Des vinyles de grève au streaming militant : le retour du son collectif

Strike while the needle is hot, par Josh MacPhee & Kennedy Block
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Mégane Arseneau, correspondante en stage

À l’heure du streaming et des écouteurs individuels, Strike While the Needle Is Hot de Josh MacPhee ressuscite une culture militante oubliée : celle des albums créés par des grévistes. L’auteur explore comment le vinyle a servi d’outil de solidarité ouvrière aux quatre coins du monde.

Un lancement engagé au Flux Festival

C’est dans le cadre du Flux Festival que l’artiste, designer et archiviste new-yorkais Josh MacPhee, lance pour la première fois au Canada son tout dernier ouvrage : Strike While the Needle Is Hot. Un livre à l’intersection de la musique et des luttes.

Flux Festival en est à sa seconde édition et investit plusieurs lieux de la métropole avec une programmation variée qui marie pratiques artistiques, engagement politique et expérimentations sonores. Cette initiative mise sur la collaboration entre artistes et publics, locaux comme internationaux. C’est dans ce cadre résolument engagé qu’a lieu le lancement de ce livre à la galerie montréalaise Articule.

Dans une atmosphère feutrée, mais animée, on retrouve à l’arrière, un canapé et deux tables tournantes, prêts à faire entendre les disques évoqués dans l’ouvrage. À gauche, une table regroupe livres, cassettes et brochures; tout autour, les gens discutent, un verre à la main, en attendant le début de la présentation.

Strike While the Needle Is Hot

Josh MacPhee prend place à l’arrière des tables tournantes pour expliquer sa démarche. Son livre Strike While the Needle Is Hot répertorie plus de 80 albums vinyles produits dans des contextes de grèves à travers le monde : des objets militants, souvent autoproduits, qui documentent les luttes tout en tissant des solidarités. Il ne s’agit pas simplement de musique, mais d’un véritable patrimoine sonore ouvrier, conçu, enregistré, pressé et distribué tant par la collectivité que par les grévistes.

Strike While the Needle Is Hot veut mettre en lumière cette culture militante méconnue, où l’art sonore devient un levier politique. À travers ces vinyles, ce sont des histoires de luttes, de résistances et de créativité populaires qui se font entendre. Un projet à la fois documentaire, artistique et politique qui inspire et fait sourire.

D’ailleurs, pour illustrer cette démarche, Josh MacPhee présente dans son ouvrage plusieurs albums emblématiques produits en contexte de grève. Ces exemples, venus de différentes régions du monde, permettent de saisir la diversité des approches et la créativité déployée par les travailleuses et travailleurs en lutte.

Sur la scène internationale, notons la Delano, California grape strike pionnière dans la documentation des mobilisations pour les Droits civiques aux États-Unis; sur une scène plus locale, le 45 tours Avec tes outils de la FTQ-Construction; ou encore L’Automne show, un album concert pour amasser des fonds pour les grévistes de United Aircraft.


Quand la création devient action collective

Les questionnements — sur le rôle de la musique dans les luttes sociales — ouvrent la voie à de nombreuses réflexions. Elles rappellent qu’une démarche créative et collective, surtout en contexte militant, n’est jamais anodine.

À travers les décennies, une constante émerge : l’album est un outil, et l’objectif principal demeure l’amélioration des conditions de travail et des conditions de vie. Mais les stratégies varient grandement selon les contextes et les besoins des grévistes. Deux raisons principales reviennent souvent dans la production de ces disques :

• sensibiliser la population aux revendications ayant mené au conflit;
• collecter des fonds pour soutenir financièrement les grévistes pendant la lutte.

À cela s’ajoutent des objectifs secondaires : la documentation des événements et la création d’un matériel de propagande, sans toutefois être les motivations premières.

D’un point de vue matériel, un détail technique attire l’attention : la majorité des disques produits sont des vinyles 45 tours, et non des 33 tours. Cela s’explique par des contraintes de temps et de moyens : souvent, le conflit ne durait pas assez longtemps pour permettre la production d’un long album, ou les ressources disponibles n’étaient tout simplement pas suffisantes pour mener à bien un projet plus ambitieux.

Mais au-delà du médium, c’est tout le processus créatif collectif qui est porteur de sens. Créer ensemble renforce le sentiment d’appartenance, favorise l’organisation ouvrière et soude la communauté. Ces disques deviennent alors des héritages culturels vivants, transmis aux générations suivantes.


La consommation musicale façonnée par les logiques néolibérales

L’auteur pousse plus loin la réflexion en soulignant une transformation plus insidieuse : celle de notre relation contemporaine à la musique. Autrefois espace d’expression collective et outil de cohésion sociale, la musique est aujourd’hui largement façonnée par les logiques néolibérales. La figure de la classe ouvrière a peu à peu été remplacée par celle de la consommation individualisée.

Écouter une chanson provenant de la culture ouvrière ne fait sens que dans un contexte de communauté. Il faut un collectif pour la chanter, pour l’écouter, pour la faire vivre. À l’inverse, la musique contemporaine est souvent perçue comme un produit culturel personnel, consommé de façon intime et moins partagée. Ce glissement de sens — de l’outil rassembleur à la marchandise de divertissement — est au cœur de la démarche de l’auteur.

Cartographier la sonorité de la résistance

Derrière chaque disque se cache une histoire de résistance, une archive vivante, faite de chœurs improvisés, de rythmes fabriqués dans l’urgence d’un conflit — autant de traces tangibles d’une culture militante.

Strike While the Needle Is Hot nous rappellent une chose essentielle : la lutte est aussi une affaire de narration collective. Et dans un monde dominé par les logiques individualistes, chanter ensemble devient un geste politique.

En fait, il ne s’agit peut-être pas de revenir au vinyle que d’en retrouver l’esprit : celui d’une musique qui rassemble, raconte, mobilise. Une musique qui n’est pas consommée, mais partagée. Une musique qui, encore aujourd’hui, peut frapper juste — à condition de frapper ensemble.


Pour plus d’informations :
https://artsinthemargins.org/

Pour en apprendre plus sur l’auteur :
https://justseeds.org/artist/joshmacphee/