Manifestation du mouvement «Bloquons tout» , le 10 septembre à Belfort, une ville de 50 000 personnes. @-Thomas-Bresson-CC-BY-4.0-via-wikiconns.jpg
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Charline Caro, correspondante

Face aux coupes budgétaires drastiques réclamées par le gouvernement de François Bayrou, désigné par le président français Emmanuel Macron, des mobilisations se sont tenues dans toute la France le 10 septembre dernier. Dans un contexte de crise politique, le président Macron vient de nommer un nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, son quatrième en un an.

Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse… Aucune ville française ne semblait manquer au rendez-vous de la mobilisation citoyenne du 10 septembre. Sur les réseaux sociaux et les médias, les images des protestations tournent en boucle : des manifestations aux blocages d’infrastructures, en passant par les assemblées publiques et les affrontements avec les forces de l’ordre.

La mobilisation nationale était auto-organisée et indépendante des partis politiques et syndicats. Baptisée « Bloquons tout », elle s’est organisée sur les médias sociaux durant l’été. Le mouvement appelait alors à un « arrêt total et illimité du pays », avec la grève, les blocages et les manifestations comme moyen d’action.

Résultat, 250 000 personnes se sont mobilisées dans toute la France ce mercredi 10 septembre, selon les groupes organisateurs. Le ministère de l’Intérieur les estime à 197 000. À travers des manifestations et des blocages d’infrastructures, les corps étudiants, soignants, enseignants, ouvriers, et plus largement citoyens, ont fait savoir leur mécontentement au gouvernement français, qui s’enlise dans une crise politique et sociale.

L’élément déclencheur 

François Bayrou à l’Assemblée nationale © Christian Liewig / Bestimage / IMAGO

À l’origine de ces mobilisations se trouve le budget 2026 présenté par François Bayrou en juillet dernier. Au programme, 44 milliards d’euros d’économies, alors que la France figure parmi les pays les plus endettés de l’Union européenne. Le premier ministre français défend alors une série de mesures d’austérité économique pour « sortir du piège mortel du déficit et de la dette », alerte-t-il lors de son discours de présentation.

Le nouveau budget prévoit notamment le gel des dépenses publiques, c’est-à-dire qu’aucune dépense supplémentaire de l’État ne sera autorisée pour 2026, par rapport à 2025. Une exception existe toutefois, puisque le budget de la Défense augmentera bel et bien, avec une hausse de 3,5 milliards d’euros des dépenses en 2026.

Pour atteindre les économies annoncées, M. Bayrou annonce notamment vouloir geler les pensions de retraite, couper dans les dépenses de la santé, supprimer des postes de la fonction publique, et supprimer deux jours fériés. Cette dernière mesure, qui n’est pas la plus drastique, mais la plus symbolique, a achevé de cristalliser le mécontent d’une partie de l’opinion publique.

Le premier ministre justifie cette suppression de jours fériés par une rhétorique de l’effort. « Il faut que les Français travaillent plus », martèle-t-il. « Ce désenchantement face au travail est notre ennemi public et nous devons le combattre […]. Il faut réconcilier notre pays avec le travail », poursuit-il. Des propos qui rappellent ceux de Lucien Bouchard !

Les plus précaires en ligne de mire

À gauche, on dénonce un budget qui s’attaque aux plus précaires, et qui « s’entête à ne pas taxer les ultrariches », comme l’écrit le quotidien L’Humanité. « À chaque annonce, François Bayrou précise que ça va toucher tout le monde, mais cela touchera en premier lieu les plus précaires. Ce discours du “tout le monde doit faire des efforts” est profondément inégalitaire et protège en réalité les plus grandes fortunes », fustige le sénateur écologiste Guillaume Gontard auprès du média Public Sénat.

Son homologue socialiste Patrick Kanner estime que le gouvernement se trompe de cible dans sa quête de recette fiscale. Le budget devrait plutôt se porter sur « celles et ceux qui ont le plus bénéficié des largesses fiscales du gouvernement depuis huit ans », défend-il. Selon un rapport d’ATTAC, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne, les plus riches et les grandes entreprises ont bénéficié de 207 milliards d’euros de cadeaux fiscaux depuis la prise de pouvoir du président Macron.

Face à cette politique d’austérité, le sénateur écologiste Guillaume Gontard alerte sur les conséquences : « Je suis très inquiet de la colère que ça peut provoquer dans notre pays. C’est d’une brutalité sans nom, je ne sais pas si François Bayrou se rend compte de ce qu’il envoie à la face des gens. »

La mobilisation n’a pas manqué. À l’annonce du budget 2026, des citoyen·nes ont lancé un appel à « tout bloquer » sur les médias sociaux. Sur le site centralisant les revendications du mouvement, on peut lire : « Nous appelons toutes les personnes résidant en France métropolitaine et dans les DOM-TOM à se mobiliser contre ce budget ! Nous ne voulons pas subir leur crise. Nous voulons changer de cap, pour de bon, avec et pour le peuple. Pas contre lui. »

Un enlisement dans la crise politique

Face à la gronde politique et populaire qui s’annonçait à la rentrée, François Bayrou a engagé un vote de confiance à l’Assemblée nationale pour faire adopter le budget 2026. La députation était ainsi appelée à voter pour le budget, mais également pour la confiance au gouvernement. Une stratégie quitte ou double, puisque s’ils n’obtiennent pas une majorité de voix, le gouvernement et son premier ministre sont renversés et doivent démissionner.

Et c’est ce qui s’est passé. Lundi 8 septembre, 364 député.es — en majorité de la gauche et de l’extrême droite — ont voté contre la confiance au gouvernement et le budget, tandis que 194 ont voté pour. François Bayrou a remis sa démission au Président, chargé de nommer un nouveau premier ministre — le quatrième en un an — puis un nouveau gouvernement.

Le nouveau premier ministre français Sébastien Lecornu et le président Emmanuel Macron @ mariannelemag sur Instagram

Le nom de la nouvelle tête de file du gouvernement macroniste est tombé le lendemain, soit à la veille des mobilisations du 10 septembre. Il s’agit de Sébastien Lecornu, ancien ministre des armées, seul ministre en poste au gouvernement depuis l’élection de M. Macron en 2017. Un fidèle de la première heure du président, issu de la droite républicaine. Un choix de continuité politique donc, qui acheva d’attiser la colère populaire.

Une première mobilisation

Dans les rues de France, le 10 septembre, les manifestant·es semblent en vouloir à l’ensemble de la politique du gouvernement Macron. « On est en train de tuer les hôpitaux, de tuer l’assurance maladie, de réduire l’indemnisation sur les arrêts de travail, c’est plus possible », se désole un fonctionnaire en grève auprès du Huffington Post. « La France a besoin d’avancées sociales, là on est au fond du gouffre, les salaires n’aident plus à vivre », fustige une autre manifestante au micro du média en ligne.

Les récents événements n’ont fait que déborder le vase. « Encore un proche de Macron qui débarque, il ne met que ses proches au gouvernement j’ai l’impression, et il n’y a jamais de changement de méthode », analyse une trentenaire.

Pendant ce temps-là, à quelques rues des manifestations parisiennes, avait lieu la passation de pouvoirs entre les premiers ministres Sébastien Lecornu et François Bayrou. Un symbole de plus de la fracture entre la population et ses dirigeants.