Toute personne qui voyage en Amérique ne peut qu’être sidérée par les différences dans le développement entre les pays pauvres et les plus riches, mais aussi à l’intérieur d’un même pays, à cause des inégalités sociales, parfois abyssales. Ce développement inégalitaire a des conséquences bien connues sur la qualité de vie. Il affecte entre autres très fortement la lutte pour la protection de l’environnement.
Dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, les problèmes reliés à l’urbanisation sont flagrants. Les villes sont prises avec de graves problèmes de pollution. La voiture est omniprésente, de vieux véhicules crachent des nuages de monoxyde de carbone, des bouchons de circulation immobilisent les véhicules à n’en plus finir. Les grandes agglomérations comme Lima, Bogota, Buenos Aires sont des villes où l’automobile s’impose et où le piéton trouve péniblement son chemin parmi les hordes de véhicules.
Une petite ville comme Cuenca, en Équateur, aurait la possibilité de devenir un modèle en ce qui concerne la mobilité des gens. Son climat idéal, le peu de relief et la forte densité de la population pourraient lui permettre d’exclure en grande partie l’automobile et de laisser beaucoup d’espace aux transports en commun et à la bicyclette. À la place, nous nous retrouvons dans une ville envahie par les automobiles, très souvent immobilisées dans un trafic intense, peu conviviale pour les piétons. La municipalité espère régler une partie du problème par la construction d’un tramway.
Le grand problème, c’est que la lutte contre la pollution et la transition écologique coûte cher. Transformer en profondeur le réseau routier, bien organiser les transports en commun, bien gérer les ordures, aménager des voies cyclables, encourager les gens à changer les habitudes de vie, acheter des véhicules électriques ou hybrides, créer des espaces piétonniers, convaincre la population de l’importance de ces changements nécessite de l’acharnement et de bons investissements.
Ce qui semble particulièrement difficile, alors que de grandes entreprises transnationales, principalement des pays du Nord, voient dans les pays du Sud un immense marché où l’on peut écouler des tonnes de pétrole et des quantités toujours plus grandes de camions et d’automobiles. Tout cela avec le rêve de l’american way of life projeté dans quantité de films et de publicités, et qui montre que cette vie-là, basée sur la consommation et le sentiment de puissance qui en découle devient le modèle à suivre.
Le hic, c’est que les sociétés les plus développées du Nord, même les plus riches, et dont la prospérité permet de mettre en place un style de vie moins polluant, ne sont surtout pas des modèles à suivre.
Le calcul de l’empreinte écologique par habitant est très révélateur à ce sujet. Celui-ci tient compte de la quantité de surface terrestre nécessaire en hectares pour produire les biens et services que nous consommons et absorber les déchets que nous produisons. Or en comparant l’empreinte écologique des pays, on constate que ce sont les plus riches, comme le Canada, la Suède, la Belgique, l’Australie (sans oublier bien sûr les États-Unis), qui obtiennent de mauvais résultats et qui exigent quatre fois les capacités de la planète, alors que des pays comme le Pérou ou l’Équateur ont une consommation plus près de ce que la planète peut réellement produire et renouveler en ressources.
Voilà donc ce qu’on pourrait qualifier de paradoxe du développement. Certains des pays qui ont pris de bonnes mesures pour enclencher la transition écologique — encore trop timides tout de même selon plusieurs — sont aussi ceux qui causent le plus de dommages à notre Terre. Et d’autres pays moins développés, dont les villes, sans grandes ressources financières, sont particulièrement polluées, détruisent beaucoup moins l’environnement global de la planète.
Ce qui veut dire, en gros, que tout le monde a faux. Entre la consommation à outrance au Nord et l’incurie au Sud, peu de véritables solutions, et encore moins une forte volonté politique, permettent de mettre en place les changements nécessaires pour ralentir le réchauffement climatique. Il faudrait que chacun s’inspire de l’autre : innover au Sud et limiter la consommation d’énergie au Nord. Ce qui mettrait fin à un paradoxe destructeur. Pour y arriver, il serait nécessaire, entre autres, de s’attaquer beaucoup plus vigoureusement aux insoutenables inégalités sociales qui contribuent à ce déséquilibre.