Crise démocratique au Niger : Les voix dissidentes réduites au silence

Ronald Cameron

Le 3 décembre 2024, Moussa Tchangari, intellectuel nigérien et secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens a été enlevé à son domicile par trois hommes armés en civil, et sa famille placée sous résidence surveillée. Les charges portées contre lui ont un air de déjà vu dans le Sahel : « Apologie du terrorisme,atteinte à la sûreté de l’État et association de malfaiteurs en relation avec le terrorisme ».

Depuis 2020, les putschs s’enchaînent dans la région : au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Puis, au Niger, que l’Occident considérait jusque-là comme le verrou sécuritaire de l’espace sahélien.

Le 26 juillet 2023, le président Mohamed Bazoum est renversé par sa garde présidentielle. Deux jours plus tard, la junte militaire déclare la création du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) dirigé par le général Abdourahmane Tchiani. Le CNSP resserre aussitôt son étau sur l’opposition et la dissidence. Les médias sont fortement censurés, plusieurs journalistes et blogueurs menacé·es et arrêté·es. L’autocensure devient une stratégie de survie. 

« C’est ce mythe qui s’est effondré, de façon plutôt brutale, au grand bonheur de ceux et celles qui rêvent de voir le pays renouer avec l’autoritarisme d’antan », écrit Moussa Tchangari dans un article publié par CERTI dès novembre 2023. 

Partenaire de longue date d’Alternatives, Tchangari est l’une des figures les plus respectées de la société civile nigérienne. D’abord militant étudiant sous les régimes militaires de Seyni Kountché et d’Ali Chaibou, il fonde en 1991 l’Association nigérienne des droits de l’homme, première organisation de défense des droits de la personne au Niger. Depuis toujours, sa voix dissidente dérange.

Critique de l’autoritarisme et de l’ingérence étrangère, Tchangari s’élève contre l’usurpation de la souveraineté du pays, plaide pour le départ des troupes étrangères du sol nigérien et revendique une redistribution équitable des ressources minières, en particulier l’uranium exploité depuis 1975 par la multinationale française Areva (devenu Orano). Depuis le coup d’État, il critique ouvertement le régime militaire et dénonce plusieurs de ses décisions, notamment le retrait d’agrément d’ONG.

Aujourd’hui, l’arrivée de régimes autoritaires dans la région a des racines communes : la guerre au terrorisme, la détérioration de la situation socioéconomique, l’ingérence des forces étrangères, mais aussi le ressentiment des populations contre les anciens pouvoirs coloniaux et la prédation néocoloniale qui continue d’exploiter les ressources du Sahel.

Si le putsch au Niger dénote une évolution du rapport à l’Occident et une soif populaire de se libérer du joug colonial, le bruit des bottes n’annonce rien de bon et précipite le pays — l’un des plus pauvres de la planète — dans une nouvelle ère d’autoritarisme. « Potentiellement, tout le monde peut être arrêté et interpellé, déplorait récemment Tchangari. C’est le chapitre de la démocratisation qui est fermé. » 

Ronald Cameron coordonne le Journal des alternatives, une plateforme altermondialiste (alter.quebec).