Rassemblement anti-raciste à la Place du Canada à Vancouver en 2020 @ GoToVan from Vancouver, Canada @ GoToVan CC BY 2.0 via wikicommons
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Maria Kiteme, correspondante en stage

Pour les panélistes de l’atelier organisé par les Nouveaux Cahiers du Socialisme (NCS) à La Grande Transition, le refus des gouvernements de reconnaître la réalité de la racisation comme processus sociohistorique perpétue des tensions sociales dont les personnes migrantes demeurent les premières cibles. La question migratoire est instrumentalisée comme menace pour la survie des privilèges de la population dominante. Défendre les droits des personnes migrantes, notamment les travailleurs-euses temporaires, exige de déconstruise le récit anxiogène de l’Autre.

Animée par Salvador David Hernandez, la rencontre qui a eu lieu le 1er juin, a réuni Anne-Marie Livingstone, Pablo Madriaza, ainsi que des travailleur.euses migrant.es. L’atelier interactif a permis un dialogue sincère et engagé, partageant réflexions et témoignages dans un esprit d’écoute et de solidarité.

Les conséquences de la non-reconnaissance du racisme systémique

Malgré les preuves accablantes qui confirment l’existence d’un racisme systémique, le gouvernement québécois continue de nier cette réalité, comme en témoignent la Loi 21. Les récentes mesures législatives de 2024, encadrant les travailleur.euses temporaires venu.es d’ailleurs, le confirment tout autant. Ces politiques maintiennent sciemment la vulnérabilité de ces personnes migrantes, en limitant leur accès à un seul statut limité et en les exposant à la précarité administrative et économique.

Face à ces dynamiques, il devient essentiel de défendre leurs droits tout en déconstruisant le récit anxiogène de l’Autre, qui prospère au sein de sociétés se réclamant de la démocratie. Ce travail de transformation ne pourra se réaliser qu’à travers une approche résolument décoloniale, antiraciste, anti-impérialiste et anticapitaliste.

La construction de l’Autre au cœur du projet colonial

Le racisme s’inscrit toujours comme une forme de violence enracinée dans nos structures héritées du colonialisme, de l’impérialisme et de leur étroite alliance avec le capitalisme. Cette violence ne peut être réduite à des actes individuels : elle procède d’un système de domination qui façonne durablement les rapports sociaux et hiérarchise les existences.
La colonisation a construit l’image d’un « Autre » radicalement différent, inférieur et menaçant, à travers une vision raciale qui a placé l’homme blanc au sommet d’une pyramide civilisationnelle. Ces hiérarchies, ancrées dans la culture occidentale, continuent d’imposer l’idée que les personnes racisées doivent s’assimiler, renier leurs savoirs et leur humanité pour espérer être acceptées. Des intervenant.es de l’atelier ont ainsi souligné combien cette colonialité pouvait être intériorisée chez l’Autre, cherchant à répondre aux standards imposés par les idéaux de la suprématie blanche.

Ces mêmes bases auront des effets sociaux, personnels et psychologiques dans les logiques culturelles des populations mondiales, rendant d’autant plus nécessaire une déconstruction collective. Dans un monde globalisé, la violence du capitalisme et de l’État perpétue ces inégalités : l’exploitation des corps racisés reste au cœur de la production de richesses, au Canada comme ailleurs. La colonialité n’épargne aucun domaine, des sciences aux politiques publiques, et maintient des hiérarchies au sein même de nos institutions — tout autant locales qu’internationales. La reconnaissance de ces mécanismes est un préalable indispensable pour envisager un véritable projet de décolonisation et d’émancipation.

Les réalités d’un racisme institutionnalisé au Canada et ailleurs

Les panélistes ont rappelé que ces réalités se manifestent également au Québec. Il a tiré profit, tout comme son voisin américain, de la traite des esclaves et de politiques d’occupations coloniales violentes sur des territoires autochtones non cédés participant aux conquêtes européennes. La destruction de l’Autre, que ce soit par l’assimilation forcée ou par le génocide culturel, a servi de fondation à une société coloniale et à l’expansion territoriale.

De nos jours, cette exclusion persiste : les personnes autochtones, racisées ou migrantes, continuent d’être considérées comme extérieures à la citoyenneté légitime, façonnée autour de normes occidentales intimement liées à la blanchité. Ainsi, la figure de la personne migrante — pourtant indispensable à la prospérité du pays — est toujours présentée comme menaçante, dangereuse, ou illégitime, tout en étant exploitée économiquement. Cette contradiction alimente un système de domination dans lequel la classe dirigeante exerce un contrôle constant sur les dominé·es.

Le racisme systémique se traduit également dans les pratiques policières : à Montréal comme ailleurs, de nombreuses études démontrent que les forces de l’ordre ciblent de manière disproportionnée les jeunes noir·es et racisé·es. Selon la professeure Anne-Marie Livingstone, ce racisme policier repose sur des lois et des politiques qui autorisent l’usage de stéréotypes raciaux pour justifier des interpellations arbitraires. Elle souligne que réduire ce phénomène au seul « profilage racial » masque la violence structurelle plus large qui vise certains groupes.

La sphère académique et le milieu professionnel ne sont pas épargnés. Des étudiant·es racisé·es témoignent de leurs difficultés d’intégration, exposé·es dès l’enfance à des propos racistes et à l’exclusion, tant de la part des enseignant·es que de leurs camarades.

Dans le monde du travail, un migrant originaire d’Afrique a raconté la précarité, les micro-agressions et la marginalisation subies malgré l’image d’un Canada comme terre d’opportunités : « On nous a vendu le Canada, mais nous vivons dans des situations économiques précaires […] où les préjugés et le racisme au travail nous pèsent », a-t-il confié. Ces parcours, marqués par de lourds sacrifices et la perte de repères, s’accompagnent souvent d’un sentiment de culpabilité qui freine la dénonciation de ces injustices.

Construire un front émancipateur, malgré les fissures

Pour espérer bâtir des solidarités véritables, le milieu universitaire et les acteurs et actrices de terrain doivent repenser leurs modes de collaboration. Cela implique d’adopter une écoute respectueuse des réalités vécues par les personnes migrantes et les personnes racisé.es, notamment dans des milieux académiques souvent réticents à les reconnaître. Les universités, souvent traversées par des hiérarchies coloniales de savoirs qui valorisent la connaissance occidentale au détriment des perspectives extérieures, ont un rôle clé à jouer. La décolonisation des espaces d’apprentissage, par la transformation des rapports de pouvoir, la révision des syllabus et l’ouverture à d’autres référentiels, constitue une étape cruciale pour vers l’émancipation collective.

Malgré la puissance de structures coloniales et patriarcales profondément ancrées, ces systèmes ne sont pas infaillibles : « Le système est là. Il est puissant et il nous contrôle. [Mais] ce système n’est pas un bloc hégémonique, il y a des fissures et des points de fracture […] », ajoute un.e intervenant.e. C’est en saisissant ces points de fracture que l’on pourra infiltrer le système pour le transformer, et ainsi rompre avec le statu quo d’un ordre social colonial. Cette transformation exige aussi de défendre fermement des droits fondamentaux, dont ceux des travailleurs migrant.es, tout en dépassant les divisions internes dans cette lutte, freinant l’émergence d’une réelle conscience de classe.

Vers la décolonisation et l’antiracisme – No 32, automne 2024