Par LIZA FEATHERSTONE, Jacobin, traduction Rana BOUAZER
Lors d’une visite officielle de l’État, le premier ministre indien Narendra Modi a été fêté et loué malgré son nationalisme hindou et ses politiques de droite — même par des démocrates. Le premier ministre indien Narendra Modi, qui effectue une visite à la Maison-Blanche cette semaine, est l’un des dirigeants d’extrême droite les plus importants au monde.
Sa persécution des minorités religieuses a même troublé le département d’État américain, qui a pris note du problème dans son rapport annuel sur la liberté religieuse.
Son administration a adopté des lois discriminatoires à l’encontre des musulmans qui ont contribué à une hausse effrayante de la violence contre ces derniers en Inde. Modi a également emprisonné des journalistes et des militants et a tenté d’utiliser le système judiciaire pour supprimer un documentaire de la BBC qui le critiquait. Il s’est vu refuser un visa américain pendant des années en raison de son rôle dans une émeute antimusulmane de 2002 au cours de laquelle plus d’un millier de personnes, pour la plupart musulmanes, ont été massacrées.
Si ce type de politique fasciste trouve foyer aux États-Unis, la plupart des gens supposeraient qu’il se retrouverait dans le parti républicain de Donald Trump. Pourtant, Joe Biden et les démocrates ont déroulé le tapis rouge pour Modi la semaine du 22 juin.
Modi ne mange pas de viande, c’est pourquoi Jill Biden a demandé à un chef californien de préparer du millet et des champignons farcis pour le dîner d’État de jeudi qui réunissait 400 invités, y compris un risotto au safran et un shortcake aux fraises infusés à la rose et à la cardamome, un menu que la première dame a qualifié d’«époustouflant».
Lors de leur apparition conjointe jeudi, le président Biden n’a non seulement mentionné aucun des problèmes de droits de l’homme que connaît le régime de Modi, mais il l’a également couvert d’éloges explicitement trompeurs.
«L’égalité devant la loi, la liberté d’expression, le pluralisme religieux, la diversité de nos peuples — ces principes fondamentaux ont perduré et évolué», a déclaré M. Biden, en opposition directe avec les preuves du bilan de M. Modi, «même s’ils ont été confrontés à des défis tout au long de l’histoire de nos deux nations».
Le lèche-cul a commencé avant même l’arrivée de Modi. Le mois dernier, Joe Biden a déclaré à Modi : «Je devrais vous demander un autographe. Vous me posez un vrai problème. Le mois prochain, nous organisons un dîner pour vous à Washington. Tout le monde dans le pays veut venir. Nous n’avons plus de billets.»
L’engouement de l’administration pour Modi n’est pas nouveau. L’été dernier, lors d’un événement parrainé par l’ambassade des États-Unis en Inde, la secrétaire d’État au commerce, Gina Raimondo, a qualifié le premier ministre d’«incroyable, de «visionnaire». Elle s’est exclamée : «Ce n’est pas pour rien qu’il est le dirigeant mondial le plus populaire. Son niveau d’engagement envers le peuple indien est tout simplement indescriptible, profond, passionné, réel et authentique».
Pourquoi les démocrates aiment-ils Modi? Après tout, ils détestent Trump, un dirigeant national de droite dont la politique est similaire à bien des égards à celle du premier ministre.
Il s’agit en partie d’une stratégie géopolitique impériale. Tout comme les États-Unis étaient heureux de soutenir le général Augusto Pinochet au Chili pendant la guerre froide, M. Biden cherche aujourd’hui à établir un partenariat avec Modi pour contrer la Chine. La visite a été l’occasion pour les deux grandes puissances de présenter leurs projets de coopération en matière de défense.
Les démocrates apprécient également l’engagement de Modi en faveur du capitalisme néolibéral. Quelques grands partenariats entre des entreprises indiennes et américaines ont été annoncés cette semaine, dont un entre General Electric et Hindustan Aeronautics. Au cours de la visite, d’importantes ventes d’armes ont également été annoncées, ainsi qu’un effort massif de l’entreprise américaine Micron afin de construire des semi-conducteurs en Inde.
Par ailleurs, les Indiens-Américains constituent un bloc électoral important. Plus de 70 % des Indiens-Américains auraient voté pour Biden en 2020, mais Modi reste extrêmement populaire dans ce pays.
Cela inclut les Indiens-Américains qui sont plus conservateurs dans le contexte indien : de nombreux partisans américains du Bharatiya Janata Party, le parti d’extrême droite de Modi, votent pour les démocrates et leur font même des dons. Les Indiens-Américains sont considérés comme des électeurs importants dans certaines circonscriptions électorales. En accueillant Modi de manière aussi spectaculaire, le président américain satisfait également ces sympathisants du parti démocrate.
Bien entendu, le président des États-Unis doit s’entretenir avec tous les dirigeants puissants du monde, même s’ils sont peu recommandables. Mais une visite d’État est l’expression d’une considération diplomatique particulière. Cela, combiné à la pompe et aux louanges, est révoltant et insultant pour tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre l’extrême droite mondiale.
La socialiste démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a boycotté le discours de Modi face au Congrès, soulignant que l’invitation du président a un autre dirigeant mondial à prononcer un discours commun avec lui fait partie «des invitations et des honneurs les plus prestigieux que les États-Unis puissent accorder» — un privilège qui ne devrait pas être accordé au dirigeant d’un pays dont le musée américain de l’Holocauste a averti qu’il présentait un risque élevé de massacres de masse
Les autres socialistes démocratiques du Congrès — Rashida Tlaib, Cori Bush et Jamaal Bowman — ont également boycotté le discours, tout comme la députée Ilhan Omar, qui a présenté une résolution condamnant les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement Modi. Les groupes indiens de défense des droits de l’homme et de gauche ont protesté contre la venue de M. Modi. Le représentant libéral démocrate Ro Khanna a quant à lui rejeté le boycottage des socialistes, estimant qu’il s’agissait d’un «sermon de l’Occident».
Toutes les louanges officielles des démocrates ont pour effet d’occulter et de «White Wash» ce qui se passe en Inde. Les mêmes personnes qui vous diront de voter bleu quoi qu’il arrive parce que Trump est un fasciste ne semblent pas trop s’inquiéter du fascisme dans un pays comme l’Inde. Cet épisode honteux montre que l’on ne peut pas compter sur les centristes pour lutter contre l’extrême droite; ils s’allient souvent stratégiquement avec la droite lorsqu’ils estiment devoir contrer le communisme ou faire progresser le néolibéralisme.
Parmi les élus américains, les seuls à condamner l’adoration envers Modi sont les socialistes et nos proches alliés. Il revient à la gauche, comme elle l’a souvent fait au cours de l’histoire récente, de rester ferme dans la lutte contre le fascisme.