ALEXIS BUISSON, Médiapart, 7 janvier 2020
La séance de certification des résultats de la présidentielle par le Congrès est une formalité depuis des siècles. Sous Donald Trump, elle a tourné au chaos et fait 4 morts lorsque, ce 6 janvier, ses supporters ont tenté d’envahir le Capitole. « Notre démocratie vit une agression sans précédent », a déclaré Joe Biden dans une allocution. Après avoir repris ses travaux, le Congrès a validé formellement l’élection du nouveau président.
Washington (États-Unis).– Le calme est revenu, mercredi soir, autour du Capitole. Dans les rues voisines, des groupes de supporteurs de Donald Trump, blottis dans des drapeaux « Make America Great Again » pour se protéger du froid mordant, rentrent à leur hôtel sous les yeux d’hélicoptères et de policiers. Dans quelques minutes, à 18 heures locales, le couvre-feu décrété par la maire de Washington, Muriel Bowser, entrera en vigueur jusqu’à jeudi matin. Carolyn, une supportrice du président républicain, commande de la nourriture chinoise à emporter. Comment a-t-elle vécu cette journée folle à Washington ? « Je ne pensais pas que cela se terminerait comme ça », reconnaît-elle.
Pourtant, la situation était volatile depuis le matin dans la capitale américaine, devenue depuis l’annonce de la victoire de Joe Biden le théâtre de grandes manifestations pro-Trump, parfois violentes. Dès midi, alors que les parlementaires se réunissaient pour la traditionnelle séance de certification des résultats – une simple formalité en temps normal –, Donald Trump a, pendant plus d’une heure, déroulé ses habituels mensonges sur l’élection présidentielle devant une foule de plusieurs milliers de fans.
Celle-ci était réunie à « The Ellipse », un espace vert entre la Maison Blanche et l’obélisque du Washington Monument, dans le cadre de la « Marche pour sauver l’Amérique » (« Save America March »), un grand rassemblement de la galaxie trumpiste. « Nous allons marcher vers le Capitole et encourager nos braves sénateurs et députés », leur a dit le président américain, qui espérait alors que le Congrès et le vice-président Mike Pence, qui présidait la séance de certification, reviendraient sur les résultats du scrutin. Douze sénateurs et plus de cent députés républicains s’étaient engagés à formuler des objections contre les votes des grands électeurs rattachés à certains « Swing States », comme l’Arizona et la Géorgie.
Dans la foule peu masquée, le bruit circule : « On devrait entrer dans le Capitole. C’est la maison du peuple. Notre maison. Nos impôts la financent », suggère-t-on. Plusieurs personnes ne cachent pas leur frustration vis-à-vis des parlementaires, y compris les républicains qui ont laissé tomber leur champion un peu trop rapidement. Le leader du parti au Sénat, Mitch McConnell, qui a félicité Joe Biden pour sa victoire à la mi-décembre, concentre leur courroux. « Pour moi, le parti républicain est mort, juge Rob Montgrow, un électeur trumpiste. J’ai voté pour Trump car, à la différence des républicains et des démocrates, il n’est pas dans la demi-mesure. Il ne doit rien à personne. Les gens qui manifestent aujourd’hui ne sont pas démocrates ou républicains. Ils sont pour Trump. Nous formons un troisième parti. Notre mouvement n’en est qu’à ses débuts. »
Petit à petit, les participants se mettent en branle le long de Constitution Avenue, la longue artère qui rejoint le Capitole. Sur leur chemin, ils croisent le ministère de la justice, anciennement dirigé par Bill Barr, un proche de Donald Trump qui a contredit son patron en décembre en indiquant qu’il n’y avait aucune preuve de fraude électorale massive lors des élections de novembre. Les marcheurs dégainent quelques doigts d’honneur et leurs plus belles insultes en guise de remerciement.
Au Capitole, où la séance de certification est en cours, plusieurs milliers de personnes sont déjà massées sur le flanc ouest du bâtiment, où se trouvent les gradins qui doivent accueillir, le 20 janvier, la cérémonie d’investiture de Joe Biden. Il règne comme un parfum de révolution. « Mettez la tête d’Obama sur une pique ! », « Donnez-nous Nancy Pelosi [la cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants – ndlr] », entend-on pêle-mêle. Jamais le Capitole, perché sur sa colline, n’a autant ressemblé à la Bastille.
Rapidement, un groupe de manifestants prend possession de la plateforme aérienne où seront installées les caméras pour l’investiture et brandissent en conquérants des drapeaux à la gloire de Donald Trump. En bas, d’autres surmontent un muret avec l’aide de barrières de sécurité renversées. Leur objectif : s’approcher le plus possible des gradins qui mènent au Capitole, malgré la police.
Deux individus haranguent la foule à l’aide de mégaphones. « C’est notre dernière chance ! », lance l’un tandis que l’autre invite « les patriotes » à franchir le muret. « Arrêtez de prendre des selfies. Ce n’est pas un jeu. Nous ne sommes pas là pour prendre des photos ! Plus nous serons nombreux, plus ils auront de mal à nous repousser. » La situation se tend. Quelques jets de grenades lacrymogènes fendent l’air, à la surprise de certains – « la police est censée nous protéger et protéger la Constitution », s’indigne une femme. Loin de se disperser, la foule gagne du terrain. Elle emplit progressivement les gradins et les échafaudages voisins. La scène est stupéfiante : l’endroit où Joe Biden doit prêter serment devant le pays dans deux semaines est soudain envahi par une armée de casquettes rouges et de drapeaux trumpistes. Une gigantesque banderole « Trump 2020 » est déployée à la base des gradins, comme pour marquer le territoire.
Vers 15 heures (heure locale), une colonne de forces de l’ordre parvient à reprendre le contrôle de la partie supérieure de la structure. De l’autre côté du bâtiment, la situation est encore plus tendue. Des centaines de manifestants, certains en attirail militaire, ont pu pénétrer dans le Capitole. Ils se prennent en photo à l’intérieur du bâtiment, y compris dans le superbe National Statuary Hall, qui regroupe les statues d’Américains illustres.
Selon les historiens, la dernière attaque contre le Capitole remonte à 1814, quand les soldats britanniques, qui avaient envahi Washington lors de la guerre de 1812, l’ont incendié. Ce 6 janvier 2021, il n’y a point eu d’incendie, mais quatre morts – une femme touchée par balle au torse dans l’enceinte du Capitole et une femme et deux hommes aux alentours. Au total, 52 personnes ont été arrêtées dans la capitale, a annoncé mercredi soir la police de Washington. De nombreux blessés et des images qui en disent long sur l’état des États-Unis en 2021, celles de parlementaires terrifiés allongés sur le sol avant d’être évacués par la police, des agresseurs qui se baladent avec le drapeau confédéré, symbole de la sanglante guerre civile de 1861, dans les couloirs du pouvoir…
« Notre démocratie vit une agression sans précédent », a estimé Joe Biden dans une allocution, en appelant le président républicain à se rendre devant les caméras pour demander « la fin de ce siège ». Ce dernier a enregistré une vidéo pour appeler ses sympathisants à rentrer chez eux… non sans glisser que l’élection a été « volée » et qu’il comprenait leur « douleur ».
À la gare centrale de Washington, Union Station, où plusieurs manifestants sont rassemblés pour se mettre au chaud alors que le Capitole est en train d’être sécurisé, Bill Reinbacher ne voit pas le problème avec les événements de la journée. Pour lui, elle a même été bonne. « Nous avons montré au président et au pays que nous étions derrière lui. »
Pour sa part, Sharon Perez se garde de mettre la responsabilité sur le dos des trumpistes, malgré les nombreuses images et témoignages du contraire. « J’ai vu des vidéos qui montraient des manifestants brandir des drapeaux d’antifas », dit-elle, en référence à la nébuleuse antifasciste que le président américain décrit comme une organisation terroriste. « Les médias vont encore dire que tout ça est la faute de Trump. »
Au même moment, la victoire de Jon Ossoff, candidat à la sénatoriale en Géorgie, est officialisée et permet aux démocrates de prendre le contrôle du Sénat avant l’entrée en fonction de Joe Biden. C’est la première fois en dix ans que ce parti aura une majorité à la chambre haute. Un nouveau départ pour clôturer une journée qui restera dans l’histoire.
Tard dans la nuit américaine, le Congrès, après avoir repris ses travaux, a formellement validé l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis.