États-Unis : Pourquoi punir le Venezuela?

STEVE ELLNER et TERI MATTSON, Jacobin, 4 novembre 2019

Si vous voulez des preuves que le gouvernement américain se fiche du trafic de drogue, des règles démocratiques, des droits humains, ou de la corruption, vous n’avez qu’à regarder comment l’administration de Trump traite le Honduras comparativement au Vénézuela. La récente condamnation de Tony Hernández pour contrebande de cocaïne de la cour suprême du fédéral dans lequel son frère, le président du Honduras Juan Orlando Hernández, n’as pas été mis en accusation pour co-comploteur, démontre clairement que le Honduras est un narco-État. Le Honduras est un État voyou. Des preuves convaincantes le confirment : corruption généralisée, fraude électorale, répression sauvage. Ce qui nous force à comparer le Honduras au Vénézuela dont le dernier est confronté à des accusations semblables.

Cependant, le Vénézuela écope des conséquences infiniment plus sévères, sous forme de sanctions internationales et autres actions pour changer le régime. Même si on est prêt à accepter les dénonciations faites contre le gouvernement du président Nicolas Maduro par ses adversaires, et avec raison, le Vénézuela n’atteint pas le niveau de comportement immoral et non démocratique dont fait preuve le Honduras.

Ce n’est qu’un exemple d’incohérence de la politique étrangère américaine parmi tant d’autres, qui date de la Guerre froide. Bien avant Trump, Washington a condamné quelques gouvernements pour avoir violé les règles de la démocratie et en a accepté d’autres qui sont tout aussi mauvais ou pire. Washington a menacé d’intervenir militairement ou a même intervenu contre certains pays pour certaines raisons, tandis que pour d’autres, pour lesquels les mêmes raisons pouvaient s’appliquer, il a offert un grand soutien militaire.

Sous Trump, cette incohérence s’est accentuée. Tandis que Trump comdamne Maduro pour sa conduite prétendument non démocratique, voyez par exemple, la liste de présidents à qui Trump fait des éloges, en se basant sur la même raison démocratique : Rodrigo Duterte (Philippines), Jair Bolsonaro (Brésil), Prince Mohammad bin Salman (Arabie saoudite); et Andrzej Duda (Pologne). Bien au contraire, plusieurs leaders de l’Europe ont sévèrement critiqué ces régimes pour leur conduite clairement antidémocratique.

Prenez aussi l’exemple de Trump qui menace l’Iran et le Vénézuela d’invasion militaire, si ce n’est pas d’oblitération, en faisant gage de mettre fin « aux guerres sans fins » dans tout le Moyen-Orient, à l’impasse de longue date avec la Corée du Nord, et aux relations hostiles avec la Russie. Cependant, contrairement à la rhétorique belliqueuse qu’entretiennent les leaders du parti démocratique américain, ces positionnements pourraient avoir un certain mérite.

Il n’y a pas meilleur exemple que le Vénézuela et le Honduras pour démontrer le contraste contradictoire de la politique étrangère de Trump. La raison pour laquelle une telle comparaison est si convaincante provient des quatre principales accusations que Washington a fait à Maduro pour ainsi justifier l’imposition de sanctions économiques paralysantes : trafic de drogue, non respect des règles démocratiques, atteintes aux droits humains, et corruption généralisée. On aurait autant pu faire appel à ces quatre mêmes accusations pour justifier des sanctions internationales contre le Honduras.

Débutons donc la comparaison.

Trafic de drogue

Le président Juan Orlando Hernández avait été accusé d’avoir reçu un pot-de-vin d’un million de dollars de la part d’El Chapo du Mexique durant le le procès de Tony Hernández, jugé coupable pour les chefs d’accusation de « complot à l’importation de cocaïne », et de « possession de mitrailleuses et d’appareils destructifs ». Pourtant, un jour après la fin du procès, Colleen Hoey, chargée d’affaires américaines à Tegucigalpa, était photographée lors d’un évènement public, souriant à côté du président. Mais pour qualifier le Honduras de narco-État, ça va beaucoup plus loin.

Hilda Hernández, la sœur du président, décédée, a également fait l’objet d’une importante enquête sur le trafic de drogue et le blanchiment d’argent menée par les autorités américaines. Des exemples contre le Honduras remonten à encore plus loin. Fabio Lobo, le fils du prédecesseur de Hernández, a reçu une peine de vingt-quatre ans dans une prison américaine après avoir plaidé coupable pour avoir « comploté pour avoir importé de la cocaïne aux États-Unis. »

Comparez cette preuve indéniable du Honduras d’avec le Vénézuela. En novembre 2015, en Haïti, lors d’un achat par un agent d’infiltration orchestré par l’agence fédérale américaine DEA, l’administration pour le contrôle des drogues, il y a eu l’arrestation de deux neveux de la femme du chef de l’état vénézuelien Cilia Flores. Les deux ont reçu une peine de dix-huit ans de prison dans une cour américaine, alors qu’ils n’étaient pas liés à un cartel, et (aux dires de leurs avocats), « n’auraient jamais pu avoir l’intention ni la capacité à livrer une grande quantité de drogues, » tel qu’indique le chef d’accusation.

L’autre accusation qui implique le gouvernement vénézuélien, quant à elle, manque de preuve établie. À quelques jours avant l’élection présidentielle de 2018, le gouvernement américain a accusé Diosdado Cabello, le numéro deux après Maduro, de trafic de drogue, en plus de lui flanquer des sanctions financières. À la différence du fils de Lobo et du frère de Hernández, il n’y a pas eu de chefs d’accusation formellement émis par la justice américaine contre Cabello, en plus de ne pas avoir obtenu un droit de réponse.

Non respect des règles démocratiques

Quant à la fraude électorale, le Honduras se compare défavorablement. L’élection présidentielle de novembre 2017 a eu un délai de trente-six heures pour compter les bulletins de vote, au moment où Salvador Nasralla, la candidate de centre-gauche, prenait une avance de manière définitive. Lorsque le décompte a repris, les résultats ont étés en faveur de Hernández, le président sortant.

Selon Nasralla, une correction des résultat frauduleux aurait été peu probable puisque la cour suprême et le tribunal électoral se rangeaient du côté de Hernández. Par rapport aux autres gouvernements de la région, de même que l’Organisation des États américains (OAS), Washington a immédiatement reconnu la légitimité de la présidence de Hernández et a demandé à Nasralla de la reconnaître aussi.

Lors de sa dernière élection présidentielle tenue en mai 2018, le Vénézuela a vu un taux de participation de 46 pour cent malgré un boycott de presque tous les partis de l’opposition. Les objections de l’opposition au processus électoral se reposaient sur des pratiques malhonnêtes, telles que la chaîne télévisuelle étatique qui a failli à accorder une durée de publicité à tous les candidats telle qu’établie, qui n’a pas eu lieu. La plupart du temps, il s’agissait d’allégations d’un mauvais comptage des bulletins de vote, ou encore, que le vote n’était pas confidentiel. Suite aux élections, le président Trump a émis un décret-loi, limitant le Vénézuela sa capacité à liquider les actifs et la dette de l’État aux États-Unis.

Droits humains

L’atteinte aux droits humains au Vénézuela a souvent été dénoncé, avec beaucoup de preuves à l’appui. Le gouvernement a emprisonné des leaders de l’opposition, et des affrontements entre les forces armées et les manifestants en 2014 et en 2017 ont occasionné près de deux cents morts au total. Mais pour que l’évaluation soit objective, il faut une mise en contexte.

Lors des deux manifestations, les zones urbaines ont été paralysées pendants quatre mois; des centaines de barricades ont été construites; et les armements utilisés par les manifestants (en 2014) ont résulté à la mort de six hommes de la garde nationale et de deux policiers tandis que les installations militaire et policière se faisaient tirer dessus et étaient envahies. Le 4 août 2018, deux drones ont tenté d’assassiner le président Maduro, qui parlait à un allié, aux côtés de sa femme et des membres du haut commandement militaire. Imaginez la réaction des autres gouvernements face à des tactiques de la sorte.

Au Honduras, les forces de sécurité du président Hernandez ne sont pas des victimes de la violence, elles en sont les instigatrices. Dans un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies publié en mars, on y indique : « [l]’impunité est restée de mise, incluant les atteintes au droits humains, dont témoigne le progrès modeste qui a été fait dans la poursuite et le procès des membres des forces de sécurité pour atteintes aux droits humains commises dans le contexte des élections de 2017. »

Corruption

Difficile de nier la corruption généralisée dans ces deux pays. Pour le Vénézuela, le président Maduro a reconnu une possible véracité dans la teneur des dénonciations formulées par les initiés en 2014 à propos d’une escroquerie de plusieurs milliards de dollars à la suite d’un contrôle de système d’échanges. Il n’a pas su agir. Ce n’est qu’à la mi-2017 qu’il a commencé à combattre la corruption avec la nomination d’un nouveau procureur général.

Au Vénézuela, par contre, il n’y a rien qui équivaut au type de preuves présentées durant le procès de Tony Hernández que les millions de dollars issus de la drogue ont contribué à l’élection du président du Honduras.

Contrecoups en vue?

Pourquoi y a t-il des pays comme le Vénézuela figurent sur la liste des pays ciblés de  Washington, tandis que d’autres, comme le Honduras, reçoivent un traitement favorable? Une explication serait que, pendant que le Vénézuela a poursuivi des politiques publiques anti-néolibérales, le Honduras a mis en œuvre des politiques néolibérales depuis que les États-Unis ont appuyé le renversement du président Manuel Zelaya dix ans auparavant. Celles-ci comprennent la privatisation des soins de santé et de l’eau cette année, ce qui a provoqué des manifestations dans les rues qui ont été sévèrement réprimées.

Une autre explication serait que, Washington a les yeux rivés sur le pétrole vénézuélien. Dans un esprit de conquête, la politique de Trump envisage maintenant le territoire du nord-est de la Syrie occupée par les Kurdes. Une troisième explication serait que le Vénézuela entretient des relations économiques, politiques et militaires aisées avec la Russie et la Chine. Tous ces arguments n’agissent pas de façon mutuellement exclusive mais comportent chacun un fond de vérité.

La comparaison Honduras-Vénézuela présente à quel point les rôles de Washington, à la fois juge et policier, sont devenus si visiblement égoïstes sous Trump. Même si l’interventionisme en faveur des intérêts des États-Unis a longtemps fait partie intégrante de la politique étrangère de Washington, il est maintenant gonflé à bloc. Dopé aux stéroïdes.

Cependant, des répercussions internationales semblent se pointer à l’horizon. C’était évident à l’Assemblée générale de l’ONU du 17 octobre lorsque 105 délégués ont voté pour admettre le Vénézuela comme membre au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, et plusieurs parmi eux ont applaudi suite à l’annonce des résultats. Les États-Unis ont activement fait campagne contre le Vénézuela à devenir membre, mais parce que le vote était secret, les efforts d’intimidation combinés à du matériel de dissuasion se sont avérés inefficaces.

Pendant ce temps, les manifestations dans les rues à Tegucigalpa et dans d’autres villes du Honduras ont appelé à la démission de Juan Orlando Hernández en réponse à la condamnation de son frère. En dépit de tous les efforts de l’administration Trump à expulser Maduro, notre homme à Tegucigalpa finira par être le premier à partir.

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