Extractivisme – une politique d’expansion plutôt que de transition

Coalition globale des personnes faisant face à l'extractivisme, Crédit photo : Peoples Forum for Climate Justice & Financial Regulation, Photographe: Caroline Krajcir, Basel
Vous appréciez cet article ? Il a été écrit par un.e jeune stagiaire ou correspondant.e du Journal.
Bien que la campagne de financement du Fonds Jeunesse soit terminée, il est toujours possible d’aider la relève du journalisme engagé en cliquant sur le lien ici.
Toute contribution est appréciée !

Laila Abed Ali correspondante en stage

Alors que la « transition verte » se présente comme la solution à la crise climatique, elle s’appuie sur une intensification de l’extraction des ressources, souvent au prix de nouvelles injustices.

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le deuxième webinaire de la série « Enjeux actuels et stratégies militantes pour sortir des énergies fossiles », consacré à un thème controversé : « Extractivisme et zones sacrificielles à l’ère d’innovation et de réarmement ». Deux intervenantes y ont croisé leurs analyses : Annabelle Rivard, doctorante en sociologie économique à l’Université de Montréal, et Amélie Nguyen, coordonnatrice au Centre international de solidarité ouvrière (CISO).

 Les violences du terrain

 Amélie Nguyen a d’abord replacé les dynamiques extractivistes dans la longue continuité du libre-échange et du néolibéralisme. Les traités commerciaux ont offert un cadre juridique à l’expansion des grandes compagnies transnationales, facilitant l’accaparement des territoires au Mexique, en Colombie ou au Honduras, souvent au détriment des peuples autochtones et paysans.

Ce modèle a détruit des économies locales, appauvri les populations et consolidé le pouvoir d’oligarchies proches des intérêts miniers. Les gouvernements, loin de protéger les communautés, servent souvent d’intermédiaires, garantissant un climat favorable aux investisseurs.

Les activistes de droits humains y risquent leur vie. La coordonnatrice de CISO a rappelé l’assassinat de Mariano Abarca, militant mexicain tué en 2009 pour avoir dénoncé la minière canadienne Blackfire, ou celui de Jaime Gallego, syndicaliste colombien abattu en 2024. Ces drames illustrent un extractivisme intrinsèquement lié à la répression, soutenu par des forces de sécurité privées et des États complices.

Sur le terrain, le consentement est souvent arraché : consultations biaisées, promesses d’emplois, corruption locale. Ce n’est pas un vrai accord, mais une « acceptation sociale » fabriquée. Et pendant que les sols sont creusés, les cultures sont détruites, et les liens communautaires se défont.

 Une transition pleine de contradictions

Annabelle Rivard a, pour sa part, analysé les dynamiques extractivistes à l’échelle du Québec et du Canada, en soulignant que celles-ci ne disparaissent pas avec la transition énergétique, mais qu’elles se transforment et se déplacent. Le Québec aime se présenter comme un modèle de transition écologique, grâce à son hydroélectricité, mais plus du tiers de son énergie consommée provient encore du pétrole, notamment pour les transports et l’industrie. Cette dépendance structurelle montre que la transition reste partielle et largement inachevée.

Selon Rivard, les projets dits « verts », comme les nouveaux barrages, les parcs éoliens ou la production d’hydrogène, s’inscrivent dans une même logique de croissance industrielle. L’État québécois présente ces initiatives comme des leviers d’innovation et de développement, mais elles s’accompagnent d’une intensification de la pression sur les territoires. L’électrification complète du parc automobile, par exemple, nécessiterait la construction de plusieurs barrages de l’ampleur de la Romaine, ce qui rend ce scénario irréaliste et souligne les limites d’une transition fondée sur la substitution technologique plutôt que sur la réduction des usages énergétiques.

La doctorante a montré que les politiques énergétiques actuelles s’appuient sur un discours économique et politique centré sur la promesse de prospérité. Cette « économie de la promesse », permet de justifier la multiplication des projets énergétiques, en les présentant comme porteurs d’avenir, de compétitivité et d’emploi.

Mais ces promesses servent surtout à attirer les capitaux privés et à maintenir le rythme de croissance, sans véritable remise en question du modèle extractiviste. La transition devient alors un instrument de relance, plutôt qu’une rupture avec la logique d’exploitation des ressources.

Gagner l’adhésion des communautés

Rivard a insisté sur le rôle croissant de l’acceptabilité sociale dans les stratégies des entreprises et des gouvernements. Cette notion, souvent utilisée pour désamorcer les oppositions, vise à créer une apparence de consensus autour des projets énergétiques. Les entreprises mettent en avant des ententes avec certaines communautés, qu’elles présentent comme des preuves de consentement, alors qu’il s’agit souvent d’accords négociés sous contrainte économique. Ces pratiques contribuent à légitimer des projets controversés et à affaiblir les résistances locales.

Elle a observé que cette quête d’adhésion s’accompagne d’une accélération des processus d’autorisation environnementale et d’un affaiblissement des espaces de participation publique. Les discours politiques évoquent la modernisation, l’innovation et la croissance verte, mais ces notions masquent la continuité du modèle extractiviste. L’enjeu n’est plus vraiment de renoncer aux énergies fossiles, mais de redéfinir l’extraction pour la faire apparaître comme compatible avec la transition énergétique.

 L’extractivisme au-delà du Québec : Une expansion plus qu’une transition

 Nguyen a rappelé que le Québec et le Canada ne sont pas en dehors de cette logique globale. Les entreprises minières canadiennes sont parmi les plus actives dans le monde, en particulier en Amérique latine, où elles profitent de cadres réglementaires favorables et de la faiblesse des institutions locales pour maximiser leurs profits. Cette présence illustre un extractivisme globalisé, fondé sur la mise en concurrence des territoires et sur la captation des richesses naturelles au bénéfice des partenaires du Nord.

Elle a souligné que cette économie mondiale de l’extraction repose sur des rapports de force profondément inégaux. Les coûts humains, sociaux et écologiques sont assumés par les populations locales, tandis que les bénéfices remontent vers les centres économiques et financiers.

Les interventions d’Amélie Nguyen et d’Annabelle Rivard se rejoignent sur un constat clair, la transition énergétique actuelle ne constitue pas une rupture, mais une extension du système existant. Produire davantage d’énergie renouvelable ne remplace pas les énergies fossiles, cela s’y ajoute. Le mix énergétique ne se transforme pas, il s’élargit. Les infrastructures dites vertes coexistent avec les infrastructures fossiles, et la pression sur les territoires s’intensifie.