Le cycle des massacres d’État contre les classes opprimées ne s’arrête pas en Haïti. Plus d’une dizaine sont déjà perpétrés dans les quartiers populaires. Le nombre de morts, de blessés et de femmes violées s’élève déjà à plusieurs centaines. Cette barbarie s’abat sur les pauvres avec le silence complice et dans la plus grande indifférence de la presse internationale. Les nombreuses manifestations populaires contre ces actes crapuleux se révèlent encore insuffisantes à contraindre le pouvoir de changer de politiques. Le 1er avril 2021, les «gangs fédérés» à la solde du pouvoir de facto ont de nouveau fait de nombreux morts et blessés dans le quartier de Bel Air, à moins de 50 mètres du palais national.
Détenteurs de moyens logistiques importants, les «gangs fédérés» ne se sont pas contentés de violer des femmes, d’assassiner des personnes, de brûler des maisons, mais ils font, dans plusieurs cas, disparaître les cadavres. Ce mode opératoire n’a rien d’aléatoire. Pour ces meurtriers, il importe de rendre invisible les victimes, renforçant ainsi le climat de terreur et éviter toutes formes de manifestations et de mouvement de solidarité aux familles des victimes. Comble du cynisme, les proches ne sont même pas autorisés à leur rendre un dernier hommage.
Le régime se sert de ce mode opératoire également dans une logique de pérennité de l’impunité dans le temps long. L’objectif est d’empêcher toute revendication de justice à l’avenir. Dans ce contexte de dictature rampante, multiforme, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire se concentrent dans le périmètre restreint du palais présidentiel. Les victimes de la terreur gouvernementale, quant à elles, sont condamnées à l’indifférence et au silence aussi longtemps que ce régime se maintiendra au pouvoir.
Mais cette terreur, qui s’abat sur la population, va au-delà des massacres dans les quartiers populaires. Elle se manifeste également par la constance de l’insécurité à l’échelle nationale. Cette insécurité plonge les classes laborieuses des quartiers populaires en particulier et la société civile en général, dans une situation d’angoisse quotidienne. Les gens sont traqués même dans l’intimité de leur maison, dans leur espace de recueillement communautaire. L’enlèvement d’un pasteur et trois fidèles à Carrefour, en plein office, dans leur église et tout récemment de cinq prêtres et de deux sœurs, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Munis d’équipements logistiques de l’État, les bandits opèrent à visage découvert, et s’adonnent à des pratiques systématiques d’enlèvements et de kidnapping contre rançon.
L’instauration de la terreur prend forme aussi dans l’appareil de l’État à proprement parler. En effet, le discours de façade sur le respect de la personne n’est plus en mesure de cacher les crimes odieux des unités de la police nationale, la répression sanglante des manifestants, l’exécution sommaire d’opposants au régime. Ce cycle infernal n’épargne même pas les personnes incarcérées dans les centres de détention, elles sont souvent soumises à la torture la plus brutale. À titre d’exemple, 25 femmes prisonnières, dont 2 mineures, ont été contraintes de se déshabiller avant d’être torturées, battues à coup de matraque le 8 mars 2021 dans la prison civile de Jacmel, dans le département du sud-est du pays. Ces faits macabres rappellent le souvenir sombre des cachots de la famille des Duvalier, où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont péri à petit feu.
Face à cette campagne de terreur d’État, de multiples dénonciations ont été effectuées par des organismes de droits humains et des féministes. Mais s’est maintenu l’appui inconditionnel des puissants pays de la communauté internationale, dont le Canada, les États-Unis, l’Union européenne, au pouvoir de facto. Alors que ces pays développent toute une politique de droits humains pour s’attaquer à la Chine, la Russie et le Venezuela, les innombrables massacres à caractère génocidaire en Haïti sont à leurs yeux «de la démocratie en marche». En septembre 2020, le secrétaire général de l’ONU, M. Gutierrez a renouvelé sans ambages cette position lorsqu’il a donné un soutien politique à la «fédération des gangs». Selon lui, le fait que ces bandits se sont confédérés dans des bidonvilles de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince constitue une avancée dans la lutte contre l’insécurité dans le pays.
Soulignons que ce régime ne se limite pas aux caïds de PHTK. Ces derniers ne sont que la face visible de l’iceberg. En fait, le personnel politique est sous la coupe réglée de la bourgeoisie de l’import/export et de la sous-traitance qui est, elle-même, complètement assujettie aux intérêts des multinationales. Cela sous-entend que la résolution de la crise suppose non seulement le départ de l’actuel gouvernement, mais également le renversement de l’ordre social bourgeois en Haïti.
Cette revendication est clairement exprimée par les différents mouvements populaires des trois dernières années, mais pas par les adeptes de la «droite démocratique et libérale». Pour arriver à ce point et élaborer un État populaire au service de la nation, la construction d’un nouvel outil organisationnel est essentielle : il consiste à articuler les luttes pour le pouvoir avec celles des peuples des Caraïbes, de l’Amérique latine, l’objectif commun étant l’émancipation des opprimés.
Renel Exentus et Ricardo Gustave, Montréal, le 11 avril 2021
Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com