Depuis l’été 2018, la population haïtienne, dont les problèmes quotidiens ne font qu’empirer, manifeste dans presque tout le pays pour réclamer le départ du président Tèt kale II. Plus que les jours passent, plus que la situation socio-politique s’amplifie et devient plus corsée. Quant à l’opposition politique, tout en profitant de l’incapacité du pouvoir dans la gestion de la crise socio-politique, elle se renforçe et se positionne davantage. Avec leur cahier de charge muni d’une proposition de sortie de crise, renforcé par les manifestations de plus en plus fréquentes, clairement, l’opposition ne rate pas l’occasion pour réclamer le départ du président Jovenel pas plus tard que le 7 février 2021, pour faciliter la mise en place d’un gouvernement de transition.
Avec cette situation qui se détériore chaque jour sous les yeux des autorités qui se montrent impuissantes, Haïti vit une situation de tension généralisée qui fait peur. Quand ce n’est pas à Grand Ravine, Ti Bwa, Village de Dieu ou au Bicentenaire dans l’air métropolitaine, ce sont dans presque toutes les grandes villes du pays que les armes automatiques se font entendre. N’en parlons même pas de la tuerie organisée contre les pauvres gens de Carrefour-feuilles, La Saline, Bel-Air, Pont-Rouge aussi bien du kidnapping au quotidien. « Les kidnappings se multiplient depuis plusieurs mois. Les criminels, bien organisés, utilisent des véhicules ressemblant à ceux des forces de sécurité. Ils utilisent des plaques immatriculées Service de l’État (SE), portent des uniformes d’unités de la PNH, sont lourdement armés. Ils séquestrent leurs victimes dans des lieux connus des forces de l’ordre. Sur les réseaux sociaux, des noms, des visages défilent. A la radio, les témoignages de victimes, de parents de victimes de kidnappings glacent le sang. Des « pitit manman mari », des protestants, des pasteurs, des prêtres, des vodouisants, des francs-maçons, l’athée, l’étudiante, le musicien, la marchande de saucisse, le commerçant, les fils…personne n’est épargné. » (1)
La crise est multidimensionnelle et a atteint un niveau global. Face à cette situation, on a l’impression que toutes les institutions sont impuissantes à ce qui se passe au pays. Cependant, c’est dans cette Haïti fragilisée, qui peut exploser à n’importe quel moment, qu’un président incompétent veut rester au pouvoir au delà du 7 février 2021. « Rester pour faire quoi », se demandent plus d’un? Mais, mis à part les critiques de mauvaises gestions faites à l’encontre du chef de l’État, constitutionnellement, comment peut-on expliquer ou comprendre la fin de son mandat le 7 février 2021?
Comment est défini le mandat des élus ? Est-il défini par la Constitution, les lois électorales ou par les élus eux-mêmes? Que dit l’article 134-2 de la constitution haïtienne?
Argumentations constitutionnelles expliquant la fin du mandat du chef de l’État le 7 février 2021
L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel.
Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection.(Art 134-2 de la constitution amendée)
Quant aux leaders de l’opposition. «Le président qui manifeste la volonté de rester au pouvoir jusqu’au 7 février 2022 a commis des crimes politiques selon l’agronome Jean- André Victor. L’un de ces crimes est le parjure, suivi par le non-respect de la constitution. « Cette situation de parjure est due au fait que le président n’as pas honoré son serment de respecter la Constitution et de la faire respecter le met dans une position où il n’inspire plus confiance », a-t-il avancé. « C’est le plus gros crime qu’un chef d’État puisse commettre : renier la Constitution sur laquelle il a prêté serment » (2), a-t-il poursuivi.
Frantz Duval du Quotidien le Nouvelliste, dans son texte: De la fragilité des mandats, écrit: « En déclarant le 13 janvier2020, à minuit, sans aucune négociation préalable avec aucun secteur, que le mandat de deux tiers des sénateurs était arrivé à expiration, le président Jovenel Moïse a fragilisé tous les mandats, y compris le sien. »
Mais de tous les questionnements, quelle est donc la position de la communauté internationale qui a toujours supporté le président?
Même si la communauté internationale a sa part de responsabilité dans la déstabilisation d’Haïti, actuellement son engagement à trouver une solution pacifique pour après le départ du Président est au cœur de ses préoccupations. Constatant que le président a perdu le contrôle du pays, c’est avec désenchantement que chaque jour les diplomates se soucient de cette administration. Ainsi, certains diplomates, déçus des performances du pouvoir, surtout en ce qui concerne la sécurité, l’organisation des élections et le renforcement des institutions étatiques, sont mobilisés dans l’optique de trouver une issue positive pouvant éviter le chaos.
Face à toutes ces dérives, comme l’administration fait preuve d’incapacité à diriger, certaines missions diplomatiques ont initié des pourparlers avec certaines forces vives et institutionnelles du pays, dans l’intention de monter une nouvelle équipe capable d’obtenir rapidement, non seulement des résultats tangibles sur le plan social et sécuritaire, mais encore capable de calmer les esprits.
Certains représentants diplomatiques sur le terrain ne voient pas comment, politiquement et même avec l’appui d’une frange de la communauté internationale, le président va remonter la pente. Un diplomate de l’Amérique Latine, supporteur du pouvoir Tèt Kale aux dernières élections est cette fois-ci très amer au sujet de l’incapacité de diriger du chef de l’État. Ce diplomate qui vit depuis sa retraite dans la capitale américaine, veut lui aussi le départ du président.
Mis à part l’instabilité politique qui bouleverse le pays pendant ces dernières semaines, deux ambassadeurs de la CARICOM ne pardonnent pas le président pour le vote d’Haïti à l’OEA contre le Vénézuela. Eux aussi veulent le départ du chef de l’État.
Qu’en est-il de l’administration américaine ?
Les officiels de Washington sont très préoccupés par la crise politique qui se développe en Haïti. Certains démocrates s’accordent sur le départ du chef de l’État… décision qui pourrait apaiser les tensions politiques en Haïti.
D’une source de la capitale américaine digne de confiance, la crise haïtienne est déjà sur la table des discussions entre démocrates et républicains.
Comme certains membres de l’opposition refusent le choix d’un cadre de la Cour de Cassation pour le remplacement du président, donc l’international et les forces vives de la société sont indécis à ce propos. Ajouter à tout cela, une autre préoccupation pour l’international est de trouver une terre d’asile pour le président et sa famille.
Par contre, quant au futur chef de gouvernement, pour ne pas répéter les mêmes erreurs de 2004, Washington est pour un « Premier ministre local ». Donc, on commence à citer des noms. Parmi ceux-ci, on trouve un ancien chef de la Primature, un ex-parlementaire, un homme d’affaires très influent de la société civile, un ancien candidat à la présidence et un ancien technicien dans le monde universitaire, mais qui a étudié aux États-Unis.
Selon cette même source, le future Premier ministre devrait être un rassembleur capable de monter une équipe très restreinte avec des cadres compétents du pays et de la diaspora, mais surtout avec une feuille de route capable de tacler les grands problèmes sociaux, politiques et économiques du pays. Puisqu’il n’aura pas à se présenter par devant le parlement, qui est officieusement considéré comme une institution inopérante, donc ce chef de gouvernement doit être quelqu’un qui inspire confiance.
Bref, les préoccupations concernant le président entêté de rester au pouvoir au-delà du 7 février, affecte le pays et le core international qui aurait aimé éviter un autre 7 février 1986. Puisque, avec des manifestations et des jours de grèves dans tous les départements, spécialement les grandes villes du pays, les prochains jours s’annoncent sombres. Pour comprendre les préoccupations des uns et des autres sur le spectre d’un possible ‘’dechoukaj’ et ses conséquences nationales sur la vie et les biens des citoyens après 7 février 2021, il faut se référer au livre de Laennec Hurbon, Comprendre Haiti, Essai sur l’Etat, la nation, la culture (Editions Karthala, 1987, p.11).
Dans ce livre, l’auteur écrit que : « Au matin du 7 février, une immense crie de joie était entendu aux quatre coins du pays. A Port-au-Prince, 500,000 personnes environs, toutes couches sociales confondues, hommes et femmes, ont pris place autour du palais présidentiel. La presse étrangère surprise par la rage avec laquelle le peuple traquait les macoutes. Certains sont lapidés, d’autres brulés vifs. Leurs maisons sont pillées et incendiées. La rapidité avec laquelle des macoutes sont répérés démontre jusqu’á quel point la colère populaire se contenait auparavant. » (4)
Comme pour protéger des vies et sécuriser des biens, l’armée et la police d’alors ne pouvaient pas intervenir dans tous les coins du pays. Ainsi on a eu des dérapages. Le bilan était lourd en termes de pertes de vies humaines, biens et immeubles des membres du régime déchu. Toutes les maisons, aussi bien que des magasins soupçonnés d’appartenir á des macoutes et barons du régime, furent saccagés et pillés. Plusieurs auteurs et journalistes qui commentaient sur les évènements qui ont eu lieu ce vendredi 7 février 1986 étaient unanimes á reconnaître que la journée était d’une part pleine de réjouissance et d’autre part de violences accrues, de chasse et de pillages.
A ce sujet, les auteurs Daniel Roussière, Jenane Rocher, Gilles Danroc dans leur livre : Les élections du 29 novembre, la démocratie ou la mort, écrivent ce qui suit : « Une extraordinaire explosion de joie, une véritable liesse populaire que personne ne pouvait décrire, transforme Port-au-Prince en une ville carnavale….; des tontons macoutes sont dépouillés de leurs uniformes, battus…. Au Bel air, au Centre-ville, á Laboule, Delmas, Thomassin, Carrefour, des scènes de pillage sont enregistrées malgré l’intervention de la police et de l’armée.» (5)
Est-ce cela que veut le pouvoir, l’opposition ou la communauté internationale ? Frantz Duval, dans son éditorial du 25 janvier 2021 écrit dans le Quotidien du Nouvelliste que : « Dans tout pays normal, la crise sans nom que le pays vit depuis des mois aurait provoqué deux réactions : la recherche d’un compromis ou un soulèvement. Un secteur de la société civile suffisamment concerné ou suffisamment fort aurait invité les deux camps – pouvoir et oppositions – à s’asseoir jusqu’à ce qu’une entente soit trouvée pour permettre au pays de vivre normalement sans l’hypothèque des arrêts récurrents qui pénalisent le plus grand nombre et chaque initiative. » (6)
Si les protagonistes arrivent à faire le grand dépassement et trouver une solution pour opter pour la première proposition de l’éditorialiste du Nouvelliste, ce sera pour le bien du pays. Mais si toutefois dans les jours qui viennent, les acteurs politiques conduisent le pays vers l’option du soulèvement, ce sera définitivement pour le malheur d’Haïti…puisque, ce sera une deuxième version du 7 février 1986.
Notes
1-Roberson Alphonse. Haïti pris au piège des kidnapings. Le Nouvelliste. 25/1/2021
2-Germina Pierre Louis. Le MOPOD plaide pour le départ de Jovenel Moïse le 7 février 2021. Le Nouvelliste 13/01/2021
3-Robert Duval. De la fragilité des mandats. Le Nouvelliste- 02/02/2020
4-Laennec Hurbon. Comprendre Haiti, Essai sur l’Etat, la nation, la culture. Editions Karthala, 1987, p.11.
5-Daniel Roussiere, Jenane Rocher, Gilles Danroc. Les Elections du 29 novembre 1987. La démocratie ou la mort. Bibliothèque Nationale d’Haiti, p.15
6-Robert Duval. Haïti, l’anesthésie générale. Le Nouvelliste- 25/1/2021
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