Yorgos Mitralias, CADTM, 14 octobre
“Pouvez-vous imaginer combien radicalement notre monde pourrait changer si demain une guerre civile allait éclater dans la superpuissance planétaire, les États-Unis d’Amérique ? Ne vous empressez pas de sourire en pensant que tout cela n’a rien à voir avec la réalité ou que cela ressemble plutôt à de la science-fiction. Ne le faites pas parce que cela a beaucoup à voir tant avec la réalité qu’avec l’actualité nord-américaine ! Parce qu’en plus de Trump qui ne cache pas ses penchants pour la guerre civile, ils sont aux États-Unis de plus en plus nombreux ceux de ses amis et de ses ennemis qui voient se rapprocher cette perspective cataclysmique, hier encore impensable… »
Voici ce que l’on écrivait en mars 2019 comme introduction à un article au titre éloquent “Le spectre de la guerre civile hante déjà les États-Unis d’Amérique ! [1] » En l’espace de sept mois qui ont suivi, la menace de la guerre civile aux États-Unis s’est précisée et est devenue immédiate puisque Trump fait tout ce qu’il lui est possible pour donner raison à ceux qui prévoient qu’il n’hésitera pas à ensanglanter le pays afin de rester cramponné au pouvoir ! C’est ainsi qu’on voit actuellement dominer dans les débats et l’actualité politique des États-Unis l’interrogation cauchemardesque qui torture les américains et met en question leurs certitudes (« éternelles ») concernant la solidité de leurs institutions démocratiques : « Et si Trump n’accepte pas d’abandonner le pouvoir ? »
Comme on devait s’y attendre, le lancement de la procédure de destitution ( impeachment ) de Trump a accéléré grandement les développements puisque la menace d’éloignement de Trump de la Maison Blanche a pris corps devenant concrète et directe. La conséquence en a été que Trump a réagi violemment adressant une kyrielle des menaces gravissimes contre ses adversaires et dévoilant en même temps ses penchants pour la guerre civile. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à appeler « coup d’État » l’enquête parlementaire concernant sa tentative d’associer le président d’Ukraine à un complot visant son concurrent, le candidat Démocrate Jo Biden. Et menacer de faire « exécuter » les lanceurs d’alerte de ses crimes et aussi le « traître » président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants ou même la présidente du Parlement Nancy Pelosi, parce qu’ils osent se tourner contre lui. Et surtout, il n’hésite pas à déclarer publiquement que toute tentative de l’éloigner du pouvoir conduira inévitablement à la guerre civile et au bain de sang !
Alors, étant donné que Trump semble disposé à tout faire afin de rester au pouvoir, la question critique qui demande réponse est dans quelle mesure Trump est capable de traduire ses menaces en actes. C’est-à-dire, dans quelle mesure ses supporters, mais aussi les diverses forces (policières) armées qui lui sont fidèles seraient disposées à le suivre jusqu’à la fin. Les premières informations concernant les dispositions par exemple des milices (surarmées), dont certaines comptent plusieurs milliers de membres, sont très claires : toutes déclarent qu’elles attendent de la Maison Blanche le « mot » qui leur donnera le feu vert pour entrer en action (“Mr. President. All you have to do is say the word.”) !
Cependant, les centaines de milices qui constituent de fait “l’armée privée” de Trump ne sont que le sommet de l’iceberg des dizaines de millions des citoyens américains qui, au moins pour l’instant, suivent aveuglement ses actes et ses prises de position même les plus scandaleuses et extravagantes. Il s’agit de ce 30 %-35 % des américains – confirmé par toutes les enquêtes depuis 2 ans et demi – qui reste immuable et solide comme du béton derrière un Trump qu’ils croient “providentiel” et aux capacités surnaturelles !
Mais force est de constater qu’à l’opposé de la base sociale de Trump qui lui est dévouée corps et âme, des personnalités de l’establishment Républicain ainsi que certains médias de droite et d’extrême droite qui soutiennent Trump, se montrent dernièrement préoccupés, allant jusqu’à prendre leurs distances et même à se déclarer en désaccord avec quelques unes de ses actes comme ses tentatives d’impliquer des pays étrangers dans sa campagne électorale ou sa trahison de alliés Kurdes laissés à la merci de l’armée d’Erdogan. Il s’agit d’une première brèche – sérieuse et bien prometteuse – dans l’unité du camp du président américain, mais il faudra beaucoup plus pour que l’on voit l’establishment Républicain rompre avec Trump…
Dans le cas du parti Républicain comme dans celui de la police et de l’armée, beaucoup dépendra de la tournure que prendra l’affrontement et des rapports de force qu’il va produire. Plus concrètement, tandis que les diverses forces de police, qui sont quelque chose comme les prétoriens de Trump, lui sont totalement dévouées, la situation est loin d’être claire en ce qui concerne les dispositions de l’état-major, et plus généralement de l’armée, laquelle ne semble pas trop sympathiser avec le Président. Alors, la conclusion (provisoire) est que tandis que Trump et sa base sociale paraissent bien déterminés à se maintenir au pouvoir en recourant même à la guerre civile, il est actuellement impossible de prévoir dans quelle mesure cette détermination conduira à un embrasement générale ou partiel. En d’autres termes, dans quelle mesure cet embrasement va se limiter à des actes isolés de désespoir – et de terrorisme – de quelques milices d’extrême-droite, ou il va mobiliser et impliquer plusieurs millions de fidèles de Trump.
Toutefois, la polarisation de la société américaine et la haine abyssale qui sépare les deux camps – pour et contre Trump – est telle que l’on ne peut s’attendre qu’à la détérioration ultérieure de la situation. C’est exactement dans ce contexte cataclysmique de crise généralisée et d’effondrement du bipartisme, que l’autonomisation de Trump par rapport aux divers centres de pouvoir traditionnels, combinée avec ses réactions pour le moins imprévisibles, « atypiques » et toujours plus déséquilibrées, créent un cocktail extrêmement explosif. La conséquence de cette situation inédite est qu’elle pourrait très bien conduire à des « coups de tête », comme par exemple à des actes de violence aveugle et de masse, dont un avant-goût nous est offert presque quotidiennement par ces supporters de Trump qui, prenant à la lettre les incitations à la violence de leur chef, provoquent des bains de sang dont les victimes sont des Afro-américains, des Latinos ou des immigrés…
Il va sans dire que l’évolution des penchants de Trump vers la guerre civile sera très influencée par les réactions du camp adverse, et plus concrètement par sa capacité de faire face à la violence d’extrême-droite de telle manière que la masse des supporters de Trump ainsi que des institutions de l’État (comme par exemple l’armée) soient découragées d’appuyer en actes le Président putschiste. Sans entrer dans les détails, force est de constater que la seule force capable de faire face aujourd’hui à Trump et à ses supporters est l’énorme mouvement populaire qui est en train de se développer derrière la candidature de Bernie Sanders. Un Bernie Sanders toujours plus radical et combatif et qui n’hésite plus à déclarer que sa différence fondamentale avec sa concurrente de gauche Elisabeth Warren est … qu’ « elle est capitaliste, moi pas » [2] ! Ceci étant dit, tout est désormais possible, le meilleur mais aussi le pire, bien que les partisans de Trump soient surarmés tandis que leurs adversaires ne peuvent – pour l’instant – leur opposer que leur enthousiasme et leur détermination de bâtir un monde radicalement différent, avant qu’il ne soit trop tard pour nous tous !…
En guise de conclusion et tenant compte des événements des dernières semaines, nous prenons le risque de faire la prévision suivante concernant la direction que pourrait prendre prochainement la crise américaine : Étant donné que Trump ne reconnaît pas la légitimité de la procédure parlementaire visant sa destitution, qu’il qualifie d’ailleurs de « coup d’État », on peut logiquement prévoir qu’il ne va pas reconnaître, et par conséquent respecter, ses décisions qui lui seraient défavorables. Un tel développement conduirait alors automatiquement à l’existence de deux « pouvoirs étatiques » rivaux et antagoniques, lesquels tendraient à nier l’un la légitimité de l’autre. Et dans ce cas, la célèbre interrogation cauchemardesque « Et si Trump n’accepte pas d’abandonner le pouvoir ? » se traduirait en l’éventualité tout à fait plausible de voir l’un de ces « pouvoirs étatiques » se revendiquer de sa « légitimité » pour essayer d’arrêter et neutraliser l’autre ! Et attention : Vue que l’on est déjà bien avancé sur cette direction, la réalisation de cette « éventualité » pourrait n’être qu’une question de temps… [3]
Notes
[1] http://www.cadtm.org/Le-spectre-de-la-guerre-civile-hante-deja-les-Etats-Unis-d-Amerique
[2] https://thehill.com/homenews/campaign/465547-sanders-on-difference-with-warren-shes-a-capitalist-im-not?fbclid=IwAR0NR_fzi9rmWeAevFF6CFF4QY8o6rV9uldEXDhxdx07tacP83TC9o2FHlE
[3] Tous les événements et développements au sommet et – surtout – à la base de la société nord-américaine, ainsi que tout ce qui se passe dans les mouvements sociaux et la gauche des États-Unis, sont couverts avec des articles, des analyses, des études, et des vidéos de première main, renouvelés chaque deux heures, au Facebook : https://www.facebook.com/GreeksForBerniesMassMovement