On dit que Beyrouth est la ville qui ne meurt jamais. Je suis née dans cette ville, je l’ai retrouvée adulte, comme une vieille amie qui a connu la guerre et la souffrance, mais qui n’a jamais perdu son sourire.
Ma famille palestinienne n’avait pas de pays, elle a trouvé quelque chose qui lui ressemblait dans les dédales de la capitale libanaise. Autour du poêle dans le salon de ma grand-mère, l’odeur du halloumi se mêlant aux effluves de diesel de la rue, on se sentait chez soi.
Le salon de ma grand-mère, comme les autres pièces de sa maison, a été détruit dans les bombardements israéliens de 2006, emportant avec eux les souvenirs de toute une vie. Sur les photos qu’on m’a fait parvenir, rien n’est reconnaissable, sauf le tissu rouge des fauteuils enfumés.
Parlez à n’importe quel Libanais et il vous racontera une version de la même histoire. Hier, c’était la guerre civile, aujourd’hui, c’est l’explosion du port, demain, qu’attendre d’autre que d’autres morts à enterrer ? Beyrouth ne meurt jamais, mais elle ne cesse de souffrir.
Et pourtant. Ce peuple que tout devrait abattre reste debout. Depuis des mois, les gens de Beyrouth se rassemblent pour dénoncer l’incompétence et la corruption de leur gouvernement, incapable d’assurer le strict minimum : la collecte des vidanges et un réseau d’électricité stable.
La situation est si maussade que leur colère pourrait facilement déborder, mais, dans les manifestations, le pacifisme est de rigueur et les visages sont toujours joyeux. Il y a au Liban l’espoir de la vie meilleure, une flamme que rien n’arrive à éteindre, comme si ces gens disaient à l’univers : nous n’avons rien, sauf nous autres, et c’est assez pour déplacer des montagnes.
Solidarité
Je prends la plume aujourd’hui parce qu’ils n’y arriveront pas seuls. C’est là où nous entrons en scène. Depuis que nous existons sur la scène internationale, le Québec et les Québécois se distinguent par leur tradition de solidarité. Nous avons répondu présents lorsqu’une épidémie d’Ebola s’est déclarée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest en 2014.
Le Québec a apporté son soutien à Haïti lors du passage de l’ouragan Matthew, deux ans plus tard. En 2015, le ministère des Relations internationales aidait le Liban à accueillir les centaines de milliers de personnes fuyant la violence du conflit syrien, troquant la catastrophe pour la vie difficile du réfugié, à l’instar des convois de réfugiés palestiniens il y a plus d’un demi-siècle.
Le temps est venu de tendre la main au Liban une nouvelle fois. Même si, sous la gouverne de la CAQ, les relations internationales du Québec se résument trop souvent au commerce, le Programme québécois de développement international dispose encore de moyens conséquents pour remplir notre devoir de solidarité. Son volet Aide d’urgence permet d’offrir du soutien financier et logistique aux sinistrés des catastrophes comme celle qui vient de plonger les Libanais dans le deuil. Ils en ont bien besoin.
Après la vie chère et la pandémie, la dévastation causée par les explosions de Beyrouth est la crise de trop : les premières estimations parlent de 300 000 sans-abri. Sur quoi ces gens peuvent-ils compter, sinon sur la solidarité de leurs amis, sur la nôtre ? Ne les laissons pas seuls entre les mains d’un gouvernement corrompu et négligent.
Il n’est pas étonnant que des dizaines de milliers de Libanais aient choisi de s’installer au Québec. Notre amour de la littérature, de la musique, de la culture, ces bons vivants le connaissent bien. L’humanisme qui anime les salons de Beyrouth, je le retrouve ici. Nous n’avons pas qu’une langue en commun : lorsque nos langues se délient, nous osons rêver de liberté.
Les Québécois partagent des choses avec le peuple du pays du Cèdre. En ces jours de deuil et de souffrance, partageons un peu de son fardeau.