André Frappier
Le comité organisateur du Forum social thématique sur l’extractivisme a eu lieu à Johannesburg au début du mois. Via le réseau Intercoll et la Plateforme altermondialiste, deux personnes du Québec pour participer à ce Forum, soit André Frappier au nom de Québec solidaire et Alyssa Symons-Bélanger, une militante environnementaliste. Il y avait aussi Valerie Ivy Hamelin de la nation Micmac de Gespeg. Voici quelques réflexions qui sont sorties des débats de ce Forum auquel participaient plus de 500 personnes, surtout d’Afrique, mais aussi des quatre coins du monde.
Transition équitable et emploi
La création d’emplois comme moteur économique est un leurre. Même dans la province d’Alberta où est extrait le pétrole à partir des sables bitumineux, l’automatisation des emplois gagne du terrain. Par exemple bientôt, les camions seront contrôlés à distance. Les compagnies pétrolières s’accaparent des profits, créent moins d’emplois et nous laissent les terres contaminées à nettoyer.
Le Congrès du travail du Canada (CTC) revendique un plan qui permet aux travailleurs, ceux qui sont mis à pied dans les secteurs d’extraction autant que les sans-emplois, d’avoir accès à l’information concernant les secteurs de l’économie de transition en croissance. Un plan qui leur fournit l’apprentissage et les opportunités nécessaires afin de participer à ces secteurs. Dans le cas présent, la décision du gouvernement canadien de réduire ses émissions de carbone aura un impact sur l’emploi. Des soutiens adéquats, tels que les programmes de recyclage du personnel, sont nécessaires à une transition réussie vers une économie plus verte, particulièrement pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes.
Plusieurs ateliers ont amorcé une réflexion afin de contrer les stratégies des compagnies pour diviser les travailleurs et les communautés en ce qui concerne l’emploi. Les travailleurs de l’extraction proviennent des communautés, et leurs revenus permettent à ces dernières de survivre. En même temps cette exploitation est responsable de la détérioration des terres et de la contamination des ressources d’eau potable.
La déclaration finale du Forum a insisté sur la conversion des emplois en affirmant que : « Une transition juste serait basée sur la conversion industrielle où les travailleurs des industries polluantes se recycleraient pour effectuer un travail socialement et écologiquement nécessaire. Les travailleurs incapables de faire la transition vers ces nouveaux moyens de subsistance se verraient garantir un revenu, grâce à la réorientation des subventions de l’État versées aux industries extractives, en mettant fin aux flux financiers illicites et en taxant les riches. »
Une perspective anticapitaliste…
Certains considèrent que le terme « transition » est incorrect parce qu’il prolonge la période d’exploitation et d’utilisation des ressources polluantes. D’autres font valoir qu’il est essentiel de mettre en place une infrastructure alternative en production d’énergie renouvelable, en moyens de transport collectifs électriques et en plan de décroissance et de recyclage qui permettra de récupérer les minéraux actuellement disponibles ou en circulation afin de réduire au minimum l’extraction. Ainsi la déclaration finale insiste sur le fait que le droit de dire NON doit être au cœur des luttes pour des alternatives, toutes les réserves de charbon, de gaz et de pétrole restantes doivent rester sous terre ; les économies circulaires dans lesquelles les minéraux et les métaux sont recyclés et remis en production doivent caractériser un avenir durable. La consommation excessive des riches pays du Nord et du Sud doit être réduite, sur la base des principes de suffisance.
… internationaliste
L’établissement d’un plan de décroissance ne fait cependant pas appel à la même réalité au nord que dans la plupart des pays du sud, comme en Afrique. Réduire sa consommation quand on lutte pour avoir de l’eau potable, quand sortir de la pauvreté est un combat de tous les jours, ne représente certainement pas la même perspective de consommation qu’en Amérique du nord ou en Europe et pour cause. En termes financiers les pays du Sud ne tirent aucun bénéfice de l’activité minière comme l’expriment bien Alain Deneault et William Sacher :« Les deux tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté habitent dans des régions riches en ressources minières. Pourtant la richesse de leur pays sur le plan des ressources ne leur procure presque jamais des avantages significatifs. En Amérique du nord et particulièrement au Canada les sociétés financières ont investi dans cette spéculation minière et les compagnies canadiennes ont joué un rôle de premier plan dans l’exploitation des populations du Sud. La complicité du gouvernement canadien qui s’est doté d’une législation permissive a ouvert la porte à une industrie qui peut ensuite à souhait, à l’extérieur du Canada, polluer, piller, corrompre, armer et bafouer toute logique de droit, en sachant qu’aucune mesure ne sera sérieusement mise en œuvre pour l’en empêcher. » (Deneault et Sacher, Paradis sous terre, Écosociété 2012)
…et féministe
Les débats au Forum ont aussi touché l’impact de l’extractivisme sur le corps des femmes, et leur maintien dans la pauvreté et la dépendance en tant que main-d’œuvre très peu rémunérée. Les femmes de plusieurs pays d’Afrique n’ont pas droit au congé de maternité et sont en général congédiées lorsqu’elles sont enceintes. La pollution de l’eau par les résidus miniers contaminés à l’arsenic est également dommageable pour la santé de la population et particulièrement dramatique pour les femmes chez qui elle provoque des fausses-couches. Étant généralement les responsables de la famille et des enfants, les femmes subissent beaucoup de culpabilité lorsqu’elles doivent délaisser leurs enfants pour travailler à la mobilisation.
La question essentielle demeure, comment y arriver?
L’objectif de faire pression sur les gouvernements n’est pas suffisant. Nous sommes déjà considérablement en retard par rapport à la survie de notre planète en termes de réduction des émissions de carbone et de pollution de l’environnement. Cela n’est pas suffisant non plus parce que les gouvernements, dans la grande majorité des cas, ont des intérêts liés aux multinationales extractivistes tant en termes de croissance de l’économie capitaliste que d’intérêts privés des individus au pouvoir qui investissent dans ces compagnies.
Nous ne pourrons y arriver qu’en ayant l’objectif de prise de pouvoir par la population laborieuse. Il faut mettre dehors les multinationales qui se sont suffisamment enrichies aux dépends de la population, prendre le contrôle de l’industrie d’extraction (particulièrement des mines) pour s’en servir là où c’est possible en préservant l’environnement ou à défaut les fermer.
Comme l’ont mentionné les porte-paroles du Forum : « Les compagnies multinationales ont été impliquées depuis des années dans divers abus envers les droits humains et environnementaux, incluant la persécution, la criminalisation et même l’assassinat de ceux qui s’opposaient à leurs projets destructeurs. Elles ont aussi le poids financier nécessaire pour imposer leurs vues aux gouvernements afin qu’ils ferment les yeux sur les injustices causées par les industries d’extraction.»
Face à la mondialisation de l’économie et du contrôle des multinationales au-dessus du pouvoir législatif des gouvernements, sinon de leur complicité, il est maintenant essentiel de développer une stratégie globale concertée et une structure de riposte coordonnée des populations exploitées.