Par Alma Preta et Bruna Farias, Autres Brésils, publié le 8 mai 2020
Outre les connaissances technico-scientifiques, nous portons des technologies ancestrales de soins qui confrontent le pouvoir médical sur le corps, transmettant la vitalité d’exister, de résister.
De nourrices, mères noires [1], domestiques, cuisinières, bénisseuses, guérisseuses, sages-femmes à aides-soignantes, assistantes-infirmières et infirmières, depuis que les femmes africaines ont été débarquées en esclaves, de ce côté-ci de l’Atlantique, nous avons trouvé des solutions de soins de santé face aux épidémies.
Les exemples sont nombreux : la première épidémie dévastatrice fût la colonisation portugaise, commencée au XVIe siècle, et qui, parmi tant de maux, a répandu la variole ; au XIXe siècle, la fièvre jaune, le choléra ; au XXe siècle, la grippe espagnole, la variole, le sida, la dengue, et dans tous les cycles de la vie, nous étions là pour assurer l’existence du peuple brésilien par des soins.
Les soins infirmiers, une science de la santé qui étudie et travaille avec des soins systématisés, est un vaste domaine qui regroupe plusieurs activités professionnelles, dont celles d’aide-soignante, d’assistante-infirmière et d’infirmière, ces trois étant les principales professions de cette catégorie, selon le Conseil fédéral des soins infirmiers (COFEN).
La plus grande étude réalisée sur le profil des soins infirmiers au Brésil, par COFEN/FIOCRUZ (2013), montre qu’il y a environ 3,5 millions de travailleurs et travailleuses dans les diverses professions de santé, que l’équipe d’infirmiers et d’infirmières représente environ 50 % de ces effectifs, dont 86 % sont des femmes, 53 % (955 578) des Noir.e.s et 0,6 % (10 132) des Autochtones, catégorie qui représente 46,5 % des professionnels de soins infirmiers qui travaillent dans les services de santé publique au Brésil. Il convient de mentionner que 47 % des membres de cette catégorie, agissant dans le réseau public, affirment avoir été victime de discrimination raciale et 78,5 % de discrimination de genre.
Dans les constructions sociales, le soin est lié à « l’instinct féminin » et aux activités de l’environnement domestique, et non à une profession qui exige une rémunération. Dans l’histoire brésilienne des soins infirmiers, au XIXe siècle, la professionnalisation des femmes noires et autochtones, considérées comme préprofessionnelles parce qu’elles avaient des connaissances en pratiques traditionnelles de santé, leur a été refusée, et le monopole des pratiques de santé par la classe médicale a créé et fait perdurer dans les représentations sociales le rapport de subordination des soins infirmiers à la catégorie médicale.
Pendant la période coloniale, les soins, qui à l’époque étaient considérés comme une fonction sociale de la servitude, assurée principalement par les femmes noires, étaient l’un des principaux produits extraits du régime esclavagiste. Les femmes noires étaient arrachées à leur famille et aux autres personnes réduites en esclavage, souvent empêchées de s’occuper de celles-ci, pour s’occuper de la société esclavagiste.
En tant que domestiques, elles assuraient la préparation des repas et l’hygiène du foyer ; en tant que mères noires, la prise en charge des personnes dépendantes (enfants, personnes âgées et malades) pour les activités quotidiennes et, en tant que nourrices, elles étaient tenues d’allaiter les enfants des maîtres. Les nourrices bénéficiaient d’un traitement différencié, car elles étaient rigoureusement sélectionnées (on évaluait, entre autres critères, leur beauté, leur religiosité et leur niveau d’assimilation de la culture portugaise), elles exerçaient la maternité des enfants des maîtres et elles constituaient également une source de profit pour les maîtres, pouvant être louées pour allaiter d’autres enfants.
C’est dans ce contexte que se constituent l’identité et la représentativité des professionnels de soins infirmiers au Brésil, et se produisent comme telles dans le processus de constitution de l’identité post-moderne, favorisées par la configuration historico-socio-économique de ce pays – héritage de l’État-nation de la plus grande société esclavagiste moderne, qui naît de la violence et de l’extermination de plusieurs peuples, africains et autochtones, et qui est traversé par le racisme, le sexisme et la hiérarchie des classes, renforçant l’invisibilité et la disqualification des professionnels de soins infirmiers, en particulier des femmes noires.
Depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré la pandémie (terme utilisé lorsque de nombreux cas d’une maladie particulière se produisent sur plusieurs continents) par le Covid-19, le nouveau coronavirus, en mars 2020, les disparités sociales et raciales, qui sont également déterminantes dans le processus santé-maladie, le sous-financement chronique, additionné à la réduction des investissements fédéraux dans le Système Universel de Santé (SUS) et dans les programmes sociaux provoqués par l’Amendement constitutionnel 95/2016, et le manque de moyens et de ressources humaines (infirmiers, infirmières, médecins, personnels responsables de l’hygiène) dans les unités de santé, sont mis en évidence, montrant à la population l’importance de la participation populaire dans la gestion, et surtout la nécessité de politiques publiques qui consolident la santé et ses travailleurs.
Face à ce scénario, la question se pose : Qui est en première ligne de cette pandémie ?
L’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), en 2016, révèle que 54,9 % de la population brésilienne est noire ; on sait qu’environ 80 % des utilisateurs du SUS se sont déclarés noirs. L’équipe d’infirmières, à elle seule, représente la moitié des professionnels de la santé ; elle est composée, en majorité, de femmes et de noir.e.s. Environ 955 578 professionnels de santé, noir.e.s, travaillent pour le SUS.
Il est nécessaire de souligner que les professionnels chargés des repas et d’assurer l’hygiène exercent également des fonctions dans les unités de santé et sont, dans leur majorité, des femmes noires. La population noire, que ce soit en tant que travailleurs de la santé ou utilisateurs du SUS, est celle qui est la plus exposée aux facteurs nocifs pour la santé (biologiques et/ou socio-économiques) et à la précarité du travail, tels que le manque d’équipements de protection individuelle (EPI) – le COFEN a reçu 4 598 dénonciations d’insuffisance de l’offre d’EPI -, de salaire minimum et de dépassement d’horaire de travail.
Les femmes noires constituent la majorité des professionnels travaillant dans les unités de santé, principalement dans les territoires marginalisés, des anciens hospices du XIXe siècle aux périphéries et aux favelas. En plus des connaissances technico-scientifiques, nous sommes porteurs de technologies de soins ancestrales qui confrontent le pouvoir médical sur le corps, transmettant la vitalité d’exister, de résister