Gaza, l’occupation et le Covid-19

Photograph of the Israel-Border Gaza Strip Barrier near the Karni Crossing : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e5/Gaza_Strip_Barrier_near_the_Karni_Crossing.jpg

Par Yehia Abed, OrientXXI, publié le 20 avril 2020

Dès le premier cas signalé dans la ville de Bethléem en Cisjordanie début mars 2020, l’effort de l’Autorité palestinienne (AP) a porté sur l’isolement complet de la ville, et avec l’augmentation du nombre de cas, la restriction des déplacements des personnes s’est accrue. À Gaza, les deux premiers cas sont apparus plus tard, nous avons donc tiré profit de ce qui s’est passé à Bethléem et nous avons commencé à appliquer les mêmes règles. Nous avons observé des différences dans la propagation du virus entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, plus peuplée et assiégée.

Au sein de l’AP, on a commencé par l’isolement des foyers, mais malheureusement, à Gaza, la population est moins mobilisée, alors que l’isolement obligatoire est appliqué pour le retour des Palestiniens par les deux points de contrôle de Rafah à la frontière égyptienne et d’Erez (Beit Hanoun) à la frontière israélienne.

Une grave pénurie d’équipements

La fermeture est obligatoire pour les écoles et les hôtels locaux. Comme dans d’autres pays, les groupes à risque sont les personnes âgées souffrant de maladies chroniques, en plus d’autres groupes à risque, notamment les travailleurs en Israël, qui représentent un risque majeur de transmission, et les milliers de prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes sont très exposés. Il existe d’excellentes équipes de santé, mais une grave pénurie d’équipements, d’installations de diagnostic et de matériel. L’OMS a aidé en nous fournissant un nombre — limité — de kits de laboratoire pour effectuer des tests.

Face à un virus sans traitement spécifique et sans vaccin pour le prévenir, nous devons travailler dans deux directions. La première est l’hygiène personnelle et la protection de l’environnement, et la seconde est la distanciation sociale au sein de la population. À l’heure actuelle, il y a un petit hôpital qui permet d’isoler les cas positifs et il est prévu d’augmenter le nombre de lits en cas de besoin. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) fait un excellent travail en matière de soins de santé primaires. L’organisation a mis en place une ligne téléphonique d’urgence pour le public afin de mener des consultations et permettre des traitements à domicile. Ils sont préparés à entrer en contact avec tous les patients atteints de maladies non transmissibles à domicile, en plus de fournir une assistance sociale dans leurs maisons pour éviter la surpopulation. Les épidémies antérieures et les urgences humanitaires ont souligné l’importance de maintenir les services de santé essentiels, tels que la vaccination, et d’impliquer efficacement les communautés dans la planification et la fourniture de services.

Les trois composantes de l’épidémie

Il y a trente ans, lors de mon premier cours à l’université Johns-Hopkins de Baltimore (Maryland, États-Unis), le professeur et épidémiologiste Leon Gordis nous avait présenté ce qu’on appelle le « triangle épidémiologique » : les trois principales composantes de chaque épidémie sont l’agent, l’hôte et l’environnement, ce qui explique la variation de la réponse entre les différents pays du monde. Cela explique aussi les différences entre les épidémies gérées par l’Autorité palestinienne et celles d’Israël et d’autres pays.

En ce qui concerne l’agent, ce nouveau virus est inédit, caractérisé par une forte propagation et une longue période d’incubation, ce qui fait que les porteurs présentent un risque invisible pour leur communauté. L’hôte est l’autre composante du triangle, et son comportement reflète les attitudes face à la maladie et leurs pratiques. Dans cette composante, il y a des variations notables entre pays qui méritent d’être soulignées : ainsi, la population palestinienne est relativement jeune, avec moins de 3 % de personnes âgées, ce qui fait qu’elle est moins exposée que les populations des pays européens. Mais la différence la plus importante est l’environnement, tout ce qui entoure la population. Et dans la bande de Gaza, la densité de population est une des plus élevées au monde, avec 6 000 habitants au kilomètre carré, ce qui maintient la population à un haut risque de propagation rapide de l’infection.

Des ressources confisquées par Israël

Tout d’abord, les Palestiniens sont confrontés à un système de santé dégradé. Ces dernières années, il a été gravement affecté par plus d’un facteur, dont tout d’abord, quatorze années de siège de Gaza, qui prive la population de ses besoins fondamentaux. Ensuite, le gouvernement israélien empêche les Palestiniens d’utiliser leurs ressources pour faire fonctionner leur système en faisant saisir leurs recettes fiscales, ce qui entraîne des obstacles majeurs, notamment la réduction des salaires du personnel de santé qui ont continué à travailler avec des salaires minimums.

Troisièmement, le monde entier a entendu parler de l’arrêt des programmes d’aide de l’USAID en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza. Je travaillais pour l’un de ces programmes, et nous avons passé plus d’un an à préparer des plans et à répondre aux règlements de l’USAID. Finalement, le programme a été arrêté par décision politique, sans que les activités prévues sur le terrain aient vu un commencement de mise en œuvre.

Quatrièmement, il y a eu la réduction injuste du soutien américain aux services de santé de l’UNRWA, cette organisation internationale qui a pourtant été créée pour aider la population palestinienne. La zone la plus touchée par cette décision est la population de la bande de Gaza, où 75 % de la population a le statut de réfugié et bénéficie de la gratuité de tous les services de soins de santé primaires. Ces restrictions ont ruiné le système de santé palestinien et l’ont privé de tout développement, empêchant même la fourniture de services de santé de base à la population.

Un siège vieux de quatorze ans

C’est dans ce contexte que la pandémie actuelle vient surcharger un système déjà très affaibli et fait avorter la réponse aux besoins de santé de la population. Le facteur économique est un élément majeur des disparités entre les pays. Israël a débloqué 10 milliards de shekels (2,58 milliards d’euros) pour contrôler la pandémie actuelle. Cette somme n’est pas seulement destinée aux traitements et aux médicaments ; elle couvre aussi les assurances sociales de ses habitants. L’Autorité palestinienne (AP) n’a pas les ressources nécessaires pour assurer le coût de la pandémie ni pour garantir l’assurance sociale. Le PIB par habitant en Israël est 15 fois supérieur à celui des territoires palestiniens. Ces différences économiques ont des répercussions dans les activités visant à contrôler la pandémie. À la fin du mois de mars, en Palestine, tous les échantillons de sang testés pour la détection précoce de la maladie étaient au nombre de 830, tandis qu’en Israël, les autorités sanitaires testent quotidiennement environ 4 000 échantillons de sang dans le cadre d’un essai de détection précoce des cas.

Le Covid-19 est une pandémie grave. Les Palestiniens y sont confrontés alors qu’ils sont le seul pays occupé au monde, avec 2 millions d’habitants assiégés dans la bande de Gaza depuis 14 ans. L’occupation et le siège sont les deux principaux facteurs de risque pour la propagation de la maladie parmi la population palestinienne.

Nous nous orientons vers un engagement de tous les Palestiniens et soutenons la coordination entre tous les prestataires de soins de santé du pays. Des mesures actives sont nécessaires pour renforcer la distance sociale en améliorant la sensibilisation du public et en renforçant la séparation entre les villes si nécessaire. Les organisations internationales peuvent aider et soutenir la population palestinienne en fournissant des équipements de diagnostic de laboratoire et des dispositifs de protection personnelle et en renforçant les unités de soins intensifs.