Léo Palardy, correspondant
Le discours médiatique hégémonique tend à faire de l’attentat non revendiqué de Pahalgam le point de départ de toute analyse de la récente escalade militaire entre les États indien et pakistanais. Rappelons que l’événement du 22 avril dernier au Cachemire sous occupation indienne a fait 26 victimes, parmi lesquelles on compte une majorité de touristes d’origine indienne, mais aussi un Népalais et un Cachemiri.
Toutefois, le webinaire « Kashmir and India-Pakistan War Games 2025 » fut l’occasion pour ses panélistes de replacer cet événement, ainsi que la séquence tragique qui l’a succédé, dans le contexte plus large de l’occupation militaire du Cachemire et de la lutte du peuple cachemiri pour son droit à l’autodétermination et à la paix.
Cette histoire n’a pas commencé le 22 avril
Pour Ather Zia, professeure associée d’anthropologie et d’études de genre à l’Université du Nord du Colorado et en faveur de la justice pour le peuple cachemiri, il convient de recontextualiser la situation au Cachemire. On doit tenir compte de l’occupation prolongée de la région par l’Inde et le Pakistan suite au retrait des Britanniques du sous-continent indien en 1947 et à la partition de la région entre les deux nouveaux pays indépendants. Mentionnons que si le Royaume du Jammu-et-Cachemire devait à l’origine devenir un État indépendant, la guerre indo-pakistanaise de 1947-1948 aura pour conséquence de diviser de facto la vallée en deux.
Depuis, comme le souligne Ather Zia, l’occupation militaire du côté indien s’est couplée d’un projet de colonialisme de peuplement ayant pour objectif d’éliminer, d’assimiler et de remplacer la population autochtone de la région : les Cachemiri·es. Cela passe selon elle par des politiques visant la minorisation démographique des Cachemiri·es, l’expropriation de leurs terres, la confiscation ou la destruction de leurs biens et la criminalisation de toute forme de revendication politique jugée subversive.
Les Cachemiri·es vivant sous occupation indienne voient donc leurs droits civils et politiques être quotidiennement violés. La situation ne fait qu’empirer depuis que le Cachemire sous occupation indienne s’est vu retirer son statut de semi-autonomie en 2019 avec la formalisation du Jammu-et-Cachemire et du Ladakh comme territoires de l’Union indienne. Il y a présentement au moins 700 000 militaires des forces armées indiennes au Cachemire et l’administration indienne y a recours à la torture ainsi qu’à l’incarcération massive extrajudiciaire pour imposer son joug.
Un colonialisme de peuplement comparable au projet sioniste
Comme le souligne pour sa part Imraan Mir, avocat impliqué dans le Kashmir Law & Justice Project, il existe une différence fondamentale entre une situation d’occupation et une situation de colonialisme de peuplement en droit international. Si l’occupation est un acte de guerre, le colonialisme de peuplement, lui, va jusqu’à entrer en contradiction avec les fondements du droit international qui postule formellement l’établissement d’une ère postcoloniale. L’occupation-colonisation indienne du Cachemire, tout comme le colonialisme de peuplement sioniste, nous démontre donc par les faits que nous ne vivons pas réellement dans un monde postcolonial.
Il existe en effet de nombreux parallèles entre l’occupation israélienne de la Palestine et celle d’une partie du Cachemire par l’Inde. Robert Fantina, journaliste et auteur ayant travaillé sur les similarités et les solidarités existant entre les deux régimes, dresse un tableau troublant. Le projet sioniste dans son versant le plus radical a pour objectif l’instauration d’un État juif ne laissant aucune place à l’autodétermination palestinienne. L’occupation indienne du Cachemire, elle, s’appuie sur l’Hindutva, idéologie du Bharatiya Janata Party présentement au pouvoir en Inde, qui a pour but de transformer « l’État socialiste laïque » de la constitution indienne en un État ethnonationaliste hindou.
Si l’extrême droite sioniste appelle de ses vœux, la mise sur pied du « Grand Israël », les factions extrémistes de l’Hindutva rêvent de leur côté de la mise sur pied de « l’Akhand Barath », soit de « l’Inde indivise » qui correspond à la région englobant l’Afghanistan jusqu’au Myanmar en plus de l’entièreté du Cachemire. Encore selon Robert Fantina, il est aussi possible de tracer un parallèle entre l’usage de l’incarcération massive extrajudiciaire et de la torture vis-à-vis des populations autochtones par les pouvoirs coloniaux au Cachemire et en Palestine.
Omer Aijazi, professeur à l’Université de Manchester, souligne pour sa part que la rhétorique des « frappes chirurgicales » utilisée par l’Inde pour justifier ses attaques menées contre le Pakistan suite à l’attentat de Pahalgam avait préalablement été déployée par l’État d’Israël dans la justification du génocide qu’il met en œuvre depuis le 7 octobre 2023. Aijazi, qui a étudié le quotidien des populations qui vivent le long de la « Ligne de contrôle », la frontière militarisée qui sépare le Cachemire sous occupation indienne du Cachemire sous occupation pakistanaise, souligne que la conduite d’une quelconque forme de « frappe chirurgicale » est une impossibilité physique dans une telle région. La population cachemirie paye donc systématiquement le prix des hostilités entre ses occupants indien et pakistanais.
Un avenir incertain pour le Cachemire et les Cachemiri·es
Si l’Inde et le Pakistan se sont formellement entendus sur un cessez-le-feu le 10 mai, les Cachemiri·es vivant le long de la Ligne de contrôle demeurent sur la ligne de tir en cas de violations éventuelles de celui-ci. Plus largement, le Cachemire reste sous occupation et celle-ci risque encore de se renforcer.
Selon Ather Zia, il est donc plus important que jamais de lutter en faveur de la démilitarisation de la région et de faire valoir les revendications autonomistes de ses populations autochtones pour contrecarrer le cadrage colonialiste, qui tend à faire de la question cachemirie un enjeu de sécurisation du commerce international. Selon elle, la question cachemirie ne pourra pas être réglée dans le cadre du paradigme des États-nations et de la gouvernance capitaliste, qui reste empreint de colonialité.
Pour Imraan Mir, une décolonisation effective du Cachemire exige des conditions préalables. Elle implique non seulement la démilitarisation, mais aussi le respect de la liberté d’expression et de mouvement des Cachemiri·es. Une telle liberté de circulation pour les Cachemiri·es, aujourd’hui divisé·es par la Ligne de contrôle, leur permettrait de discuter les différents paramètres de leur émancipation en dehors de la logique sécuritaire que leur imposent leurs occupants.
Il nous revient donc la responsabilité, selon Robert Fantina, de faire pression sur le gouvernement canadien ainsi que sur les autres États occidentaux qui se font complices de la violation des droits humains des Cachemiri·es comme des Palestinien·nes en tolérant les entreprises coloniales menées par l’État indien et l’État israélien.
Kashmir and India-Pakistan War Games 2025 – 18 mai 2025
Webinaire organisé conjointement par le South Asian Diaspora Action Collective (SADAC), le Kashmir Scholars Consultative Advocacy Network (KSCAN) et Just Peace Advocates (JPA).