Le dirigeant éthiopien Abiy Ahmed mobilise l’armée contre le parti à la tête de la région. Des sources humanitaires font état de centaines de blessés, et les estimations diffèrent quant au nombre de mort.
Sur les cent kilomètres de route qui relient Gondar, en région Amhara, à la province du Tigré, les colonnes de véhicules militaires se succèdent. Ils roulent à tombeau ouvert vers la ville de Dansha, point de départ de l’opération militaire lancée le 4 novembre par le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, contre les forces tigréennes contrôlées par le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), le parti qui dirige cette région septentrionale entrée en dissidence contre le gouvernement fédéral. Des bus sont remplis de soldats et des pick-up chargés de miliciens, tandis que des poids lourds transportent les provisions nécessaires à l’effort de guerre.
La logistique est bien huilée et la mobilisation de grande ampleur. Pour soutenir les troupes gouvernementales éthiopiennes dans leur opération contre les autorités tigréennes considérées désormais comme illégales par le pouvoir central, à Addis-Abeba, la province voisine, Amhara est en première ligne. Les rues de Gondar bouillonnent d’activité. Les soldats de l’armée fédérale ainsi que des forces spéciales amhara parcourent les rues, tantôt partant pour le front, tantôt en revenant.
« Parti de criminels »
L’appui n’est pas seulement militaire. Awoke Zemene expédie en moyenne trois camions d’approvisionnement par jour en direction de Dansha. Sous la bâche bleue qui recouvre l’un de ses poids lourds sont affichées des inscriptions à la gloire des soldats gouvernementaux. « On envoie des céréales, du sucre, de l’huile, des biscuits, tout ce qu’on peut trouver pour soutenir nos forces. Chaque camion contient environ 1,6 million de birrs [environ 35 000 euros] de marchandises recueillies auprès des communautés de la région », assure le chef de l’administration du district de Gondar-Sud.
Dans les rues, la collecte bat son plein. Les habitants de Gondar ne se contentent pas de proposer de l’eau et de la nourriture. Un stand de don du sang voit défiler des volontaires dans le centre-ville. Les plus jeunes sont souvent les plus prompts à vouloir rejoindre les forces fédérales et les milices amhara dans la zone d’opération, quelque part plus au nord, dans cet Etat régional du Tigré coincé entre le Soudan et l’Erythrée.
Zemene Tsegay fait partie de cette jeunesse enthousiaste et dit vouloir « absolument » se battre malgré un handicap à la jambe. Le jeune homme célèbre les succès militaires de ses « frères » face aux combattants TPLF, « un parti de criminels qui a commis des crimes contre les populations amhara ». Des différends territoriaux anciens opposent depuis longtemps les Amhara – la deuxième communauté d’Ethiopie après les Oromo – et les Tigréens, qui représentent environ 6 % de la population. Ces désaccords se sont transformés en conflit au cours des dernières années, depuis qu’en 2018 Abiy Ahmed est devenu premier ministre. Ce dernier est arrivé au pouvoir à la tête de la coalition qui dirige l’Ethiopie dans le contexte d’un mouvement de contestation dans les régions Oromo et Amhara contre le pouvoir central alors dominé par les Tigréens.
Officiellement, il n’y a pas de guerre civile en cours en Ethiopie. Mais l’opération éveille des souvenirs chez certains. Awoke Mamo, il y a trente ans, faisait partie de la coalition de rébellions – à laquelle appartenait le TPLF – qui a renversé le régime communiste après une longue guerre civile. Awoke Mamo, ces derniers jours, reprend du service à sa façon. « Le matin je charge la voiture de toutes sortes de choses, eau, nourriture, et je conduis vers le front, décrit-il. Sur le chemin du retour, je rapporte quelques blessés à l’arrière. »
Awoke comme Zemene affirment que le risque de voir le conflit dégénérer en guerre civile est faible et que les combats ciblent seulement le parti TPLF et non les civils tigréens, « qui sont nos frères depuis toujours ». Mais, une fois passé la frontière avec la province du Tigré, ces nuances s’estompent.
« Poussée de revendications »
Ces territoires sont le théâtre de revendications et de violences depuis 2016. Des membres de la communauté amhara demandent au gouvernement que la frontière entre les deux provinces soit repoussée vers le nord, au niveau de la rivière Tekezé, près de l’Erythrée. La zone qu’ils revendiquent est appelée Wolkait, un nom imprimé sur plusieurs casquettes de miliciens. « La poussée des revendications territoriales du comité Wolkait joue certainement un rôle en termes de mobilisation populaire », estime Mehdi Labzaé, sociologue attaché au Centre français des études éthiopiennes (CFEE).
Voici à présent Dansha. La ville est sous le contrôle de l’armée fédérale depuis plusieurs jours, comme d’autres localités de l’ouest du Tigré. Assis aux cafés ou s’activant autour de leurs véhicules, des centaines de miliciens amhara occupent les rues, foulard noué autour du front et kalachnikov à la main. Sur plusieurs pancartes de cette ville jusqu’alors administrée par le pouvoir régional tigréen, on lit le mot « Amhara », écrit en lettres rouges. « Construisons une Ethiopie commune et démocratique », proclame un ancien panneau situé à l’entrée du camp militaire de la ville.
C’est dans ce camp de la 5e division du commandement Nord (Northern Command) qu’aurait commencé le conflit, dans la nuit du 3 au 4 novembre. Selon Abiy Ahmed, « un assaut des forces déloyales du TPLF avait été repoussé » par les forces de sécurité de la région Amhara. Depuis, les troupes du gouvernement s’y ravitaillent avant d’aller combattre sur le front.
Le conflit se déroule loin des regards mais inquiète les observateurs, qui disent redouter une extension des combats à d’autres zones, dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. Le TPLF pourrait compter sur une force de 250 000 miliciens armés, estime le centre de réflexion International Crisis Group. Des sources humanitaires font état de centaines de blessés, et les estimations diffèrent quant au nombre de morts. Dans les villages traversés avant d’arriver à Dansha, les plaies de la guerre sont déjà ouvertes et plusieurs dizaines de villageois s’attroupent pour pleurer l’un des leurs tombé au combat.
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