Le Devoir, Alexandre Shields, 2 juin 2018
(abrégé par Laurence Perreault-Rousseau)
La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, répète depuis des mois que le Canada profitera de sa présidence du G7 pour promouvoir des enjeux environnementaux cruciaux, dont la lutte contre les changements climatiques et contre la pollution par le plastique. Mais ces questions, historiquement secondaires dans les discussions des grandes puissances mondiales, risquent au mieux de faire l’objet d’un engagement symbolique.
Parmi les cinq « thèmes canadiens » mis en avant en prévision du sommet de Charlevoix, le gouvernement Trudeau invite ses partenaires à « travailler ensemble à l’égard des changements climatiques, des océans et de l’énergie propre ». Ces priorités sont inscrites en toutes lettres dans les documents qui détaillent les objectifs fixés par Ottawa dans le domaine environnemental.
« Le Sommet du G7 est une occasion importante pour que le Canada rassemble ses amis et alliés afin de discuter d’enjeux mondiaux, comme faire avancer les solutions climatiques relativement à notre responsabilité partagée de protéger l’environnement pour les générations futures », résume au Devoir l’attachée de presse de la ministre McKenna, Caroline Thériault.
Haro sur le plastique
Au-delà du langage diplomatique typique des rencontres de ce club sélect, Catherine McKenna tente depuis plusieurs mois de convaincre les autres membres du G7 d’adopter une « charte zéro déchet de plastique ».
Concrètement, elle espère que les pays s’engagent, sur une base volontaire, à promouvoir la récupération et le recyclage des produits faits de plastique, omniprésents dans notre quotidien. Il serait aussi question de réduire la consommation de plastique à usage unique, dans la foulée de mesures déjà mises en avant dans certains pays et certaines grandes villes de la planète.
Dans le contexte où le Canada plaide pour une meilleure protection des océans du globe, les documents fédéraux rappellent qu’« une quantité sans précédent de plastiques entre dans les océans tous les ans, et on s’attend à ce que cette quantité augmente ». À titre d’exemple, une étude publiée l’an dernier dans Nature Communications indiquait que les fleuves du monde déversent entre 1,15 et 2,41 millions de tonnes de plastique chaque année dans les océans, soit un rythme d’environ 50 kilos par seconde.
« C’est pourquoi le Canada fera cette année avancer des mesures à portée mondiale et domestique sur les déchets plastiques marins et sur la préservation de nos océans », souligne le cabinet de Mme McKenna, en insistant sur l’existence de « plusieurs occasions de collaboration entre les pays du G7 » sur les enjeux environnementaux.
Des bouteilles en plastique et autres déchets recouvrent la plage après avoir échoué près du port d’Abidjan, en Côte-d’Ivoire.
Est-ce que la « charte » sur la réduction de la pollution par le plastique sera entérinée par les grandes puissances économiques ? Impossible de le dire pour le moment. « Les discussions progressent », répond le bureau de la ministre. Les informations obtenues par Le Devoir indiquent que le sujet pourrait être mentionné dans le communiqué final qui suivra le sommet de deux jours.
Cette question serait toutefois débattue lors de la rencontre des ministres de l’Environnement et de l’Énergie prévue en octobre, soit plusieurs mois après le sommet de Charlevoix. Aucune date n’a été annoncée pour cette rencontre, ni aucun lieu précis.
Symbolique
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’attendre à ce que les priorités environnementales mises en avant par le Canada soient au coeur des discussions. « L’environnement n’est pas un des sujets majeurs » à la table du G7, résume le directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), Frédéric Mérand.
Certes, Ottawa a tout le loisir d’inscrire des questions comme la pollution par le plastique, les changements climatiques ou la protection des océans à l’ordre du jour. Mais concrètement, M. Mérand estime que les éléments qui se fraieront un chemin jusqu’à la déclaration publiée à la fin de la rencontre seront ceux qui auront fait lt’objet d’un consensus, et ce, avant même la tenue du sommet.
En ce sens, il croit que la « charte zéro déchet de plastique » devrait y figurer. « On ne négocie rien au sommet du G7, mais on cherche des points de convergence » entre les pays. « La charte sur le plastique permettrait cela, tout en n’ayant aucun caractère contraignant. C’est ce qu’on appelle un fruit facile à cueillir », explique-t-il.
Cette question, tout comme la volonté de mieux protéger les océans — qui fera l’objet d’une « séance spéciale » lors du sommet —, peut s’inscrire dans la volonté d’accoucher de « produits livrables », et donc de démontrer que le sommet a débouché sur des engagements « concrets » qui « témoignent de la collaboration » des pays membres.
Le directeur du CERIUM précise cependant que la situation risque d’être fort différente pour l’enjeu climatique, pourtant souligné à gros traits dans les documents fédéraux. « Le sujet le plus important est lié aux changements climatiques et à la mise en oeuvre de l’Accord de Paris. Mais ce n’est pas possible d’avoir une discussion sur cet enjeu, parce que Donald Trump est dans la salle », laisse-t-il tomber.
Incohérence
Directeur principal d’Équiterre, Steven Guilbeault constate que le Canada se retrouve malgré lui dans un dilemme politique sur cet enjeu. « Le Canada est pris entre deux feux. Il a des partenaires qui souhaiteraient des gestes très concrets en faveur du climat, comme la France ou l’Allemagne. Mais il y a aussi le gouvernement Trump, qui ne veut rien savoir. »
Il est donc peu probable que les pays du G7 fassent front commun dans ce dossier, ou même que celui-ci soit inscrit dans le communiqué final. Mais M. Guilbeault rappelle que le gouvernement de Justin Trudeau se présentera à La Malbaie avec ses propres contradictions. Après tout, il ne cesse de souligner l’importance de la « transition vers des sources d’énergie propre », tout en choisissant d’investir des milliards de dollars des contribuables pour racheter le pipeline Trans Mountain et le projet d’expansion de celui-ci.
« Le gouvernement aura l’air un peu hypocrite s’il parle de la nécessité d’une économie sobre en carbone, mais aussi de la transition énergétique. Ça risque de donner l’impression d’un double discours », résume Steven Guilbeault.