Extraits d’une entrevue de John Feffer (Foreign Policy in Focus) dans Jacobin, 5 juin 2018
Vous avez décrit la politique étrangère américaine en ce qui concerne la Corée du Nord comme un processus très désorientant avec des fluctuations extrêmes. Qu’est-ce qui a changé avec la politique américaine depuis?
Les changements qui ont eu lieu entre les deux Corées à la suite de l’arrivée de Kim Jong-un en janvier et des deux pays participant ensemble aux Jeux olympiques ont surpris les États-Unis. L’administration a fondamentalement rattrapé depuis.
Avant que John Bolton se joigne à l’administration, il y avait essentiellement 2 positions dans l’administration Trump. D’une part, il y avait une position intransigeante consistant à pousser la Corée du Nord vers l’effondrement. L’autre position était de continuer à pousser la Corée du Nord durement, mais pour l’amener à la table des négociations.
Dans ce contexte, il faut également tenir compte de la dynamique de la coopération inter-coréenne, indépendante des États-Unis – même si les deux Corées, franchement, font de leur mieux pour apaiser Donald Trump.
Je dirais que la Corée du Nord a été très prudente pour faire appel au sens de la vanité de Trump, à ses talents de négociateur et à son impulsivité. Trump a essentiellement décidé qu’il irait de l’avant avec le sommet en tête-à-tête sans beaucoup de consultation ses conseillers. C’était la situation à la veille de l’arrivée de Bolton à la Maison Blanche en tant que conseiller à la sécurité nationale et du remplacement de Rex Tillerson par Mike Pompeo de la CIA.
Comment l’arrivée de Bolton a-t-elle changé la dynamique autour des négociations?
Bolton n’a pas eu à subir une audience de confirmation du Congrès, il n’a donc pas eu à présenter ses opinions à qui que ce soit. Il est simplement apparu à la Maison Blanche comme le plus important conseiller de Trump.
Autrement, il a un accès privilégié au président. Bolton est très rusé, très stratégique et très intelligent. Il est avocat et il a participé aux négociations sur le contrôle des armements. Il sait qu’il doit gérer soigneusement son supérieur, Donald Trump. Il doit travailler discrètement dans les coulisses et, comme dans un drame shakespearien, verser le poison, très soigneusement, dans l’oreille de Trump.
C’est ce qu’il fait.
Il a fondamentalement miné la notion de Trump selon laquelle on pouvait faire confiance aux Nord-Coréens pour avoir un sommet, et encore moins négocier une véritable dénucléarisation. Et publiquement, il a envoyé des signaux subtils aux personnes qui suivent ces questions – que ce sommet est une perte de temps : d’abord, en minimisant les attentes, et deuxièmement, en disant que l’ordre du jour n’est pas seulement de dénucléariser, mais aussi de désarmer la Corée du Nord. En tant qu’ancien négociateur du contrôle des armements, il sait que ce changement de l’ordre du jour rendra difficile toute entente.
Enfin, il a soulevé le spectre du « modèle libyen ». Tout le monde connait l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi d’une manière plutôt ignominieuse. Les Nord-Coréens ont réagi très rapidement, et ce n’est certainement pas le scénario qu’ils veulent. La communauté de politique étrangère de Washington a réagi avec beaucoup de scepticisme à l’idée que ce sommet était une bonne idée.
Est-ce que les États-Unis sont mal préparés ?
Je pense que Trump a une croyance démesurée dans ses propres capacités. Il ne pense pas vraiment qu’il a besoin de conseillers, d’experts ou d’autres personnes. En fait, il croit que la raison pour laquelle les États-Unis ont échoué dans le passé est précisément parce que nous dépendions de ce culte d’experts qui n’ont rien fait pour nous sortir de cette situation nucléaire avec la Corée du Nord.
La Chine a-t-elle un intérêt à cela?
Tout indique que la Chine veut que le processus se poursuive. Elle veut de meilleures relations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Elle est très favorable à la dénucléarisation, en général, de la Corée du Nord et à une stratégie de développement économique dans la région – pas seulement dans sa propre région du nord-est, mais plus généralement en Asie du Nord-Est. La Chine veut au moins un certain degré de stabilité et de sécurité dans la région.