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Isabel Cortés, correspondante
Javier Milei — le président argentin d’extrême droite connu pour sa « scie mécanique contre les dépenses publiques » — célébrait, le 25 octobre dernier à Buenos Aires, sa victoire lors des élections législatives de mi-mandat depuis le centre d’opérations de son parti, La Libertad Avanza (LLA). Avec 40,75 % des voix pour son équipe, il triomphait. Ce qui s’annonçait être un désastre après avoir perdu 14 % lors des élections provinciales de Buenos Aires, le 7 septembre, s’est transformé en une remontée inattendue. Comment en est-on arrivé là !
Le chantage de Donald Trump
Le déclencheur : Donald Trump a déclaré que le versement du paquet de 20 milliards de $ US en swaps, crédits et stabilisation financière dépendait de la victoire de Milei. Ça s’est produit lors d’une réunion à la Maison-Blanche le 14 octobre, où Trump a reçu Milei et a souligné que l’aide ne s’étendrait pas si le parti de Milei ne prévalait pas aux élections. « S’il perd, nous ne serons pas généreux avec l’Argentine ».
Le gouvernement argentin s’est alors empressé de clarifier qu’il s’agissait des présidentielles de 2027, et non de ces élections législatives de mi-mandat. Pourquoi la panique ? Parce que dans un pays avec 52 % de pauvreté et une chute de 6,3 % dans la consommation annuelle (INDEC, septembre 2025), on s’attendait à un châtiment de l’électorat.
Cette ingérence de Washington n’a pas seulement sauvé Milei, mais elle a aussi mis à nu comment les puissances mondiales continuent de manipuler les démocraties du Sud, en priorisant la géopolitique sur la souveraineté populaire et en perpétuant les inégalités.
Une histoire marquée par le chantage de la dette
L’histoire économique de l’Argentine est celle d’une économie gonflée par des cycles de dette et des promesses néolibérales. Comme le rappelle le sociologue québécois Mario Gil, « L’Argentine était un pays qui avait un système de bien-être, avec des pensions, des services de santé, d’éducation, du pétrole et des communications sous contrôle de l’État. » Le patrimoine a été miné par une succession de gouvernements néolibéraux.
Depuis les années 80, la présidence de Carlos Menem a vendu à des intérêts privés la majorité des institutions étatiques et a endetté le pays auprès de banques internationales. Parmi elles, on retrouve la Citibank qui possédait presque 50 % de la dette du pays à la fin de sa gestion. Le résultat a été une forte inflation et une croissance de la pauvreté au-dessus de 50 %.
Son successeur, Fernando de la Rúa, a approfondi la crise, en s’endettant auprès du Fonds monétaire international, ce qui a mené à un enfermement financier : le gel des dépôts en banques pour freiner la fuite de capitaux. Cela a déclenché des protestations massives et l’émergence des piqueteros, un mouvement social de contestation. Ce fut une époque d’effervescence populaire, où l’on a récupéré des usines, construit des collectifs et renforcé les mouvements sociaux.
Cette conjoncture a catapulté Néstor Kirchner au pouvoir, qui fut remplacé, à la fin de son mandat, par sa conjointe Cristina Fernàndez Kirchner. Pendant les 12 ans du kirchnerisme, l’économie s’est consolidée. Les économies populaires et les mouvements sociaux se sont aussi, malgré la présence d’un courant ultradroite qui s’était développée à l’ère néolibérale.
Cette période a pris fin avec le gouvernement de Mauricio Macri, qui a répété les erreurs des droites des années 90. Il a de nouveau endetté le pays jusqu’à 90 % du PIB. Cette crise, accompagnée de répression, est marquée par la transformation du pays, la perte de droits et l’inviolabilité de l’État.
Quand le kirchnerisme fait le lit à Mieli
Alberto Fernández a succédé au gouvernement Macri, avec la promesse de défendre l’héritage kirchneriste. Cependant, il a suivi la ligne de son prédécesseur et a endetté encore plus le pays et rendu insoutenable l’investissement social. Il a attaqué Cristina Kirchner et ouvert la porte au gouvernement de l’ultradroite et fasciste de Milei.
Mieli a promis une récupération économique à travers des coupes à l’État et l’austérité, tout en offrant les ressources naturelles à de grandes multinationales. Il a accentué les privatisations des services, coupé les pensions et les médicaments, et réprimé durement les personnes âgées.
Dans les ateliers textiles du conurbano bonaerense, l’Observatoire de la Dette sociale de l’UCA (2025) enregistre une chute de 25 % dans les salaires réels depuis 2023, avec la fermeture de 15 000 PMEs qui a laissé des milliers de licenciements. Les données officielles passent sous silence que la pauvreté infantile atteint 70 % dans les provinces du nord selon UNICEF Argentine.
Le sauvetage américain stabilise des bons pour des investisseurs étrangers au lieu de répondre aux besoins des communautés. Cela reproduit des dynamiques néocoloniales, où des puissances dictent les politiques internes, en érodant la dignité humaine.
Pour Mario Gil, la dégradation des conditions de vie ne se brise qu’avec une souveraineté authentique. Le plus probable est que le pays continue de tomber en crise et que la gauche ait beaucoup de difficulté à gérer l’État.
Une politique nationale indépendante serait la meilleure façon de récupérer l’économie, comme l’ont montré des pays comme la Colombie, avec une histoire néolibérale de plus de 50 ans : « Les peuples sont plus grands que leurs gouvernants » [1].
Réformes antipopulaires et rage accumulée
Avec les résultats obtenus par la formation de Mieli, 93 député.es (+56) et 19 au sénat (+13), il va impulser une réforme du travail qui signifie plus de précarité, d’heures supplémentaires forcées, de négociations salariales réversibles. Toutefois, ce que les autorités oublient de rappeler, c’est que le tiers de l’électorat s’est abstenu. Il s’agit d’un chiffre record depuis 1983, soit 11,46 millions d’abstentions selon la Chambre nationale électorale (CNE).
Ainsi, seulement 25 % de l’électorat l’a soutenu. Les bourses fêtent, les rues se taisent et les salutations arrivent d’alliés comme Giorgia Meloni et Benjamín Netanyahu, qui révèlent leurs alliances ultradroïtistes. Dans ce climat, pas surprenant que le gazouillis du secrétaire du Trésor américain, Scott Bessent, sonne comme un bulletin de sa propre victoire : « L’Argentine est un allié vital en Amérique latine. Ces résultats sont un clair exemple que la politique de Paix de l’administration Trump à travers la Force économique fonctionne ».
Pour une Amérique latine des majorités, pas des marchés !
Sources :
- Chambre nationale électorale (CNE), « Résultats officiels des élections législatives 2025 » (28 octobre 2025).
- Institut National de Statistique et de Recensement (INDEC), « Incidence de la pauvreté et de l’indigence dans 31 agglomérations urbaines » (septembre 2025).
- Observatoire de la Dette Sociale Argentine (UCA), « Rapport sur la dette sociale » (2025).
- UNICEF, Argentine, « Rapport sur la pauvreté monétaire infantile » (2025).
- Scott Bessent, « Gazouillis sur les résultats électoraux en Argentine » (27 octobre 2025).
- Bureau du Président de la République argentine, « Communiqué officiel sur la réunion bilatérale avec Donald Trump » (20 septembre 2025).
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Notes
[1] RODRÍGUEZ MINOR. Le néolibéralisme en Argentine. Perceptions citoyennes d’une chronique fataliste. DOI : 10,204 30/ete. v 88 i 350.1082.








