Édouard de Guise – correspondant à Paris – maj 10 juin
Les résultats des élections européennes sont tombés. En France le Rassemblement national est arrivé en premier avec 32 % des suffrages exprimés, un résultat prévu par les sondages. Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et ordonné des élections générales qui auront lieu les 29 et La vague de popularité sur laquelle a surfé les partis d’extrême droite aux élections européennes va-t-elle se prolonger aux législatives de juin en France ? Comment des partis dont les valeurs et les programmes dépassaient jadis le cadre acceptable de la politique sont-ils devenus digestibles auprès de grands pans de la population, voire presque mainstream.
Des figures anti-establishment
En 2016, Donald Trump rappelait à l’électorat américain pendant la campagne qui l’a porté à la Maison-Blanche qu’il n’avait jamais appuyé l’invasion de l’Irak en 2003 par le Président de l’époque George W. Bush. Or, la lecture de plusieurs éléments d’archives et d’entrevues menées à l’époque montre que Trump se montrait plutôt indifférent quant à ce potentiel conflit et croyait même que les marchés financiers pourraient en bénéficier. Pourquoi affirme-t-il le contraire alors de nos jours? Parce qu’il se fait ainsi la figure de proue d’un mouvement anti-establishment en créant une fausse opposition entre sa position et celle d’une classe politique plus traditionnelle.
Marine Le Pen en a fait son égérie pour critiquer les politiques que mènent les pays occidentaux face à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022. Camouflant ses liens passés cordiaux avec Vladimir Poutine, Marine Le Pen critique Emmanuel Macron pour montrer qu’elle est, elle aussi, contre la politique des élites. Le visage de l’extrême droite se veut ainsi plus doux, se prétendant pacifiste alors qu’elle ne recèle que des affinités pour l’impérialisme russe.
L’illusion d’inclusivité : le cas Alice Weidel
L’extrême droite européenne, contrairement à son homologue nord-américaine, se prétend presque inclusive. Certains partis recentrent les enjeux LGBTQ+ autour des enjeux d’immigration pour justifier leurs propositions xénophobes. Alice Weidel, cheffe du parti allemand d’extrême droite Alternativ für Deutschland (AfD), a affirmé que l’immigration musulmane en Allemagne présente le plus grand risque pour les communautés LGBTQ+ au pays. En accusant des «muslim gangs» d’être responsables de cette violence, elle justifie la xénophobie de son parti. Ce dernier a même discuté une proposition de «remigration», un plan de déportation de masse. Une autre figure de l’extrême droite européenne, le Néerlandais Geert Wilders, a également utilisé la protection des minorités sexuelles pour justifier sa haine apparente de l’Islam et des musulmans.
Les extrêmes encore plus extrêmes
Concomitamment à un adoucissement de l’image de Marine Le Pen a émergé une figure encore plus extrême sur la scène politique française : Éric Zemmour. Ce dernier, avec des propositions aussi saugrenues que d’obliger les «prénoms français» pour les enfants à naître, pousse les extrêmes si loin qu’une politique comme celle de Marine Le Pen semble presque centriste. Les deux partis ne s’entendent visiblement pas non plus, ajoutant à cette fausse distinction qu’on pourrait tenter de créer entre deux extrêmes droites. C’est d’ailleurs la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal Le Pen, qui mène la liste de Zemmour pour les élections européennes après avoir quitté le RN, illustrant cette illusion de différence entre deux partis qui demeurent à l’extrême droite.
L’instrumentalisation des causes sociales
L’extrême droite, partout en Europe, s’est emparée de la crise agricole sans y proposer une quelconque solution. Par l’instrumentalisation d’une crise qui affecte un électorat aussi critique que le monde agricole, les politiques d’extrême droite veulent s’inventer une proximité avec le monde du travail, se montrer « proches des classes populaires ». Marine Le Pen a visité le salon de l’agriculture à Paris à l’hiver 2024. Marion Maréchal Le Pen et Jordan Bardella étaient également de passage à l’événement.
À travers l’Europe, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, les agricultrices et agriculteurs vivent une crise importante reliée au coût de la vie et à leur métier. Les politiques d’extrême droite ont instrumentalisé cette crise pour blâmer les mesures environnementales qui, selon eux, engendraient des coûts supplémentaires pour le monde agricole. Ils se servent ainsi de la crise agricole pour passer leurs appels à la déréglementation environnementale. En Belgique, le Vlaams Belang, parti d’extrême droite flamand, a récupéré des slogans de manifestant.es contre la gauche et les mesures environnementales. Les enjeux de montée de l’extrême droite et de mécontentement de la classe agricole se recoupent donc en plusieurs points.
La réponse à gauche
Les partis européens de gauche semblent incapables de coordonner une réponse collective à cette montée de l’extrême droite. Complètement désunis, ils ne peuvent s’entendre ni sur le programme à adopter ni sur les enjeux auxquels s’attaquer. En France, il y a 7 listes différentes pour le groupe de la gauche radicale au Parlement européen. Pour l’extrême droite, on trouve une seule liste pour chacun des deux groupes parlementaires. La réponse à gauche paraît donc difficile. Le groupe de droite EPP devra peut-être s’allier à l’extrême droite pour gouverner, ce qui entraînerait des conséquences importantes pour la politique européenne.
La «dédiabolisation» est un terme qui a été utilisé pour la première fois par le Front national pour exprimer son désir de quitter la marge et de changer l’image extrême qu’il projetait. Plusieurs années plus tard, on peut clairement distinguer une politique de ce genre au sein de tous les groupements d’extrêmes droites en Europe. Cette stratégie semble fonctionner et aura sans doute des conséquences importantes pour l’avenir des politiques sociales, économiques, migratoires et écologiques en Europe.