À propos de l’ouvrage de Isabelle Giraud, Pascale Dufour : Dix ans de solidarité planétaire. Perspectives sociologiques sur la Marche Mondiale des femmes. Les éditions du remue-ménage, Montréal (Québec) 2010
Dans sa préface, Bérengère Marques-Pereira aborde, entre autres, la démarche des autrices « sur le mode de l’empathie et du dialogue critique », les militantes devenues « et protagonistes des enjeux de société et auteures de discours et de dynamiques qui construisent et reconstruisent sans cesse un monde commun sur des bases solidaires » (souligné par la préfacière), le récit diachronique, l’évolution des thèmes, la complexité des alliances, les éléments de « réinvention du féminisme », le savoir-faire, la puissance de transformation de l’action collective, l’appel à faire vivre les regards croisés entre continents, « La diversité des contextes et des articulations de pouvoir issues des rapports de genre, de classe et ethniques, est prise à bras le corps pour mettre en lumière les tensions et les contradictions qui leur sont inhérentes et qui parcourent les enjeux des politiques de reconnaissance et de distribution »…
L’histoire d’un réseau, la construction de solidarités entre les femmes du monde entier, « Cet ouvrage présente le mouvement sous un angle historique et sociologique, nourri par des questionnements plus généraux sur l’action collective ». Dans leur introduction, Isabelle Giraud et Pascale Dufour parlent des premières mobilisations, des « événements » du réseau transnational, de la Charte adoptée lors de la quatrième rencontre internationale de Kigali, de quatre thèmes lors des marches, de 2010 « Bien commun (souveraineté alimentaire, services publics, accès aux droits), Travail des femmes (accès aux droits, égalité salariale, sécurité sociale, salaire minimum juste), Violences envers les femmes, Paix et démilitarisation », des problématiques qui font dissensus, des alliances avec les groupes mixtes, du partage du pouvoir organisationnel, de l’intégration des thématiques féministes dans les discours anti-libéraux, d’« association internationale des femmes », de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDAW), d’infléchissement des textes produits par les institutions internationales, de la nécessité de l’organisation indépendante des femmes, de domination « économique, sociale et culturelle » qui ramène les femmes sans cesse à leur seul sexe, de solidarité…
Les autrices expliquent leur démarche et rappellent leur point de vue situé, un ensemble de réflexions « sur et à partir », ce que les actrices font, la création « de nouveaux discours, de nouvelles dynamiques », les inventions ou les bricolages…
Dans la première partie, les autrices racontent l’évolution des axes de revendication, la critique combinée « du néolibéralisme, des rapports de domination Nord-Sud et du système patriarcal ». Elles interrogent le « pourquoi » et le « pour quoi » militer, la notion de « bien commun », les effets du néolibéralisme sur les possibles des femmes…
Isabelle Giraud et Pascale Dufour abordent, entre autres, la question alimentaire, la dette et son annulation, l’exploitation de la force de travail des femmes, la critique de la marchandisation, l’essentialisme et la socialisation différenciée des femmes et des hommes, l’appropriation collective du corps des femmes par les hommes en temps de guerre, le viol comme crime de guerre et crime contre l’humanité, les revendications liées à la pauvreté, l’autonomie financière des femmes, « « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche » implique une réflexion autour du corps, de sa liberté et de sa propriété », les dimensions collectives des actions des femmes, « la centralité de la durabilité de la vie humaine, de l’occupation des territoires et de la démarchandisation des relations sociales, des relations au corps et à la nature », la division sexuelle du travail, le patriarcat comme système autonome, la visibilité/invisibilité du travail des femmes, les affects marchandisés, l’identification de rapports de pouvoir spécifiques aux relations hommes-femmes, la construction des corps et les clichés liés à la femme-objet, la dimension institutionnelle de l’hétérosexualité obligatoire, la violence dirigée contre une femme « parce qu’elle est une femme »…
Comment avancer dans l’expression collective en prenant en compte les positions situées des unes et des autres, « Il s’agit de créer les conditions pour permettre de demander les droits reproductifs et de santé », insister sur « le contrôle du corps des femmes », le droit de choisir comme un droit « qui doit être reconnu et non accordé », partir de la dénonciation des féminicides, rompre le silence et rendre légitime les sujets « y compris dans des contextes politiques hostiles »… comme l’écrivent les autrices, le passage par la matérialité corporelle permet de rendre lisible le système de domination, « Elle dévoilent les dimensions matérielles de l’oppression, l’appropriation du temps et de la force de travail des femmes et dénoncent l’iniquité d’un système économique capitaliste et d’une idéologie néolibérale qui fondent l’accumulation des richesses et la reconnaissance sociale sur l’exploitation des activités de reproduction du vivant et des ressources naturelles essentielles à l’entretien de la vie sur terre »…
Le second chapitre recense les actions collectives, les diverses tactiques et stratégies politiques mises en œuvre… Des marches, la Marche comme mouvement et réseau, une action collective et ses effets, « Marcher, c’est « prendre la rue ». C’est donc exister dans l’espace public et se faire valoir dans cet espace » – se mobiliser et se donner à voir, l’accent mis sur les couleurs et les tambours, les marches comme outil de communication et outil de rassemblement, les dimensions festives et ludiques, la lutte commune et les luttes des autres, « le caractère bigarré, coloré, non uniforme de ces symboles permet aussi le reconnaissance de la diversité des luttes à l’interne »… Les autrices insistent sur la multiplicité des répertoires d’action en illustrant leur propos par des exemples, la présence aux rassemblements mixtes comme les forums sociaux mondiaux, les alliances et les dialogues, les répertoires variés de chaque organisation locale. Isabelle Giraud et Pascale Dufour choisissent de « présenter quelques-unes des expériences locales de la MMF afin de rendre plus concrètes les pratiques quotidiennes des militantes qui ne s’arrêtent pas entre deux actions mondialisées », par exemple de la batucada…
Dans le troisième chapitre sont présentées les ressources matérielles, organisationnelles et humaines. Les autrices parlent de « la dimension planétaire de ses échelles d’action », des actions au Québec, des effets des plans d’ajustement structurel dans les « pays du sud », des partenariats institutionnels ou non, de l’organisation international de la MMF et de ses transformations, des questions qui font division comme les questions touchant la sexualité et le corps, de la notion de pays qui n’est pas réservée aux formes nationales étatiques, d’altermondialisme féministe, de capacité à être solidaires, « Le fait que cette solidarité aille au-delà des conflits (politiques, religieux, culturels, nationalistes, économiques, etc.) que les hommes entretiennent entre aux, universalise l’oppression liées au genre et met en évidence ce que les hommes partagent depuis toujours, par delà les frontières : un même intérêt pour le maintien de leur suprématie », des financements, du Comité de coordination africaine de la Marche, des rencontres continentales, Genève et Vigo, des profils socio-politiques…
Trois questions sont notamment traitées dans le quatrième chapitre « d’une part, celle de la mémoire militante, individuelle et collective, et du rôle de l’histoire des mouvements féministes nationaux dans la construction du nouveau mouvement ; d’autre part, la question de la diversité du féminisme et enfin celle de la transcendance des différences culturelles et politiques »…
Isabelle Giraud et Pascale Dufour écrivent « L’identité collective est ce qui permet le sentiment d’appartenance. Elle n’est pas donnée une fois pour toutes, mais construite par des militantes dans l’action. Sujet de conflits, de négociations et de compromis, l’identité collective est mouvante. Elle résulte des pratiques collectives et, en retour, les influence ». Elles parlent du travail d’agrégation, de « montée en généralité », de statut de citoyenne active, du « statut d’actrices de leur vie collective mais aussi d’auteures », de l’inclusion du mot féministe, d’égalité de fait, du libéralisme politique et de ces limites, « L’égalité de fait implique d’aller au-delà de l’égalité de droit, de travailler sur les conditions de départ qui sont inégales », de liberté collective et individuelle, d’autonomie, « L’autonomie sort de l’ombre de la pauvreté et devient associée au thème du travail », des héritages (France, Italie, Suisse, Liban, Brésil, Belgique, Kanaky, Rwanda, Mozambique, Chili, République centrafricaine, Mexique, Etat espagnol, République démocratique du Congo) et de l’utopie de travailler sur la convergence des points de vue, des formules comme « le droit de choisir la personne avec qui partager sa vie »…
Enfin dans un dernier chapitre sont abordés les interlocuteurs/interlocutrices de la MMF, la chronologie « des rapports de forces créés », la construction d’échelles de luttes variables selon le choix des lieux de mobilisation, les perspectives d’avenir…
En conclusion, Isabelle Giraud et Pascale Dufour reviennent, entre autres, sur quatre principes – être ancré localement ; savoir se positionner dans on environnement ; oser se mettre en déséquilibre ; choisir le chemin qui nous rend plus fortes – « La Marche travaille à la transformation sociale en agissant », sur un « processus collectif de recherche de nouvelle voies/voix », sur l’inclusivité et l’acceptation de certaines contradictions, sur l’éloignement « d’un discours de victimisation qui oriente le regard sur les symptômes, afin de receler les causes structurelles de l’oppression ».