Nina Angerville, membre du collectif Jeunesse du FSMI 2025
Il s’agit d’une exposition poignante qui fut proposée le vendredi 30 mai dernier à l’UQAM dans le cadre du Forum social mondial des intersections. Réalisée par l’association VAL’IDER (Val’Inclusion, Droits, Émancipation, Résilience), « Corps colonisés, savoirs dominés : aux origines d’une médecine de la domination » fut conçue à l’origine comme un mémoire de recherche par Anissa Meziti, juriste engagée. Cette exposition immersive offrait un véritable voyage critique à travers l’histoire oubliée — voire effacée — de la gynécologie moderne.
Décoloniser le soin, redonner voix aux femmes racisées
C’est par une série de panneaux muraux, de collages photographiques et de textes incisifs que les participant·es ont été invité·es à parcourir cette frise historique des violences médicales faites aux femmes — particulièrement aux femmes racisées. Loin d’un récit neutre ou décontextualisé, l’exposition nous plongeait dans les racines coloniales, sexistes et racistes des savoirs médicaux contemporains.
Au centre du propos : la dépossession des femmes, de leurs savoirs empiriques et de leur autonomie corporelle. Les affiches collées au mur nous rappelaient avec rigueur comment, depuis l’Antiquité jusqu’aux politiques contemporaines, les corps des femmes ont été rendus objets d’expérimentation, soumis à des logiques souvent violentes et rarement consenties du pouvoir médical.
L’immersion ne s’arrêtait pas à la lecture des textes et à l’observation des images. En fond sonore, les participant·e·s pouvaient entendre des extraits du documentaire « Tu enfanteras dans la douleur » réalisé par Ovidie. Une bande sonore saisissante qui donnait encore plus de profondeur à l’expérience en nous plongeant dans la brutalité bien réelle des violences gynécologiques et obstétricales contemporaines.
Une œuvre poétique au cœur de l’exposition
Parmi les œuvres phares, le poème « Les fourberies de Scalpel » d’Anissa Meziti frappait par sa puissance. Il évoque, dans une langue crue et poignante, l’accouchement subi sans consentement, les décisions médicales prises dans l’indifférence du corps et de la voix des femmes. Une dénonciation frontale du « point du mari », cette suture supplémentaire parfois pratiquée sans en informer la patiente, uniquement pour le plaisir supposé de l’homme. Une pratique encore trop peu dénoncée, reflet d’une médecine patriarcale profondément ancrée dans le contrôle des corps féminins.
Un cercle de parole bienveillant
À la suite de la visite libre de l’exposition, un cercle de parole s’est tenu, dans une ambiance à la fois bienveillante, transparente et militante. Chaque personne présente était invitée à partager son ressenti, son expérience ou ses interrogations sur son rapport au corps, à la santé reproductive, et aux inégalités systémiques du système de soin.
Ce moment d’échange intergénérationnel et interculturel a permis des ponts très riches entre les réalités vécues au Québec et celles en France, plus particulièrement en Île-de-France et en Guadeloupe. Des femmes ont pu témoigner de leur vécu face à des violences obstétricales, à l’absence d’écoute des douleurs, à la surmédicalisation ou, à l’inverse, à l’invisibilisation de leurs besoins spécifiques. Il a aussi été question du principe méditerranéen, cette idée discriminatoire selon laquelle certaines femmes, selon leur origine ethnique ou sociale, seraient supposément plus « résistantes » à la douleur et donc moins dignes d’attention médicale.
Lors des échanges, un exemple tragique évoqué fut celui de Naomi Musenga, jeune femme de 22 ans décédée en France en 2017 après avoir été raillée par une opératrice du Samu alors qu’elle appelait au secours. Malgré ses plaintes répétées — « J’ai très mal, je vais mourir » —, on lui a répondu avec sarcasme : « Oui, vous allez mourir un jour, comme tout le monde. » Quelques heures plus tard, elle décédait. L’opératrice a finalement été condamnée pour non-assistance à personne en danger. Ce drame rappelle cruellement ce qui peut se passer lorsque l’écoute est absente, quand les institutions déshumanisent.
Des participantes québécoises ont partagé une histoire similaire survenue dans leur territoire, celle de Joyce Echaquan, femme atikamekw de 37 ans, morte à l’hôpital de Joliette en 2020 après avoir diffusé en direct les propos racistes et humiliants du personnel soignant alors qu’elle demandait de l’aide. Son décès a déclenché une vague d’indignation à travers le Québec et le Canada, révélant les violences systémiques vécues par les peuples autochtones dans le système de santé. Cette tragédie a donné naissance à des mobilisations pour la justice et l’humanité dans les soins, et renforcé les appels à écouter, croire et protéger la parole des bénéficiaires.
Une démarche politique et communautaire portée par VAL’IDER
L’association VAL’IDER, fondée et présidée par Anissa Meziti, ne se contente pas de dénoncer : elle agit concrètement pour l’émancipation et l’autonomie des femmes, en particulier celles touchées par le non-recours aux droits sociaux. Elle offre un accompagnement administratif, juridique et numérique personnalisé, anime des espaces de sensibilisation, et développe des partenariats pour renforcer l’inclusion sociale et l’égalité des genres.
L’exposition, construite avec les récits de femmes de Fontenay-sous-Bois, illustre parfaitement cette démarche de co-construction. Elle donne à voir, à lire, à ressentir… mais surtout à comprendre et à transformer. Le message est clair : décoloniser le soin, c’est refuser l’oubli, c’est dénoncer les violences systémiques et redonner le pouvoir aux femmes sur leurs corps et leur santé.
Une exposition nécessaire, un appel à l’action
Cette exposition n’est pas qu’un ensemble de panneaux. C’est un outil politique, éducatif et réparateur. Elle nous rappelle que la médecine n’est pas neutre et que l’histoire des femmes — en particulier racisées — a été marquée par la dépossession, le contrôle, la douleur et le silence. En rendant visible l’invisible, en replaçant les expériences au cœur du débat, VAL’IDER nous appelle à faire autrement : à bâtir une médecine de la dignité, de l’écoute, et de l’équité.