Les rois du Népal. De gauche à droite : Prithvi Narayan Shah, Girvan Yuddhavikram Shah, Tribhuvan Shah, Mahendra Bir Bikram Shah, Birendra Bir Vikram Shah et Gyanendra Bir Bikram Shah. (Crédit : collage fait par Captain Medusa, 2020 - CC BY-SA 4.0 – via Wikimedia Commons)

Rozana Ryan, correspondante et stagiaire au Népal pour l’ONG Alternatives

Le Népal, niché entre deux puissances régionales que sont l’Inde et la Chine, possède une histoire politique complexe et tourmentée. Cette instabilité chronique est le produit de transitions majeures qui ont marqué le pays : d’une monarchie féodale à une république démocratique, en passant par une décennie de conflit civil. Depuis les premières dynasties, les luttes de pouvoir, les inégalités sociales et les conflits ethniques ont façonné le paysage politique, semant les graines d’une instabilité persistante.

Monarchies et premières tensions politiques

L’histoire de l’instabilité politique du Népal commence dès son unification en 1768 par Prithvi Narayan Shah, fondateur de la monarchie moderne. Sous son règne, le Népal devient une monarchie puissante, mais les tensions sont déjà palpables entre les différentes ethnies et régions qui composent ce pays d’une grande diversité culturelle et géographique. Cette unité fragile commence à s’effriter au cours des 18e et 19e siècles avec l’apparition de rivalités politiques internes.

Un événement majeur qui accentue cette instabilité survient au milieu du 19e siècle : le coup d’État des Ranas en 1846. Cette dynastie s’empare du pouvoir et transforme le Népal en une monarchie absolue, isolée du reste du monde. Durant cette période, le pays est plongé dans un isolement international, exacerbant les tensions internes. Au début du 20e siècle, des mouvements prodémocratiques commencent à émerger, appelant à des réformes politiques.

La révolution de 1951 met fin à près de cent ans de domination des Ranas et marque une première tentative d’introduction de la démocratie. Cependant, cette période reste marquée par des conflits violents entre monarchistes et réformistes, et la situation dégénère rapidement. Les élections démocratiques de 1959, remportées par B.P. Koirala, sont rapidement annulées par un coup d’État du roi Mahendra en 1960, qui rétablit une monarchie autoritaire. L’instabilité persiste alors que la monarchie réprime violemment les mouvements prodémocratiques.

L’insurrection maoïste et la chute de la monarchie

Dans les années 1980, le mécontentement populaire s’intensifie, menant à des protestations massives contre le régime monarchique. En 1990, le Népal connaît une transition vers une démocratie multipartite, avec une monarchie constitutionnelle limitant les pouvoirs du roi. Mais le mécontentement populaire persiste, nourri par les inégalités sociales et le pouvoir encore prégnant de la monarchie.

En 1996, une nouvelle étape dans l’instabilité s’ouvre avec le lancement d’une insurrection armée par le Parti communiste du Népal (branche maoïste). Leur objectif est clair : renverser la monarchie et établir une République populaire. Cette guerre civile, qui durera une décennie, est alimentée par les inégalités sociales, économiques et politiques profondément enracinées dans la société népalaise. La population népalaise, en grande partie rurale et marginalisée, est prise en étau dans ce conflit sanglant.

En 2001, un événement tragique vient bouleverser encore plus le paysage politique : le massacre de la famille royale, dans lequel le roi Birendra et plusieurs membres de sa famille sont assassinés. Cet incident plonge le Népal dans un chaos profond. Le roi Gyanendra prend alors le pouvoir, mais son règne est rapidement marqué par des controverses, une reprise des hostilités maoïstes et des manifestations massives en 2006, surnommées le «Mouvement populaire», qui forcent le roi à rétablir le parlement dissous.

La fin de la guerre civile intervient en 2006 avec la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et les maoïstes. Cette trêve aboutit en 2008 à l’abolition de la monarchie et à la création de la République fédérale démocratique du Népal. Cependant, cette nouvelle ère républicaine n’apporte pas la stabilité espérée.

Une transition démocratique semée d’embûches

Après la chute de la monarchie, le Népal entame une phase difficile de démocratisation. La rédaction d’une nouvelle constitution, bien qu’adoptée en 2015, ne fait qu’accentuer les tensions. Considérée comme discriminatoire à l’égard de certaines minorités ethniques, elle provoque des protestations violentes, notamment dans le sud du pays, où les communautés madeshs se sentent marginalisées.

Les élections de 2013 n’ont pas permis à un parti de remporter la majorité, plongeant le pays dans une impasse politique. Les gouvernements successifs sont fragilisés par des coalitions instables et des luttes de pouvoir internes. Malgré les élections de 2017, qui avaient suscité des espoirs de stabilité, l’alliance entre les marxistes-léninistes et les maoïstes a transformé le paysage politique en une pseudo-démocratie où les luttes pour le pouvoir continuent.

Une instabilité continue et des défis récents

Le Népal reste confronté à des défis de taille. Le séisme dévastateur de 2015 a ralenti les processus politiques et exacerbé les tensions sociales et ethniques, tandis que la lente reconstruction et les allégations de corruption nourrissent le mécontentement public. La pandémie de COVID-19 a aggravé les problèmes économiques et sociaux existants, plongeant le pays dans une crise durable.

Les relations du Népal avec ses voisins, l’Inde et la Chine, jouent également un rôle clé dans l’instabilité politique. Le blocus frontalier avec l’Inde en 2015-2016 a eu des conséquences économiques sévères, poussant le Népal à renforcer ses liens avec la Chine. Cette proximité croissante avec Pékin est mal perçue par certaines fractions politiques, accentuant les divisions internes.

L’instabilité politique du Népal est le reflet des défis auxquels le pays est confronté dans sa transition vers une démocratie stable et inclusive. Les fractures sociales, les rivalités politiques et les influences géopolitiques continuent de façonner le paysage politique népalais. Alors que le pays cherche à se relever des crises récentes, les questions de consolidation démocratique ou de retour à l’autoritarisme demeurent cruciales pour l’avenir du Népal. Parviendra-t-il à surmonter ses divisions pour établir une stabilité durable? Seul l’avenir nous le dira.

Références :