La foule devant le canal en construction Crédit : HAÏTI MAGAZINE par DÈYÈ MÒN ENFO CC BY-SA 4.0

Jean Elie Fortine, Étienne Côté-Paluck, Jean-Paul Saint Fleur et Jéthro-Claudel Pierre Jeanty

La communauté paysanne de la commune de Ouanaminthe, située à la frontière dominicaine, a entrepris de creuser un canal sur la rivière Massacre devant permettre l’arrosage de la plaine du bas Maribaroux. Cette mobilisation populaire bénéficie du soutien financier d’organisations paysannes et sociales de la région. Nous publions le reportage du 18 septembre dernier qu’en a fait la publication alternative hebdomadaire Haïti Magazine par Dèyè Mòn Enfo


Le gouvernement dominicain a fermé unilatéralement jeudi 14 septembre presque toutes les frontières avec Haïti – terrestres, aériennes et maritimes – dans le but de stopper l’aménagement d’un canal de prélèvement d’eau sur la rivière Massacre en territoire haïtien. Le geste d’éclat, à quelques mois des élections dominicaines, a été critiqué de toutes parts en Haïti et a coalisé tous les secteurs autour d’une même cause : poursuivre coûte que coûte la construction du canal, à quelques mètres de la frontière dominicaine.

Cette nouvelle fermeture unilatérale de la frontière n’est que le dernier de nombreux coups d’éclat du gouvernement dominicain ces derniers mois, rapportent plusieurs habitants de la ville frontalière de Ouanaminthe. La mesure a créé un élan de solidarité partout dans cette ville, dont l’économie dépend beaucoup des échanges transfrontaliers.

« On va forcer Abinader à respecter les Haïtiens »

« On va forcer Abinader 1 et à respecter les Haïtiens », a-t-on entendu près de la construction du canal 2. Toujours à Ouanaminthe, plusieurs craignent une intervention militaire dominicaine en sol haïtien pour détruire la construction du canal en cours. Depuis la reprise des travaux, il y a quelques semaines, il y aurait eu, autour de l’ouvrage, au moins trois incursions de militaires dominicains en territoire haïtien, mais sans en descendre de leurs véhicules, selon des témoins. La construction s’est tout de même poursuivie chaque jour au son de tambours.

Des agents haïtiens de la Brigade de sécurité des aires protégées (BSAP) font face depuis quelques jours aux militaires dominicains à la frontière de Ouanaminthe. « Les gens voient les mesures dominicaines comme une série de provocations », explique notre collaborateur sur place, le journaliste et vidéaste Jéthro-Claudel Pierre Jeanty de Nord-Est Info. « La fermeture de la frontière est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »

Haïti solidaire avec Ouanaminthe

Une bouteille et quelques artéfacts servant à implorer les ancêtres vaudous ont été installés devant la frontière dominicaine où les militaires dominicains se sont installés pour surveiller les travaux du canal. L’ouvrage de blocs et de fer à Ouanaminthe a rassemblé une forte partie de la population de la ville autour de ce projet commun, de même qu’une large partie du pays. Des appels à la solidarité et aux prières de différentes confessions ont été entendus un peu partout.

La fermeture de la frontière n’effraie pas beaucoup de gens en Haïti qui a déjà connu, ces dernières années, son lot de confinements et de peyi lòk, souvent sur plusieurs mois. L’économie dominicaine, qui dépend beaucoup de l’exportation vers son pays voisin, risque probablement de souffrir plus de cette fermeture à court terme, affirment certains analystes. De nombreux appels à une plus grande autonomie alimentaire en Haïti ont aussi été entendus.

Pour sa part, le gouvernement haïtien a finalement manifesté jeudi dernier son mécontentement envers la décision du gouvernement dominicain. Le ministère des Affaires étrangères affirme que la construction du canal respecte les traités binationaux et que la fermeture de la frontière est « disproportionnée ». L’ambassadeur dominicain a été convoqué.

Par solidarité, certains des plus importants chefs de groupes armés de la région de Port-au-Prince ont aussi annoncé un arrêt du banditisme sur plusieurs routes qu’ils contrôlent aux alentours de la capitale. Celui qu’on surnomme Izo à Village-de-Dieu, ou encore Krisla à Fontamara et Vitelòm à Croix-des-Bouquets, ont partagé par exemple, en ce sens, des messages vocaux qui ont largement circulé sur les médias sociaux.

« Ce qu’on oublie c’est que la République voisine est gouvernée. […] Ici, incapables de faire preuve d’intelligence et d’amour pour notre peuple, nous sommes dans les réactions émotionnelles passagères qui ne prennent pas en compte le fond du problème. Il faudra tôt ou tard, si nous ne voulons pas être vassalisés complètement ou transformés en une sorte de zoo […], que nous arrêtions de gesticuler pour penser à remettre à flot notre agriculture, notre système éducatif surtout. »

  1. Luis Rodolfo Abinader Corona est le président de la Républicaine Dominicaine et un homme d’affaires le plus riche de l’Île[]
  2. Propos tenus par le représentant de la diaspora[]