Yona Helaoua (Reporterre), 13 juin 2020
Aux États-Unis, la mort de l’afro-américain George Floyd lors de son arrestation a provoqué une prise de conscience inédite du racisme institutionnel. Les minorités raciales, plus durement touchées par la pauvreté, les problèmes de santé ou encore les violences policières, sont aussi en première ligne de la crise climatique.
En une quinzaine de jours, les États-Unis ont vécu un bouleversement idéologique. Le meurtre de George Floyd, énième mort d’un Américain noir aux mains de la police, a provoqué une conversation inédite sur le racisme ancré dans les institutions du pays. Parmi ses composantes, le racisme environnemental est, depuis le début des années 1980, dénoncé par une partie du mouvement écolo. Il a toutefois tendance a être moins mis en avant dans les luttes.
Dans le domaine des sciences de l’environnement, le champ de la « justice environnementale » s’affaire à démontrer que les minorités raciales sont disproportionnellement exposées aux risques climatiques. En 1982, des protestations contre l’acheminement de déchets hautement toxiques vers une décharge située dans un comté à majorité noire de Caroline du Nord ont lancé le mouvement.
En 1987, une étude considérée comme fondatrice a expliqué comment les communautés avec un fort pourcentage de Noirs ou d’hispaniques avaient plus de risques d’avoir sur leur territoire un ou plusieurs sites de déchets toxiques. Les travaux sur le sujet se sont succédé depuis. Une étude de 2003 a ainsi montré que les Noirs avaient trois fois plus de risques que les Blancs de vivre dans un quartier où le trafic automobile, et donc la pollution, est dense.
Plus récemment, l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, en 2005, qui a dévasté des quartiers noirs mal protégés par les digues, l’affaire de l’eau contaminée au plomb à Flint, une ville du Michigan à majorité noire [1] ou encore la lutte des Amérindiens de Standing Rock, opposés à l’arrivée d’un oléoduc sur leur réserve dans le Dakota du Nord, sont d’autres exemples de racisme environnemental.
Ces sujets bénéficient d’un traitement médiatique de plus en plus important. Mais les scientifiques et militants qui travaillent sur la question du racisme environnemental se plaignent de ne pas être encore assez entendus. Y compris par leurs pairs du monde écolo. « Il y a du racisme au sein du mouvement lui-même, où certains pensent qu’évoquer ces questions est une distraction », affirme Jacqueline Patterson, directrice du programme pour la justice climatique et environnementale pour l’organisation [NAACP|The National Association for the Advancement of Colored People], organisation américaine de défense des droits civiques, au site NBC News. « Personne n’enfile de cape blanche [en référence au Klu Klux Klan] mais le racisme et les biais implicites sont évidents. »
Elle explique ce problème par des raisons historiques :
Les racines du mouvement environnemental traditionnel viennent de la conservation de la flore, de la faune et des espaces sauvages. C’est faire un grand saut pour ces gens-là que de réfléchir aux droits humains et à la façon dont le racisme environnemental affecte les communautés. »
Robert Bullard, professeur d’urbanisme et de politique environnementale à la Texas Southern University de Houston, a fait l’expérience de cette résistance. En 1979, sa femme avocate a travaillé sur une plainte collective contre l’installation d’une décharge publique dans un quartier noir de Houston. Il avait alors étudié la question, mais avait reçu peu de soutien : « Il n’y avait pas de mouvement pour la justice environnementale en 1979. Il y avait des groupes environnementaux blancs qui ne comprenaient pas les problèmes et l’injustice, mais il y avait aussi des organisations noires qui se battaient pour les droits civiques et qui pensaient que ça [la justice environnementale] ne faisait pas partie de leur agenda », a-t-il expliqué à NBC News.
« Je ne peux plus respirer » : la connexion entre racisme et crise climatique est évidente
Robert Bullard est aujourd’hui l’une des voix les plus importantes aux États-Unis en matière de justice environnementale. En 1991, il a cosigné une lettre adressée à plusieurs ONG, comme l’Environmental Defense Fund, le Natural Resources Defense Council ou encore le Sierra Club, pour dénoncer le manque de diversité en leur sein. « C’était pour les mettre au défi d’être fidèles à leurs idéaux », explique-t-il à NBC News. « S’ils sont pour la protection de l’environnement, ils devraient parler de la protection de l’environnement pour tous, pas seulement pour les élites et les classes moyennes blanches. »
Pour le révérend Michael Malcom, directeur d’Alabama Interfaith Power and Light, une organisation religieuse engagée contre la crise climatique et le racisme environnemental, la connexion entre les deux combats est pourtant évidente et se résume une phrase : « Je ne peux pas respirer. » Les derniers mots soufflés par George Floyd, écrasé sous le genou du policier qui l’a tué, sont valables dans une multitude de situations : « Qu’il s’agisse de la pression ressentie à travers une politique, de la violence que nous subissons de la part de ceux qui sont supposés nous protéger ou de la brutalité à laquelle nous faisons face à cause de la pollution », la réponse a toujours été « je ne peux pas respirer », indique-t-il au site NBC News.