d’abris, la médecine. Et le groupe choral de conclure en chantant : « Détenteur d’un savoir industrieux pour l’art technique (tékhne, vers 365), l’homme prend tantôt le chemin du mal, tantôt celui du bien ».
Ainsi à l’égard d’un environnement qu’à partir de Descartes nous avons objectivé en un ensemble de ressources « naturelles », à exploiter par nos moyens techniques, l’exercice de ce savoir pratique a une double issue. L’homme de húpsipolis peut devenir ápolis : au sommet de sa cité, il peut en être exclu. Quels qu’en soient les modes de réalisation, la pratique de nos techniques et technologies s’inscrit dans le contexte social de la communauté civique. En rupture avec la logique capitaliste du profit, cet usage doit répondre aux besoins fondamentaux de l’ensemble de l’humanité en interaction avec l’environnement. Il en va de la survie de l’un et de l’autre.
Pour une gestion écosocialiste de l’interaction entre les humains en société et leur environnement par le biais des techniques et technologies , voir :
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-26-hiver-2020-2021/dossier-vers-la-fin-de-la-separation-societe-nature/article/l-homme-en-societe-et-ses-relations-techniques-avec-l-environnement-ni-nature
[1] Rapport « State of the Climate in Latin America & the Caribbean », Word Meteorological Organization, 17.8.21 – 2020https://storymaps.arcgis.com/stories/b9e1619f4897444babf79b21907b7910
[2] Cf. https://ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/07/COP26-Explained.pdf – p. 22.
[3] Voir en particulier: https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/131121/le-bilan-de-la-cop26-tient-en-3-mots-criminel-indecent-dilatoire
[4] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf