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Razvan Ngazouzet, correspondant en stage
Les résultats provisoires de l’élection législative de samedi 27 septembre donnent à l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), parti du président Brice Clotaire Oligui Nguema, une large majorité à l’Assemblée nationale face au Parti démocratique gabonais (PDG). En attente du second tour prévu le 11 octobre 2025, les résultats confirment la popularité du président lui-même élu le 13 avril 2025 avec 94,85% des voix. Notre correspondant revient sur l’histoire récente au Gabon. La rédaction
Le 30 août 2023 restera gravé dans la mémoire de chaque Gabonais·e. En effet, ayant résonné comme un coup de tonnerre et d’État, les minutes qui ont suivi l’annonce des résultats de l’élection présidentielle auront été décisives pour les militaires dirigés par Oligui Nguema. Ils ont renversé le régime de Bongo, mettant ainsi fin à une dynastie de cinquante-six ans. Mais derrière la chute du régime, une autre histoire se raconte : celle d’une population mobilisée en ligne et au-delà de ses frontières, transformant les réseaux sociaux en lieu de résistance, de mémoire et de solidarité.
La naissance d’une solidarité numérique
L’élection présidentielle de 2016 avait marqué un tournant. Contestée et suivie d’une répression violente, internet avait été coupé pendant plusieurs jours, quelques heures après l’annonce des résultats. Dans les jours qui suivent, le régime a tout fait pour se maintenir au pouvoir.
Coupées du reste du monde, les personnes présentes sur le territoire ont filmé les abus répétés dans l’espoir de les diffuser dès le rétablissement d’internet. Tandis que la diaspora interpellait ONG, médias et institutions internationales sur les réseaux sociaux, jetant les bases d’une solidarité numérique transnationale, capable de briser le silence imposé par la censure et de donner une voix à celles et ceux qui n’en avaient plus.
2016 – 2023 : les réseaux sociaux comme levier politique
En 2018, Ali Bongo est victime d’un AVC. Son absence du pays alimente des rumeurs largement relayées sur les réseaux sociaux sur son véritable état de santé, sa mort ou son incapacité à diriger. Hors ligne, l’état de santé réel du président demeure un secret. En réponse à ces rumeurs persistantes sur les réseaux sociaux, en janvier 2019, un petit groupe de la garde républicaine échoue un coup d’État, ce qui révèle des dissensions internes au sein du régime Bongo. C’est alors que les réseaux sociaux se transforment en un véritable levier politique.
La pression numérique devient un outil incontournable. Chaque rumeur, chaque vidéo, chaque hashtag entretient un climat de vigilance permanente autour du pouvoir. De plus en plus de fuites et d’enquêtes circulent en ligne. Allant d’allégations de corruption, dont celle ayant conduit à la démission du ministre l’Économie, à des allégations d’abus sexuels par des membres du régime. À travers ces révélations, la société civile, activistes et opposants jouent un rôle central : ils collectent, diffusent et vulgarisent ces informations au travers de direct Facebook.
Hors ligne, la diaspora agit également : intervention sur des chaînes internationales où elle dénonce les abus du régime et dresse un bilan critique, interruption de rencontres officielles, comme celle du premier ministre à Bruxelles ou celle de la vice-présidente à Washington. Ces interventions contribuent à internationaliser la crise et à rétablir la véritable version des faits face au récit imposé par le pouvoir.
2023, une élection sous tension
Durant le septennat, les frasques du régime ont été scrutées et dénoncées à chaque occasion. La contre-propagande qui visait à alerter la population sur les dérives de ce régime a créé un sentiment de responsabilité civique.
Les Gabonais.ses se disent prêts à tout pour défendre le choix des électeurs. Le dépouillement des urnes de certains bureaux de vote doit se faire en direct sur différents réseaux sociaux, les résultats des autres seront immédiatement publiés sur ces mêmes réseaux.
La société civile réunie dans des ONG se charge de centraliser les résultats bureau de vote par bureau de vote. Si les résultats officiels ne correspondent pas à ceux centralisés, les Gabonais.es savent qu’ils devront se battre pour que la voix des urnes soit respectée. Ils devront le faire sans l’aide d’observateurs internationaux ou de journalistes étrangers qui n’ont pas été autorisés.
À quelques jours du scrutin, des irrégularités sont dénoncées sur les réseaux. C’est clair, « Le PDG au pouvoir n’a pas l’intention de passer le relais ». Deux heures après la fermeture des bureaux de vote, internet est coupé. Le gouvernement interprète cette mobilisation numérique comme des appels à la violence et de fausses informations auxquels il faut parer afin de prévenir tout débordement et assurer la sécurité.
Dans la soirée, ce sont les chaînes françaises TV5 Monde, France 24 et RFI qui seront interdites de diffusion. La diaspora hausse le ton afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur ce qui est en train de se passer au Gabon. Des médias internationaux relaient les informations données par la diaspora.
Il est 4h quand Ali Bongo est déclaré vainqueur. Ça y est, nous y sommes, le pays va s’embraser. Quelques minutes après l’annonce des résultats, des militaires annoncent la fin du régime.
Un « coup de la libération » ?
À la suite de ce qui est appelé le « coup de la libération » au Gabon, des figures importantes de la diaspora rentrent au pays et intègrent les institutions de transition. La nouvelle Constitution, adoptée par voie référendaire, permet à deux Gabonais·es de la diaspora de siéger à l’Assemblée nationale. Cette dernière est entrée en vigueur après l’élection présidentielle mettant fin à la période de transition de près de deux ans.
La chute d’Ali Bongo, exfiltré en Angola, suffira-t-elle à effacer la corruption, le clientélisme et l’indifférence civique profondément ancrés dans les mentalités, les pratiques, et les réflexes ? Même si le pays est indéniablement en chantier et les efforts sont mis sur le développement du pays, l’héritage invisible de l’ancien régime reste dans l’ombre. Le régime d’Ali Bongo plonge ses racines dans un système déjà bien huilé au-delà de 2009.
À titre d’exemple, aux dernières élections législatives, c’est la pratique de la transhumance électorale qui illustre le mieux l’héritage invisible de l’ancien régime. Le mécanisme est simple : dans une circonscription où 3 000 électeurs avaient voté lors du dernier scrutin et où le député sortant l’avait emporté avec 1 900 voix, il suffit d’inciter, moyennant rétribution, 3 000 personnes sans attaches familiale, professionnelle ou économique dans la circonscription et résidant ailleurs à s’inscrire dans votre circonscription et à voter pour vous. En les encadrant le jour du vote, la victoire devient assurée. Pourtant interdite par le code électoral, cette pratique perdure au vu et au su de tous, banalisée au point de ne plus choquer.
C’est précisément là que réside le cœur du problème : la chute du régime ne suffit pas à transformer les mentalités. La nouvelle lutte n’est plus seulement institutionnelle ou partisane. Elle se joue désormais dans les esprits et dans la capacité à redéfinir le rapport au pouvoir.