Amélie David, correspondante à Beyrouth de passage en Syrie
Le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a pris le pouvoir à Bachar Al-Assad après une série d’offensives éclair dans le pays au cours de ces dernières semaines. À Damas, la plupart de la population syrienne savoure cette nouvelle liberté. Même si l’avenir reste incertain.
Une joie indescriptible
Il y a cette joie indescriptible. Celle qui se lit sur les visages, qui se voient dans les yeux, qui se ressent dans les poignées de mains et dans les sourires. Cette joie de la population syrienne de pouvoir goûter à la liberté. de pouvoir se réunir, célébrer ensemble ce jour qu’ils n’attendaient plus. Place des Omeyyades, 10 décembre 2024, 10 heures. Il y a deux jours, le régime sanguinaire de Bachar Al-Assad est tombé. Enfin. Après plus de 13 ans d’une guerre civile qui semblait sans fin. Après 54 ans de règne d’une dynastie tortionnaire. Le groupe armé HTS est entré dans Damas et a fait tomber les derniers symboles de Bachar Al-Assad. La grande majorité de la population syrienne a exulté et s’est ruée dans les rues des différentes villes du pays. Le V de victoire, les chants, les slogans. Le 10 décembre, l’effervescence n’est pas retombée.
Les gens se réunissent toujours, téléphones en main pour se prendre en photos devant l’épée de Damas. «Avant, ici, on ne pouvait pas se réunir, on ne pouvait pas se parler, maintenant, c’est différent. Je suis tellement content», explique Yazan, 30 ans. Il y a quelques jours encore, l’étudiant en tourisme songeait à quitter son pays pour rejoindre sa famille réfugiée en Allemagne. Désormais, c’est ici qu’il imagine son avenir. «Ma famille va revenir, elle aussi», sourit-il. Autour de lui, les rebelles sont salués, parfois acclamés. Les Syriennes et les Syriens se prennent en photo avec leurs «libérateurs». Les scènes de liesse continuent. Les familles se serrent dans les bras, toutes plus heureuses les unes que les autres. Des coups de feu de célébration retentissent. Un groupe de jeunes hommes balaie la route bitumée. Les douilles de munitions sont nombreuses au sol après la fête, alors il faut nettoyer. On prend un balai et on nettoie, dans la joie. Ils ont tous répondu à l’appel d’un blogueur sur les réseaux sociaux pour nettoyer les rues de Damas. Le soleil brille haut dans le ciel. Il y a ce sentiment que l’imposante chape de plomb des années Assad a enfin sauté. Disparu. À jamais?
«Que fait la communauté internationale?»
La peur vient maintenant des bombes israéliennes qui se sont abattues sur le pays au cours des derniers jours, visant des stocks d’armes et de l’avancée des troupes de l’armée de l’État hébreu dans la zone tampon dans le Golan. «Que fait la communauté internationale? Il faut qu’Israël arrête, nous ne pouvons pas vivre dans la peur des bombardements», explique Ahmad, qui tient dans ses bras une de ses jumelles. La vie semble reprendre son cours normal petit à petit.
Le lendemain, les rues du marché de la vieille ville de Damas sont pleines de monde. Les drapeaux de la révolution, bardés de bandes verte blanche et noire, avec trois étoiles rouges, se vendent à prix d’or. Les devantures des magasins sont repeintes avec ses couleurs. Fini le drapeau qui flottait partout au pays depuis plus de 50 ans. Terminé les portraits des Assad qui ornaient tous les coins de rue, les bureaux et les bâtiments administratifs. Ils ont été mis à terre. Piétinés. Parfois brûlés. «Bienvenue dans la nouvelle Syrie», lance avec un large sourire un homme au volant de sa voiture. Quelques minutes plus tard, un imposant véhicule blanc roule avec à son bord quelques hommes armés. Ils sont salués par la population au marché. La mosquée d’Omeyyades accueille en son sein des centaines de personnes qui posent là aussi avec le nouveau drapeau. Ces Syriens et Syriennes savourent le moment, malgré les incertitudes. Qu’adviendra-t-il de la Syrie, demain? Rien n’est moins sûr. Tous et toutes aspirent à plus de démocratie, à plus de liberté, à de meilleures conditions de vie. Mais tout reste à faire.
Alors que certains personnes réfugiées syriennes rentrent dans leur pays, d’autres font le chemin en sens inverse. La plupart sont issus des minorités religieuses du pays : chrétiens, alaouites ou chiites et vivent dans la peur des répercussions de la prise du pouvoir par les rebelles. À la frontière avec le Liban, beaucoup espèrent obtenir leur tampon d’entrée vers le pays du Cèdre. Est-ce là le signe d’une nouvelle fracture? D’un nouvel exode durable? Les prochaines semaines devraient apporter une partie de la réponse. Pour l’heure, une majorité de Syriens et de Syriennes profitent ce vent de liberté, dans un pays aux prises avec de nombreuses difficultés (comme un manque criant d’électricité de l’État, seulement deux heures par jour) et des plaies béantes, qu’il sera difficile à refermer.