Reporterres, 20 septembre 2019
« Pollue, consomme, et ferme ta gueule ! Voilà le message qu’on donne aux jeunes ! » « On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ! » « Et un, et deux, et trois degrés ! C’est un crime contre l’humanité ! » Ils étaient près de 10.000 jeunes et moins jeunes à marcher dans les rues de Paris, vendredi 20 septembre à l’occasion de la grève mondiale pour le climat. Le cortège, organisé par Youth for Climate, Alternatiba, 350.org, Greenpeace et une vingtaine d’autres organisations, s’est élancé peu après 13 h de la place de la Nation, destination le parc de Bercy.
Carmen, 14 ans, Amane, 16 ans, Jeanne, 13 ans, et Cosmo, 15 ans, observent en habitués la place de la Nation se remplir doucement depuis le kiosque à musique : ils en sont déjà à leur troisième marche, après celles du 16 mars et du 25 mai. Inès, 13 ans, les accompagne pour la première fois. « Il y avait plein d’autres gens motivés, mais les profs nous ont mis une interro, regrette Amane. Ils ont menacé les grévistes de leur mettre zéro, ce qui sera inscrit dans le dossier pour les études supérieures. Mais moi je m’en moque : mon avenir, c’est le climat. » Cosmo, lui, a eu moins de soucis : « On a présenté une lettre à notre principale adjointe, signée de scientifiques et d’un défenseur des droits humains. Elle a dit OK pour la grève. » « Il faudrait que le changement climatique soit plus présent dans les programmes scolaires, pour sensibiliser tout le monde, les élèves et les professeurs », estime Amane.
La conversation dévie vers la Suédoise Greta Thunberg, à l’initiative de ces grèves scolaires du vendredi. « C’est horrible que ce soit à une gamine de seize ans de dire qu’il faut faire grève, alors que ce serait aux adultes de lancer le mouvement », lâche Cosmo. Carmen, elle, y voit un point positif : « On les informe. Et nous aussi, on s’informe. Cet été, j’ai participé à un ramassage de déchets. Depuis, je ne jette plus rien. » Pour Amane, « ça choque les gens que ce soit les plus jeunes les mieux informés et les plus mobilisés. Et ce qui choque, ça fait changer. J’ai quand même trouvé dégueu la proposition du ministre de l’Éducation d’ouvrir des salles dans les établissements pour des débats pile à l’heure de la marche, pour qu’on reste à l’intérieur. Marcher dans la rue est un droit, moi je sors ! »
À la fois Gilets jaunes et militants écolos, Agnès, 58 ans, de Saint-Denis, et Joël, venu de Saint-Brieuc, posent sur cette jeunesse en grève un regard bienveillant. « Je vais aux Gilets jaunes, j’étais aussi à Notre-Dame-des-Landes et aux dernières marches pour le climat. Dès que je vois des gens nouveaux en manif, je suis contente. C’est leur avenir et aussi celui de mes enfants et de mes petits-enfants », juge Agnès, qui a bien l’intention de redescendre dans la rue demain samedi pour le rassemblement des Gilets jaunes sur les Champs-Élysées.
Un peu plus loin, Marie, 9 ans, accompagnée de sa maman, participe à sa première manifestation. « J’avais école mais je fais la grève pour sauver la planète, explique-t-elle, un peu impressionnée par la foule. Je ne m’attendais pas à voir autant de gens, j’espère que ça permettra de changer un peu les choses. Quand j’entends parler du changement climatique, ça me stresse, pour les animaux et pour nous. »
Violaine, elle, pousse la poussette dans laquelle dort son bébé Florentin, âgé de neuf mois. « Je sais que les jeunes sont mobilisés depuis longtemps, mais c’est la première fois que je participe à une de leurs marches, indique-t-elle. Je trouve bien de les soutenir alors qu’ils ont appelé à un rassemblement intergénérationnel. En plus, l’ambiance change des manifestations nationales, de plus en plus violentes. » Prochaine échéance pour la jeune femme, le rassemblement contre Europacity et pour le Triangle de Gonesse, le 5 octobre.
Le cortège poursuit sa route, encadré d’un dispositif policier léger et presque invisible. Au niveau de la rue Crozatier, dans le XIIe arrondissement, un groupe du cortège de tête s’est engouffré dans une rue de traverse pour rejoindre la place de la Bastille, au milieu de la circulation. Il a été arrêté rapidement par des CRS mais sans tensions particulières.
Arrivés au parc de Bercy vers 16 h, les manifestants se sont répartis entre une dizaine de stands thématiques sur l’écologie, pour des ateliers et des débats. Sur la scène centrale, Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, a remis le prix des « ambassadeurs de conscience » aux jeunes de Youth for Climate Paris. « Il y a quelques jours, Amnesty International a remis le même prix à Greta Thunberg et au mouvement Friday for Future, pour récompenser leur engagement, a-t-elle précisé. Le combat pour le climat est un combat pour les droits humains, l’accès à l’eau, au logement. Nous sommes impressionnés par cette jeunesse qui a bougé tout le monde. N’en déplaise à Alain Finkielkraut, on n’est jamais trop jeune pour changer le monde ! »
Celia, militante brésilienne pour l’environnement, a enchaîné pour alerter sur la gravité de la situation en Amazonie, en particulier pour les peuples autochtones : « Chaque fois que l’Amazonie brûle, c’est le corps des indigènes et le corps de la Terre qui brûlent. Nous sommes là pour défendre l’utérus de la Terre et pour dénoncer le gouvernement de Bolsonaro, coupable de génocide et d’ethnocide. »
Les jeunes de Youth for Climate n’ont pas l’intention de s’arrêter là. « L’après-midi n’est pas finie. Mais surtout, on va continuer à se mobiliser avec une diversification de nos modes d’action, explique Esther, 17 ans, membre de l’organisation. Jusqu’à présent, on s’est concentrés sur les marches et les rassemblements, qui ont permis d’attirer l’attention des médias mais qui n’ont qu’un impact limité. On va désormais se diriger vers la désobéissance civile, notamment en participant à la semaine d’actions pour le climat organisée par Extinction Rebellion à partir du 7 octobre. »