Mr. Mondialisation 31 juillet 2020
Trois projets de pipelines majeurs ont été mis à l’arrêt aux États-Unis, ce qui laisse entrevoir un futur moins sombre dans le pays, alors que l’administration Trump n’a eu de cesse de soutenir le développement de ce type d’infrastructures. Si l’avenir de certains de ces projets se jouera aux prochaines élections présidentielles, les organisations écologistes se réjouissent de constater que les voix qui s’élèvent pour plus de justice environnementale sont de plus en plus entendues.
Courant juillet, trois bonnes nouvelles se sont succédées aux États-Unis en l’espace de deux jours. Les très controversés Atlantic Coast Pipeline, Keystone XL et Dakota Access Pipeline, pour des raisons économiques et judiciaires, ont en effet été suspendus. Les communautés locales et les organisations engagées dans la protection de l’environnement, qui se sont opposées sans relâche à ces projets, saluent des décisions historiques. Kelly Martin, directrice de la campagne Beyond Dirty Fuel du Sierra Club, y voit le début d’ « une nouvelle ère, une ère de l’énergie propre et une ère où les risques des infrastructures liées aux combustibles fossiles sont de plus en plus exposés ».
La victoire des Sioux de Standing Rock
La tribu Sioux de Standing Rock se mobilise depuis plusieurs années contre le projet Dakota Access, le plus grand pipeline de la région, devenu un symbole de l’expansion de l’industrie des combustibles fossiles. Le combat était loin d’être gagné d’avance, car le pipeline est largement soutenu par l’administration Trump – pro-énergies fossiles – depuis le départ. Dès son entrée en fonction, l’un des premiers actes du président a en effet été l’accélération du processus de délivrance des permis d’exploitation. Aux côtés de diverses organisations environnementales, les Sioux de Standing Rock ont pourtant continué la lutte et intenté plusieurs actions en justice, s’appuyant sur la menace que faisait peser le projet sur leur approvisionnement en eau.
La communauté indigène avait déjà remporté une victoire majeure en mars, lorsqu’un juge du district de Columbia avait tranché en leur faveur, estimant que l’administration Trump n’avait pas suffisamment étudié les risques du projet, comme l’exige pourtant la National Environmental Policy Act (NEPA). Début juillet, ce même juge a décidé de suspendre les opérations pendant que l’examen environnemental est en cours. Le pipeline, qui était déjà en activité, doit donc être vidé dans les semaines qui viennent.
C’est la première fois qu’un juge fédéral intervient dans un litige concernant un pipeline déjà en service. Jan Hasselman, l’avocat de l’association Earthjustice qui représente les Sioux, indique toutefois que le combat n’est pas terminé, et que les résultats de la prochaine élection présidentielle seront déterminants pour l’avenir du projet. En attendant, la résistance des Sioux de Standing Rock a inspiré les mouvements de protestation du monde entier.
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Un nouveau revers pour l’industrie fossile
C’est également une décision judiciaire qui a suspendu le développement du projet Keystone XL. Controversé depuis son origine, ce pipeline fait partie d’un grand réseau d’oléoducs destiné à transporter du pétrole produit si bien au Canada qu’aux Etats-Unis à différents centres de distributions et raffineries américaines. Ces infrastructures devaient relier la province d’Alberta au Texas. L’administration Trump et l’organisation canadienne TC Energy avait eu recours à la Cour Suprême pour poursuivre la construction du pipeline, mais le tribunal a rejeté cette demande. Un nouveau revers pour les tenants des énergies fossiles, même si la juge a précisé que d’autres décisions pourraient aller de l’avant pendant que les questions juridiques sont tranchées.
Les débats sur la soutenabilité du projet font donc toujours rage. Du point du vue scientifique, il n’y a pourtant pas d’ambiguïté. « Si nous voulons éviter de dépasser les limites de température établies aux Accords de Paris, nous devons refuser la construction de toute nouvelle infrastructure liée aux énergies fossiles », a précisé Neil Swart, un climatologue d’Environement and Climate Chnage Canada qui a calculé l’empreinte carbone désastreuse du pipeline dès le départ, dans un article du National Geographic.
Des actions en justice qui portent leurs fruits
L’abandon de l’Atlantic Coast Pipeline est un signal encore plus encourageant puisque dans ce cas, ce sont les entreprises de l’industrie énergétique elles-mêmes qui ont décidé de mettre fin à ce projet initié en 2014. Ce pipeline, dont la construction aurait nécessité plusieurs milliards de dollars, était destiné à transporter du gaz naturel depuis les montagnes de Virginie-Occidentale jusqu’à la côte de la Caroline du Nord. Les dirigeants de Dominion Energy et de Duke Energy, les deux compagnies derrière le pipeline, ont déclaré que le projet était désormais « trop incertain pour justifier l’investissement de capitaux d’actionnaires ».
Les défenseurs de l’environnement se sont félicités de cette décision. Opposés au projet depuis le début, ils se sont attachés à ralentir sa progression par divers moyens : manifestations, sensibilisation mais également contestations juridiques. « Il s’agit d’un effort soutenu qui dure depuis six ans et qui a été vraiment inlassable », a déclaré Kelly Sheehan Martin, comme le rapporte US News. Une grande partie du combat contre le pipeline s’est déroulée devant les tribunaux, à l’occasion notamment de l’obtention des permis de construction et de défrichement des terrains. Les entreprises ont d’ailleurs cité ces obstacles juridiques comme un facteur essentiel dans leur décision d’abandonner le pipe-line.
Les compagnies énergétiques en difficulté
Dominion Energy et Duke Energy avait récemment remporté une victoire, obtenant de la Cour Suprême la permission de traverser le sentier des Appalaches. Mais les entreprises craignent d’autres décisions de justice qui présenteraient des risques importants pour le projet. En raison principalement des frais juridiques, le coût estimé du projet était ainsi passé de 4,5 à 8 milliards de dollars. Dominion Energy a en outre déclaré devoir vendre une grande partie de ses activités à Berkshire Hathaway Inc.
Le ministère de l’Énergie s’est également prononcé, dénonçant les contestations judiciaires au pipeline. « Duke et Dominion ont dû prendre la décision difficile de mettre fin à ce projet parce qu’il n’est plus économiquement viable à cause des coûteuses batailles juridiques auxquelles ils continueraient de faire face », a déploré Dan Brouilette, secrétaire d’État à l’énergie dans un communiqué. « Le lobby de l’environnement, obstructionniste et bien financé, a réussi à tuer le pipe-line de la côte atlantique, qui aurait réduit les coûts énergétiques pour les consommateurs » a-t-il encore déclaré. Généralement frileux à admettre la puissance considérable des lobbies de l’énergie, le gouvernement n’hésite donc pas, lorsque ceux-ci ne sont pas triomphants, à pointer du doigt d’autres groupes de pression citoyens. Il est d’ailleurs courant de tenter d’inverser les rapports de forces dans les discours politiques réactionnaires lors des rares victoires des environnementalistes. Rappelons tout de même qu’à l’échelle de la planète, plus de 200 activistes de l’environnement ont été assassinés au nom de leurs idées et combats. Les industriels des énergies fossiles et leurs CEO n’ont rien à craindre de ce côté là… Dans certains cas, ces assassinats sont même commandités directement par des industries extractrices de ressources à travers des mafias locales, tout particulièrement en Amérique du Sud.
Une mobilisation de plus en plus puissante
L’American Petroleum Institute, le plus grand groupe de défense de l’industrie pétrolière et gazière, a ainsi dénoncé « des règles de permis dépassées et alambiquées [qui] ouvrent la porte à un déluge de procès sans fondement et menés par des activistes. » Il s’agit en effet d’un revers important, tant pour l’industrie pétrolière que pour l’administration Trump. Le président ne ménage pas ses efforts pour affaiblir les réglementations environnementales et contourner les obstacles à l’expansion des énergies fossiles, qui s’incarnent notamment dans de récents réformes comme celle du Clean Water Act, de l’Endangered Species Act et du NEPA. Aujourd’hui, ces « efforts » pour perpétuer les droits de polluer sont enfin remis en cause.
Si le coup d’arrêt porté à ces projets découle aussi en partie des difficultés économiques induites par la crise sanitaire, il est surtout imputable à la puissance de l’opposition à laquelle l’industrie est de plus en plus confrontée. Communautés indigènes, militants écologistes, associations engagées dans la protection de l’environnement… ceux qui luttent pour la transition énergétique sont de plus en plus en nombreux et leurs voix commencent à se faire entendre. Greg Buppert, avocat principal au Southern Environmental Law Centre, se félicite de ces victoires. « Ce qui est remarquable, c’est que ces communautés, ces organisations et ces propriétaires fonciers n’ont jamais fait marche arrière. Deux choses ressortent vraiment comme des leçons : la voix de la communauté compte et la loi compte » a-t-il déclaré au média indépendant Inside Climate News.
Si l’avenir de deux de ces projets de pipelines demeure soumis aux prochaines élections présidentielles, le coup d’arrêt porté à ces infrastructures constitue une étape majeure dans la lutte contre les énergies fossiles dans un des pays les plus polluants du monde. Il semble aujourd’hui que l’industrie du pétrole et du gaz a du souci à se faire, face à la convergence des luttes et l’organisation de tous ceux qui se battent pour un autre modèle énergétique. Le fait que les décisions judiciaires soient à l’origine des suspensions de ces projets est également un signe rassurant qui confirme que l’on peut parfois compter sur l’État de droit pour trancher en faveur de la justice environnementale.