Au milieu de tous les reportages nécessaires et plus que justifiés sur la politique de la présidence Trump de séparation les familles de migrant·e·s, sur les centres de détention et sur les raids destructeurs des services de l’immigration et des douanes (ICE), il est facile de ne pas voir que les forces de sécurité mexicaines ne traitent pas beaucoup mieux les migrant·e·s. En partie armés et formés par les Etats-Unis, la police et les services de l’immigration mexicains mènent une campagne d’intimidation et de violence contre les migrant·e·s, en toute impunité.
Pas plus tard que la semaine dernière, la police mexicaine a tué par balle un migrant hondurien devant sa fille de 8 ans dans l’Etat de Coahuila, au nord du Mexique. Les détails ne sont toujours pas clairs, mais l’homme a été abattu près d’un refuge pour migrants où il était hébergé avec sa fille. Et en juin, une femme de 19 ans a été tuée par balle après que le camion dans lequel elle se trouvait a traversé un poste de contrôle de la police mexicaine.
Les deux fusillades ont eu lieu après que l’administration Trump eut fait pression sur le Mexique pour qu’il réprime les migrants se dirigeant vers les Etats-Unis. Compte tenu du bilan des forces de sécurité mexicaines – la disparition de 43 étudiants à Ayotzinapa en 2014, l’exécution de 22 autres personnes la même année, l’arrestation récente de militants des droits des migrants, les milliers de migrants qui ont disparu pendant leur transit par le Mexique ces dernières années – il est difficile d’attendre autre chose que de la violence. Et il ne s’agit pas seulement des flics voyous ou des conséquences désastreuses et inévitables de la gestion policière de l’immigration. C’est pire que ça. La frontière a longtemps été un lieu de violence, mais sa cruauté s’étend bien au-delà des frontières. La violence aux frontières s’étend vers le sud, au Mexique et dans d’autres pays, et s’infiltre à l’intérieur des Etats-Unis; nous avons été témoins de la logique de la violence aux frontières lors de la tuerie de masse à El Paso le week-end dernier.
L’Etat mexicain a créé un appareil de sécurité qui viole régulièrement les droits humains de ses citoyens/citoyennes et des migrant·e·s de passage dans le pays. Depuis au moins dix ans, les Etats-Unis – qui depuis longtemps stimulent la répression violente au nom de la sécurité – ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration de la réponse du Mexique à l’égard des migrants. Comme l’explique Todd Miller dans son récent ouvrage Empire of Borders. The Expansion of the US Borders Around the World (Verso, 2019), le Department of Homeland Security (DHS) a exporté son modèle de militarisation des frontières dans le monde entier, contribuant à la formation des gardes-frontières, à la surveillance des frontières et au renforcement des divisions entre Etats. Les responsables du DHS ont collaboré avec les gouvernements des Philippines, de la République dominicaine, de l’Inde, de la Pologne, de la Turquie, du Vietnam, du Guatemala, d’Israël, de la Jordanie et, bien sûr, du Mexique.
Le «rétrécissement» de frontières n’est pas nouveau, mais il semble s’accélérer. Un exemple récent visant à repousser la frontière vers le sud remonte à 2014, lorsque l’administration Obama a fait pression sur le gouvernement mexicain et le président de l’époque, Enrique Peña Nieto, qui avait hérité d’une stratégie meurtrière de lutte contre le trafic de stupéfiants et en avait doublé la portée pour contrôler l’immigration. Les résultats ont été la brutalité, l’exploitation et la mort. Les autorités mexicaines de l’immigration et la police mexicaine – parfois en collaboration directe avec les cartels – ont pourchassé, volé et tué des migrants. En 2015, j’ai écrit au sujet d’un migrant hondurien, Beylin Sarmiento, qui a été tué par la police fédérale mexicaine. Cette dernière a utilisé des migrants, couchés sur le toit de trains de marchandises, pour s’entraîner à tirer. Malgré les preuves vidéo de la fusillade, ses assassins n’ont jamais été inculpés.
Les mesures renforcées d’application de la loi par les autorités mexicaines comprennent également la détention des migrants dans des conditions tout à fait inhumaines, comme le fameux centre de détention Siglo XXI dans l’Etat du Chiapas – qui depuis des années entasse des migrants dans des cellules derrière de hauts murs. L’année dernière, les autorités mexicaines ont piégé des milliers de migrants en les enfermant dans une extension en plein air et insalubre du centre Siglo XXI, où les toilettes «débordent de souillures», selon une description récente. Les conditions étaient devenues si mauvaises que près de 100 migrants, menés par un groupe de demandeurs d’asile cubains, se sont évadés du centre de détention en mai. Cela faisait suite à une évasion massive similaire et beaucoup plus importante plus tôt dans l’année.
En essayant de se décharger de certaines de ses obligations de protection des réfugié·e·s et des demandeurs d’asile – ou même de respecter simplement leurs droits fondamentaux – l’administration Trump a de plus en plus insisté sur la nécessité d’une coopération régionale pour faire face aux migrations. Après avoir menacé d’imposer au Mexique des taxes à l’exportation qui auraient été dévastatrices cet été, l’administration Trump l’a forcé à promettre une nouvelle répression. Todd Miller a formulé ainsi cette situation: «Après un long processus qui remonte à plusieurs décennies, il semble que le Mexique ait finalement complètement succombé et qu’il ait été nommé l’agent le plus récent de la U.S. Border Patrol.»
De même, les Etats-Unis ont forcé le président sortant du Guatemala, Jimmy Morales, sous la menace de tarifs douaniers et d’interdictions de voyager, à signer un accord impliquant un statut de pays tiers sûr, lui imposant des exigences en matière de protection des réfugiés que le pays n’est pas du tout en mesure de satisfaire.
L’actuel président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, communément appelé AMLO, a pris ses fonctions en décembre dernier, promettant une stratégie de sécurité différente: «abrazos, pas de balazos» (accolades, pas de balles). Un espoir existait que le président de gauche Obrador, qui avait promis pendant sa campagne électorale que «les attitudes racistes ou le mauvais traitement des immigré·e·s ne seraient pas tolérés», pourrait mettre fin à la répression brutale de l’Etat contre l’immigration.
Mais six mois après le début de sa présidence, l’administration d’AMLO a réduit le budget de la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés de 20% et semble suivre le même plan que ses prédécesseurs: nouveaux uniformes, nouvelle répression. La première mesure prise par AMLO a été de créer une entité, la Garde nationale, puis de transférer des membres de la police fédérale, ainsi que de l’armée et de la police maritime, dans la nouvelle unité fédérale. Cette dernière combine des tactiques militaires et policières dans le but d’améliorer la sécurité intérieure. En 2014, Peña Nieto a également formé une gendarmerie, avec des recrues formées et contrôlées par des chefs militaires et de la «sécurité» expérimentés. La stratégie ne s’est jamais bien déroulée. Falko Ernst, analyste au sein de l’organisme de recherche Crisis Group, considère que les efforts actuels se limitent à présenter «un autre acteur violent dans un contexte déjà violent».
Ce mois-ci, une photo déchirante d’un membre de la Garde nationale mexicaine empêchant une femme en pleurs et son jeune fils d’approcher de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique a été largement divulguée. Des membres de la Garde nationale auraient tenté d’entrer dans un refuge pour migrants à Agua Prieta (Etat de Sonora, proche de la frontière avec les Etats-Unis). Un administrateur m’a dit qu’il y a eu de nombreux autres témoignages de membres de la Garde qui ont arrêté et interrogé des migrant·e·s, des actions qui n’étaient pas de leur ressort. L’avocate de l’immigration Christina Brown a récemment fait la description de trois membres d’une famille, dont un enfant de 12 ans, qui ont été enlevés dans le nord du Mexique, en juillet, par des hommes portant des uniformes de la police fédérale et conduisant un véhicule de la police fédérale –, probablement des policiers fédéraux. La famille a été emmenée dans une maison «sécurisée» où ils ont vu des personnes avec des sacs en plastique sur la tête et être torturés.
Tout cela rend des plus dangereux le programme de l’administration de Trump, le programme «Remain in Mexico». Le Protocole sur la protection des migrants (MPP), comme on l’appelle officiellement, permet au gouvernement d’accueillir les personnes qui demandent l’asile aux Etats-Unis et de les renvoyer au Mexique au fur et à mesure que leur cas passe devant les tribunaux américains. Des migrants qui attendent, dans le cadre du MPP, ont été volés, enlevés, violés et laissés pour dormir dans la rue. Au-delà du PPM, l’administration a déployé un système de comptage aux points d’entrée, ralentissant délibérément le nombre de demandeurs d’asile qui peuvent, chaque jour, demander une protection, repoussant ainsi la grande majorité d’entre eux au Mexique pour attendre n’importe où durant quelques jours ou quelques mois. L’homme et sa fille qui se sont tragiquement noyés dans le Rio Grande en juin dernier avaient été enregistrés par ce système et refoulés à un point de passage (officiel).
Jeremy Slack – auteur du récent livre Deported to Death. How Drug Violence Is Changing Migration on the Mexico Border (University of California, 2019) – relie la rhétorique raciste anti-immigrés de la Maison Blanche (entre autres) à la récente fusillade à El Paso. La rhétorique de Trump, m’a dit Slack, jette aussi les bases de la «violence draconienne sanctionnée par l’Etat» propre au MPP et au système de comptage. «La logique est telle que la violence contre les migrant·e·s est à la fois politiquement populaire et moralement correcte, à commencer par les Etats-Unis, mais cela s’étend rapidement au Mexique», a-t-il expliqué.
Ces politiques – qu’il s’agisse de retarder ou de refuser la protection ou d’externaliser l’application des lois sur l’immigration pour compromettre les forces de sécurité étrangères – visent à faire des migrants un danger.