Ramzy Baroud, Chronique de Palestine, 6 mars 2020
Si la question revêt une grande urgence pour tous les Palestiniens vivant sous occupation militaire israélienne, la situation à Gaza est particulièrement problématique et extrêmement préoccupante.
Près de 50 pays ont déjà signalé des cas d’infection au COVID-19, l’un des nombreux phénomènes épidémiques causés par le Coronavirus. Si des pays développés comme l’Italie et la Corée du Sud, se battent pour contenir ce virus mortel, on ne peut qu’imaginer à quoi les Palestiniens vivant sous occupation devraient faire face si le virus les frappait.
En fait, selon les rapports officiels palestiniens, le Coronavirus a déjà atteint la Palestine à la suite d’une visite d’une délégation sud-coréenne entre le 8 et le 15 février, qui comprenait une tournée dans les principales villes palestiniennes de Jérusalem, Naplouse, Jéricho, Hébron, et Bethléem.
Tout d’abord, l’Autorité palestinienne [AP] s’est empressée de contenir les effets de l’annonce, laquelle a provoqué une panique palpable au sein d’une population qui a si peu confiance en ses dirigeants. Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, « espérait » que les « propriétaires des installations inconnues » exerceraient leur responsabilité personnelle et fermeraient leur entreprise et d’autres établissements ouverts au public.
Le ministère palestinien de la Santé a ensuite déclaré l’État d’urgence dans tous les hôpitaux relevant de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, désignant un centre de quarantaine près de Jéricho pour les personnes arrivant de Chine et d’autres régions durement impactées par le Coronavirus.
Pour les Palestiniens, cependant, lutter contre une épidémie de Coronavirus n’est pas une affaire simple, même si les institutions peu opérationnelles de l’AP tentent de suivre à la lettre les instructions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les Palestiniens sont séparés par une énorme machinerie israélienne de contrôle qui confine de nombreuses communautés derrière de grands murs de béton, des postes de contrôle et des ordres militaires impossibles à transgresser, intrinsèquement conçus pour affaiblir la communauté palestinienne et faciliter l’objectif principal du gouvernement israélien qui est de contrôler les Palestiniens et de coloniser leurs terre.
Que peut faire l’AP pour venir en aide à des dizaines de milliers de Palestiniens dans la ainsi-nommée « zone C » de la Cisjordanie occupée ? Cette région est entièrement sous le contrôle de l’armée israélienne pour qui le bien-être des habitants palestiniens est le dernier des soucis.
Ces questions devraient être examinées dans le contexte de ce que l’OMS appelle des « inégalités en matière de santé » parmi les Palestiniens d’une part, et entre les Palestiniens et les colons juifs illégaux et privilégiés d’autre part.
D’une certaine manière, de nombreuses communautés palestiniennes sont déjà « mises en quarantaine » par Israël, mais pour des raisons politiques et non médicales. Une épidémie de Coronavirus dans certaines de ces communautés, en particulier celles qui sont privées d’un système de santé approprié et d’installations médicales bien équipées, se révélerait désastreuse.
Mais le pire des scénarios attend Gaza si le virus mortel et à propagation rapide se frayait un chemin à travers le blocus hermétique qui ravage cette région minuscule mais densément peuplée.
Gaza, qui subit sa 14e année de blocus israélien et est toujours sous le choc des destructions massives provoquées par plusieurs guerres israéliennes, a déjà été déclarée « inhabitable » par les Nations Unies.
Cependant, la misère de Gaza ne cesse de s’étendre. Aucun rapport des Nations Unies sur les installations médicales de Gaza et leur état réel n’a usé d’un langage positif, voire optimiste, tout au long de ces dix dernières années.
En mars dernier, le coordonnateur humanitaire des Nations Unies pour le territoire palestinien sous occupation, M. Jamie McGoldrick, a déploré les « pannes de courant chroniques, les lacunes dans les services essentiels, y compris la santé mentale et le soutien psychosocial, et les pénuries de médicaments et de fournitures de première nécessité ».
En janvier, le groupe israélien de défense des droits humains, B’Tselem, a parlé d’une crise sanitaire sans précédent dans la bande de Gaza assiégée, qui n’est pas alimentée par le coronavirus ou toute autre épidémie de ce type mais par le fait que les hôpitaux à peine en état de marche de Gaza tentent désespérément de faire face aux traitements nécessités par les milliers personnes blessées lors de la « Grande marche du retour » qui s’est déroulée du côté gazaouï de la clôture de séparation.
B’Tselem a déjà fait état de « la politique illégale de tir à vue qu’Israël utilise contre ces manifestations, autorisant des soldats à tirer à balles réelles sur des manifestants non armés qui ne mettent personne en danger, et qui a produit d’horribles résultats ».
Le groupe israélien a repris des estimations pourtant modérées fournies par l’OMS selon lesquelles, fin 2019, les médecins de Gaza avaient dû procéder à des amputations de membres sur 155 manifestants, avec parmi eux 30 enfants. Ceci en plus des dizaines de manifestants à présent paralysés à vie à cause de blessures à la colonne vertébrale.
Il ne s’agit que d’un aperçu réduit d’une crise beaucoup plus multiforme. Non seulement la rougeole et d’autres maladies infectieuses hautement contagieuses font leur réapparition dans Gaza, mais les maladies d’origine hydrique se propagent également à un rythme alarmant.
97% de l’eau distribuée dans Gaza est impropre à la consommation humaine, selon l’OMS, qui pose alors la question : comment les hôpitaux de Gaza pourraient-ils faire face à l’épidémie de Coronavirus alors que, dans certains cas, l’eau potable n’est même pas disponible dans le plus grand hôpital de Gaza, Al-Shifa ?
« Même lorsqu’ils sont disponibles, les médecins et les infirmières ne peuvent pas stériliser leurs mains en raison de la qualité de l’eau » selon la RAND Corporation.
Le directeur de l’OMS en Palestine, Gerald Rockenschaub, a parlé avec assurance de sa rencontre avec le ministre de la Santé de l’Autorité palestinienne, Mai Al-Kaila, à Ramallah le 25 février, où ils ont discuté de la nécessité de plus de « mesures de préparation » et d’ « actions de préparation prioritaires supplémentaires » en Cisjordanie et à Gaza.
L’OMS a également annoncé qu’elle « coordonnait ses activités avec les autorités locales de Gaza » pour garantir la préparation de la bande de Gaza face au coronavirus.
Ce langage qui se veut rassurant masque cependant une réalité des plus laides, à laquelle l’OMS et l’ensemble des Nations Unies n’ont pas réussi à faire face depuis plus d’une décennie.
Tous les rapports antérieurs de l’OMS sur Gaza, tout en détaillant avec précision le problème, n’ont pas abouti à grand chose pour diagnostiquer ses racines ou pour y trouver une solution permanente. En effet, les hôpitaux de Gaza sont en plus mauvais état de fonctionnement que jamais, l’eau de Gaza est toujours aussi sale et, malgré des avertissements répétés, la bande de Gaza est toujours impropre à l’habitation humaine à cause du brutal siège israélien et du silence de la communauté internationale.
La vérité est qu’aucune « préparation » à Gaza – ou, franchement, n’importe où en Palestine occupée – ne peut arrêter la propagation du Coronavirus. Ce qu’il faut, c’est un changement fondamental et structurel qui émanciperait le système de santé palestinien des effets si néfastes de l’occupation israélienne et des politiques de siège perpétuel et de quarantaines politiques – connues sous le nom d’apartheid – imposées par le gouvernement israélien.