Deux ans de guerre en Ukraine : deux ans de trop!

Dans la ville d'Avdiivka à 13 km de Donetsk, la capitale du Donbass après un bombardement russe , le 5 mars 2023 - @National Police of Ukraine CC BY 4.0 via Wikimedia Commons

Jean Baillargeon, Martine Eloy, Mouloud Idir-Djerroud, Raymond Legault, Suzanne Loiselle pour le Collectif Échec à la guerre


On trouvera ci-dessous la plus récente prise de position du Collectif Échec à la guerre sur la guerre en Ukraine. Le Devoir l’a publiée le 22 février, avec plusieurs petits changements éditoriaux dans le texte, et en remplaçant les hyperliens que le collectif avait mis. Nous publions la version originale du texte d’opinion. La rédaction.


La guerre en Ukraine dure maintenant depuis deux ans, avec son cortège de morts (très majoritairement militaires), de réfugié·e·s, de destructions et de souffrances. C’est une guerre qui aurait pu et dû être évitée. Et c’est une guerre qu’il faudrait arrêter au plus vite, à la fois pour l’Ukraine et pour l’humanité.

Des jeux de puissances aux conséquences funestes

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est clairement une agression illégale. Son occupation, puis son annexion en septembre 2022 de quatre régions de l’est et du sud de l’Ukraine sont aussi illégales. Par ces actions, la Russie porte la responsabilité d’avoir accru considérablement l’échelle d’un conflit qui existait déjà : alors que la guerre civile en Ukraine avait fait environ 14 000 morts de 2014 à 2022, il y en aurait eu plus de 200 000 dans les deux dernières années.

Cependant, l’invasion de la Russie n’a pas été une agression « non provoquée », comme le Canada et ses alliés le répètent sans cesse. La Russie avait des motifs – de grande puissance et non de légitime défense – de considérer ses intérêts menacés. D’une part, depuis plus de 20 ans, l’OTAN s’était étendue jusqu’à ses frontières, en dépit des nombreuses promesses de ne pas le faire. D’autre part, les États-Unis (É.-U.) et d’autres membres de l’OTAN, dont le Canada, se sont de plus en plus ingérés dans les affaires intérieures de l’Ukraine, immense pays voisin de la Russie où celle-ci continuait d’exercer une influence importante depuis son indépendance de l’URSS. En 2008, l’annonce de l’ouverture de l’OTAN à l’adhésion de l’Ukraine a été une « ligne rouge » à ne pas franchir pour la Russie. Puis, dans le contexte des protestations de Maïdan en 2014, les É.-U., le Royaume-Uni et le Canada y ont favorisé un coup d’État portant au pouvoir des forces hostiles à la Russie. Des régions de l’Est ukrainien (Donetsk et Lougansk) ont fait sécession, une guerre civile a éclaté, menant aux Accords de Minsk en 2015 qui devaient mettre fin à la guerre civile en accordant une large autonomie à ces régions. Mais l’Ukraine et ses alliés de l’OTAN n’ont jamais eu l’intention d’appliquer ces accords, y voyant seulement une façon de gagner du temps pour préparer la reprise des territoires sécessionnistes par la force.

Depuis deux ans, il est clair, par l’énormité de leur soutien économique et militaire à l’Ukraine et par la propagande manichéenne qu’ils orchestrent mondialement, que les É.-U. et leurs alliés de l’OTAN mènent une véritable guerre par procuration en Ukraine pour tenter d’affaiblir significativement la Russie, un de leurs grands rivaux stratégiques.

Une guerre différente de ce qu’anticipait l’Occident

La guerre en Ukraine ne s’est pas déroulée selon les plans de l’Occident. L’effondrement économique de la Russie, en raison des sanctions occidentales à son encontre, ne s’est pas produit. Après leur impact initial, bien réel, la Russie a pu trouver d’autres débouchés pour ses ressources et accroître sa production militaire. À tel point qu’en 2023, elle a augmenté ses dépenses militaires à 6 % de son PIB et a connu une croissance économique de 2,2 %. Un changement de régime en Russie, décrété comme nécessaire par l’Occident, ne s’est pas produit non plus. La rébellion de Prigojine et de son groupe Wagner, en juin 2023, n’aura été qu’un feu de paille.

Finalement, la perspective d’une armée ukrainienne, équipée et entraînée par l’Occident, qui réussirait à reprendre les territoires occupés par la Russie à la faveur d’une grande contre-offensive, ne s’est pas matérialisée non plus. Les lignes de front sont restées relativement fixes pendant des mois. Mais plusieurs analystes considèrent maintenant que la situation évolue à l’avantage de la Russie, qui dispose de beaucoup plus de troupes et de munitions. Aux dires même de l’Ukraine, son armée est actuellement dans une situation « extrêmement difficile ».

Ces échecs, combinés à des facteurs internes dont la montée de l’extrême-droite tant aux É.-U. qu’en Europe, commencent à fissurer l’édifice de l’appui total de l’Occident à la défense de l’Ukraine.

L’urgence de négocier maintenant !

Cette guerre aurait pu être évitée si les É.-U. et leurs alliés de l’OTAN n’avaient pas rejeté les négociations que réclamait la Russie avant son invasion de l’Ukraine. Et, une fois déclenchée, elle aurait pu prendre fin rapidement si les É.-U. et le Royaume-Uni n’avaient pas fait avorter les négociations de mars 2022 entre la Russie et l’Ukraine, qui semblaient prometteuses.

Quel sort connaîtra l’Ukraine si la guerre se poursuit dans des conditions qui lui sont de plus en plus défavorables sur le terrain? Des millions de personnes qui demeureront en exil, encore plus de victimes, des infrastructures économiques et civiles de plus en plus détruites? Et la perspective d’avoir à négocier avec la Russie dans un rapport de force encore plus déséquilibré?

Renverser la situation en faveur de l’Ukraine exigerait des transferts de munitions beaucoup plus importants, d’armes beaucoup plus puissantes et sophistiquées, mais aussi de lui fournir des dizaines de milliers de soldats! Un tel élargissement de la guerre pourrait nous conduire vers une collision frontale entre l’OTAN et la Russie, comportant l’énorme risque d’un affrontement qui devienne nucléaire et emporte l’humanité entière.

À poursuivre dans ce sens, c’est peu dire que l’Ukraine et le reste du monde ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner!

Nous appelons donc à un cessez-le-feu et à des négociations immédiates recherchant à la fois une réponse mutuellement acceptable aux enjeux sécuritaires de l’Ukraine et de la Russie, ainsi que le respect de la souveraineté de l’Ukraine et des droits de ses minorités ethnoculturelles. Nous appelons aussi les États-Unis, l’OTAN et la Russie à négocier, de toute urgence, de nouveaux traités de désarmement nucléaire.