Antoine Lyonel Trouillot, Le Nouvelliste, 2019-10-01 |
J’ai entendu avec effroi le compte-rendu fait par Edmonde Beauzile Supplice de la rencontre de leaders politiques haïtiens avec le Core Group. Je salue le courage de ces leaders politiques qui ont gardé la position, qui est celle de la population, de l’impossibilité et du refus de tout dialogue avec Jovenel Moïse s’il n’annonce pas sa démission. Ce qu’il y a d’effrayant c’est cette prétendue position de principe qui n’est qu’une licence pour voler et tuer que des pays dits amis entendraient donner au gang Moïse/PHTK, s’ils maintenaient une telle position. Ce ne peut être qu’une mauvaise blague.
Ce n’est pas l’opposition qui ne veut pas dialoguer avec ses voleurs et ses assassins, c’est la population. L’opposition aujourd’hui, c’est ce gosse de huit ans qui crie : Jovenel, tire-toi, je veux aller à l’école, c’est cet employé de l’Etat qui n’aime pas la politique mais qui crie qu’il n’avait jamais vu autant de corruption, c’est tout un chacun, c’est cette foule dans une ville du Nord qui porte sur sa tête un cercueil vide et célèbre l’enterrement symbolique du président-fantôme, ce sont ces militants sur lesquels on tire et qu’on arrête, ce sont ces petits malins de la toile qui publient des avis de recherche du type : « délinquant en fuite, porte chemise rouge, se dit président ». L’opposition, ce sont ces Haïtiens qui ont fait entendre leurs voix au premier ministre canadien ; ce sont ces agents de police qui sont fatigués de devoir réprimer leurs frères ; ce sont ces jeunes de toutes les origines sociales qui réclament le procès Petro Caribe. L’opposition aujourd’hui, c’est tout le monde sauf les quelques-uns qui profitent de la corruption et dirigent la répression.
Jamais homme politique n’aura été aussi méprisé, moqué dans l’histoire de ce pays. Cet homme et son parti ont perdu toute crédibilité, tout pouvoir de convocation aux yeux des Haïtiens. Et des diplomates prendraient sur eux de dire à ses victimes qu’elles doivent s’asseoir avec lui. Au nom de quoi ? D’une prétendue élection à laquelle moins de 20% de la population a participé ? D’une prétendue continuité institutionnelle alors que Jovenel Moïse/PHTK ont avili les institutions ?
Il n’y a pas de raison haïtienne pour que qui que ce soit de digne, d’honnête, de dialoguer avec Jovenel Moïse. Et ils ne le feront pas. Tout soutien à cette idée de dialogue aura pour effet de légitimer la répression et la corruption et d’entraîner encore plus de radicalisation chez la population.
Et où donc étaient les amoureux des institutions quand Jovenel Moïse et son parlement croupion violaient systématiquement la Constitution, les lois de la république et les droits des citoyens ! Et quel respect ont-ils pour la société civile haïtienne, les représentants des différents cultes, les associations de défense des droits humains, les professeurs d’université, les corporations, les syndicats, la jeunesse ? Tout ce monde fait donc partie de « l’opposition »? Les Haïtiens auraient-ils perdu le droit de décider des affaires haïtiennes ?
Tel homme politique qui a lui aussi, à force de revirements, perdu tout pouvoir de convocation, répète la phrase apprise par cœur sur le support accordé aux institutions et non à la personne. Mais c’est bien de l’avilissement des institutions qu’il s’agit. Un gang s’en est accaparé et les a détruites, il s’agit de le déloger pour qu’elles puissent renaître.
Avec tout le respect que j’ai pour madame Beauzile-Supplice, je ne veux pas croire ce qu’elle rapporte. Que des diplomates de carrière, représentants de dites démocraties, FACE A UNE SITUATION INSURRECTIONNELLE, ne trouvent pas mieux à penser que de demander le dialogue avec UN FANTOCHE INDEXÉ POUR CORRUPTION PAR UNE INSTITUTION ÉTATIQUE NATIONALE, et dont le gouvernement est accusé de crimes de sang comme le massacre de la Saline.
Demander à ce pays – et qu’on arrête de minimiser les choses en parlant de « l’opposition » – de dialoguer avec Moïse/PHTK, c’est contribuer à maintenir les conditions de plus d’affrontements entre la population et la police se transformant au fur et à mesure en outil de répression politique. Je doute que les sociétés civiles des pays ayant des représenttions diplomatiques en Haïti soutiendraient une telle politique. Plus que jamais la diaspora a un rôle à jouer pour faire connaître au monde ce qui se passe en Haïti.
Un peuple qui n’en peut plus, demande une transition et l’orientation du pays vers plus d’équité et d’équilibre social, et la fin d’un règne de corruption, de désacralisation des institutions. Et il reviendra aux citoyens des pays représentés en Haïti de demander à leurs représentants s’il est vrai que, objectivement, (on évalue une politique à ses conséquences) ils soutiennent une position qui ne peut conduire qu’au bain de sang. Seule la démission est négociable entre Haïti et Jovenel Moïse. On l’a déjà dit plusieurs fois, et la triste preuve en est faite chaque jour : la paix reviendra quand Jovenel Moïse aura démissionné, en attendant des gens meurent.
Non, ce ne peut être qu’une mauvaise blague que l’on a voulu faire à nos amis du Core Group.