Guinée: radiographie des manœuvres de Lauriane Doumbouya, artisane du Soft Power économique

Le président de la Guinée, Mamady Doumbouya, et sa conjointe, Mamady Doumbouya. @ Vision Guinée 2021

Serigne Saar, colleboration depuis Dakar

Depuis trois ans, une illusion diplomatique s’est solidement incrustée dans l’opinion : celle de Lauriane Doumbouya, épouse du président de Guinée, instrument de l’Élysée, manœuvre des services français au nom d’une géopolitique néocoloniale d’un autre âge. Or, les faits récents, les flux financiers et les réseaux d’influence révèlent une tout autre réalité — bien plus pragmatique, bien plus rentable : ce ne sont pas les diplomates, mais les businessmen français qui tiennent la manette économique du régime guinéen.

Selon nos enquêtes, le président Macron évite le putschiste et refuse d’ouvrir le cœur de l’Élysée. Sous le manteau de la transition, un empire parallèle s’est installé : un réseau de groupes de construction, de responsables de banque et de personnes consultantes techniques infiltrés dans toutes les veines de l’économie nationale. Leur pouvoir est silencieux, mais redoutable. Ce sont eux qui conseillent, planifient, engrangent — et parfois dictent le tempo politique à un Doumbouya qui confond puissance d’État et dépendance financière.

Depuis l’arrivée de Mamadi Doumbouya au pouvoir, une figure discrète, mais centrale a servi de passerelle : Lauriane Doumbouya, épouse du chef de la junte et d’origine française. Loin des clichés romanesques, son rôle s’est consolidé dans la sphère des affaires. Sous son mandat officieux, les « opérateurs » économiques français ont renforcé leur emprise sur les secteurs vitaux du pays — de la distribution à l’ingénierie, des services bancaires aux grands chantiers d’État.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le Trésor français, environ quarante filiales françaises sont implantées en Guinée, couvrant l’essentiel des activités économiques : distribution, BTP, énergie, services bancaires, logistiques et ingénierie. Les sociétés Egis et Setec pilotent les volets techniques du projet Simandou, véritable colonne vertébrale du développement minier national. TotalEnergies contrôle le réseau d’approvisionnement énergétique. Orange domine les télécommunications. Bolloré — rebaptisé Africa Global Logistics — gère les flux portuaires et routiers. Société Générale, BNP Paribas et leurs filiales locales irriguent le système financier. L’État français n’a pas besoin d’intervenir : le capital français agit déjà, à visage découvert.

Le véritable centre de gravité du régime ne se trouve pas dans les chancelleries, mais dans le patronat français. Ce réseau de filiales agit en parfaite symbiose avec les structures locales du pouvoir. Les marchés publics, les grands travaux, les études d’ingénierie, les conseils techniques et les contrats d’exploitation se distribuent comme des parts de gâteau entre ces « opérateurs » — souvent par sous-traitance ou gré à gré. En échange, la junte trouve dans cette coopération un bouclier diplomatique : l’apparence d’une continuité internationale, une reconnaissance implicite de légitimité et une manne fiscale ponctuelle issue des redevances et dividendes de ces filiales.

Derrière chaque terminal portuaire, chaque tronçon routier, chaque signature minière, un cabinet ou un consortium français apparaît. C’est un système sophistiqué, tissé de contrats, de conseils et de dépendances, où l’État guinéen joue la vitrine et les groupes étrangers tiennent la caisse. Le pari de Paris n’est donc plus politique, il est économique. Plutôt que d’imposer un pouvoir, le réseau d’affaires français préserve ses parts de marché en s’adaptant à tous les régimes — civils, militaires ou hybrides.

Sous Doumbouya, la Guinée n’est pas devenue un satellite politique de la France, mais une colonie économique du privé français. Les politiques publiques s’écrivent souvent dans les bureaux d’ingénierie où se dessinent les schémas directeurs et les budgets de maintenance. Même la logistique militaire et aéroportuaire passe désormais par des « opérateurs » à capitaux français. Le contrôle n’est plus colonial : il est contractuel. Les signatures ont remplacé les baïonnettes.

Et pendant que le discours officiel s’enivre de souveraineté, les budgets d’investissement glissent silencieusement entre Paris, Conakry et les sièges européens des filiales, à l’abri des institutions de contrôle nationales. La question n’est donc plus de savoir si Doumbouya obéit à l’Élysée, mais à qui il rend service. Les faits démontrent que la France politique observe tandis que la France économique agit. L’Élysée n’a pas besoin de manipuler la junte : le réseau des entreprises françaises, solidement implanté depuis des décennies, a simplement continué à travailler, à gagner, à influencer, sous la couverture d’un pouvoir en quête de reconnaissance.

La Guinée n’est pas sous tutelle diplomatique, mais sous perfusion contractuelle. Et dans cette dépendance feutrée, c’est le lobby d’affaires français — plus que tout ministère — qui détient la clé des chantiers, des concessions et, peut-être, du destin économique du pays.